Des Syriens décèdent lors de la traversée vers la Grèce dans leur quête désespérée d'une nouvelle vie
Des Syriens décèdent lors de la traversée vers la Grèce dans leur quête désespérée d'une nouvelle vie
LESVOS, Grèce, 4 avril (HCR) - A minuit, c'était dans une mer d'huile que les réfugiés syriens ont poussé l'embarcation dans l'est de la mer Egée. Un passeur âgé attirait les personnes craintives vers le bateau à moteur avec un seul mot. « Grèce », disait-il alors qu'ils se tenaient dans une crique rocheuse en Turquie. Il pointait du doigt l'île de Lesvos, vraisemblablement toute proche, et répétait sans cesse : « Grèce. »
Parmi les passagers, certains avaient perdu des amis et des proches à l'intérieur de la Syrie, y compris un passager dont la famille avait été tuée durant les attaques chimiques à la périphérie de Damas l'année dernière. Ils avaient survévu au pire du conflit et se trouvaient désormais aux portes de l'Europe.
Toutefois, la nuit du 18 mars, sept d'entre eux ont péri en mer, à un mile nautique de la côte grecque, alors que le bateau se faisait engloutir sous les vagues. L'embarcation, dont la capacité maximale était de sept personnes, était surchargée avec 16 personnes, y compris deux femmes et deux enfants.
Les survivants ont raconté que le skipper semblait trop jeune et qu'il circulait en mer bien trop rapidement par rapport aux mauvaises conditions. En quelques minutes, la mer d'huile s'est transformée en une mer démontée et le bateau devait lutter contre les fortes vagues. Peu après, le skipper s'est perdu.
Les passagers ne voyaient plus les lumières de Lesvos devant eux, mais à leur gauche. Le bateau faisait cap vers le nord. Les hommes à la poupe ont vu que de l'eau rentrait dans l'embarcation. Le pilote a arrêté le moteur. Les vagues ont englouti le bateau - une première par bâbord, puis d'autres par tribord. Les hommes qui étaient sur le pont ont été jetés hors du bateau.
Mohammed Al Housain, 25 ans, un médecin originaire d'Alep, se rappelle avoir vu le bateau se cabrer avant de se retourner dans l'eau. Il ne pouvait pas arriver à revenir à la surface jusqu'à ce qu'il se cogne la tête contre la coque. La proue a basculé vers le haut alors que l'eau s'engouffrait par l'arrière. Mohammed s'est cramponné au bord du bateau.
Des femmes, des enfants et un homme se trouvaient dans la cabine, qui s'est rapidement remplie d'eau. Ils hurlaient. « J'ai attrapé la main de quelqu'un, mais la fenêtre était trop petite », s'est rappelé Mohammed. « J'ai essayé à nouveau. Je pouvais sentir leurs cheveux. J'ai vu une main, une montre et un anneau, puis des cheveux. Ils étaient déjà dans l'eau. J'ai nagé pour m'éloigner car je ne pouvais plus supporter d'entendre les hurlements sans pouvoir les aider. »
Le bateau s'est retourné avec une autre vague. Fadi Mansurati, 25 ans, a vu disparaitre sa soeur de 26 ans, Rose, et son fils de sept ans, Karlos. Sa nièce Marita, âgée de quatre ans, s'était hissée hors de la cabine. « Je l'ai attrapée immédiatement et je l'ai serrée contre moi », a-t-il expliqué. La petite fille hurlait en appelant sa mère. « Je pensais à ma famille dans la cabine », a-t-il indiqué. « Je me disais qu'ils allaient survivre. »
Fadi a tenu Marita serrée alors qu'elle hurlait en cherchant sa mère. « Ne t'inquiète pas. Mama va venir », lui a-t-il dit. En quelques minutes, ses hurlements se sont transformés en cris plus doux. L'eau était glaciale. Après une heure, il pouvait sentir que le corps de la fillette s'était refroidi. Marita était morte. Il a lâché son corps sans vie dans l'eau.
Puis Fadi a regardé le père de Marita, âgé de 36 ans, Josef Daoud, qui a enlevé son gilet de sauvetage pour se laisser couler sous les vagues. Fadi voulait les suivre dans la mort. Mais Mohammed l'a frappé pour l'empêcher de se suicider. Il l'a frappé à nouveau pour le maintenir éveillé.
Deux des survivants, Maher*, 47 ans, et Somar*, 22 ans, ont nagé vers le rivage. Maher a utilisé sa veste, qui contenait également ses papiers et de l'argent, comme un gilet de sauvetage. Il tremblait de froid et s'attendait à mourir.
Mais la guerre de Syrie a surgi dans son esprit. Qu'arriverait-il à son fils adolescent et à sa femme dans la ville syrienne d'Idlib s'il venait à périr ? Maher avait promis à sa femme qu'il allait gagner suffisamment d'argent pour qu'ils puissent vivre à Amsterdam ou à Bruxelles. Chacun d'eux rêvait de ces villes.
« J'ai donc choisi de lutter contre la mort avec ma peur », a déclaré Maher. « Dieu et l'image de mon fils dans mon esprit m'ont maintenu en vie. Mon fils me parlait. 'Je veux dormir à côté de toi. Ne t'en va pas, Papa. Ne me laisse pas.'"
Somar s'est mis à nager à côté de Maher. C'est un chrétien de la région de Hama. Il a vu son rêve de devenir ingénieur en électricité s'envoler au fur et à mesure de la propagation du conflit. Il était fatigué de tout cela. Il n'y avait pas d'avenir en Syrie. L'avenir était de l'autre côté de la rive. Ils ont prié l'un à côté de l'autre en s'aidant à tenir bon.
Pendant la nuit, les survivants ont pu voir les lumières de navires de passage. Une fois, un navire est venu vers eux, puis il a disparu au loin. Avant l'aube, ils ont entendu les moteurs d'un bateau de patrouille turc.
Avant le naufrage de leur embarcation, l'un des passagers avaient réussi à lancer un appel d'urgence à la rive grecque. Les autorités des deux côtés du détroit ont été avisées et ils ont recherché conjointement les réfugiés pendant plusieurs heures. Sur le bateau turc, un marin a jeté une bouée de sauvetage aux passagers. Une fois à bord, ils ont reçu des couvertures avant d'être transférés vers un navire grec, qui les a transportés vers la côte.
Quelques jours après, les cousins et oncles de Fadi sont arrivés depuis la Suède. Ils ont enterré Marita, Karlos, Joseph et sa femme dans un cimetière sur une colline verdoyante non loin de la rive. Près de leurs tombes se trouvent d'autres tombes numérotées où sont enterrées des personnes ayant péri lors de précédentes tentatives de traversée vers la Grèce.
Désormais, Fadi n'a plus aucun membre de sa famille en Syrie. Ses proches ont péri en mer lors du voyage. « La seule famille qui me reste vit en Suède, » a-t-il indiqué. « C'est donc là que je dois me rendre. »
*Noms fictifs pour des raisons de protection
Par Greg Beals en Grèce