Des réfugiés oubliés en Europe
Des réfugiés oubliés en Europe
RIPANJ, Serbie, 12 janvier (UNHCR) - Miljo Miljic et sa famille vivent dans un appartement spartiate à Ripanj, un village serbe. Chez eux, il n'y a ni photos de famille, ni cadres, ni livres, ni souvenirs. Rien ne rappelle leur ancienne vie à Tuzla, leur ville natale située en Bosnie-Herzégovine.
« Nous n'avons rien pris avec nous car nous n'avons pas eu le temps. Nous devions fuir pour notre survie. La seule chose que l'on a en tête dans une telle situation, c'est la survie de nos enfants et la nôtre », a dit Miljo Miljic. « On ne pense ni à ses photos, ni à ses documents personnels, ni à ses vêtements, on ne pense à rien si ce n'est la survie. »
Miljo, sa femme Milica, son fils Milutin et sa fille Stanislava sont des réfugiés, ils ont été forcés à fuir Tuzla en 1992. Tout ce qui reste de leur passé et de leur identité, c'est une carte de réfugié. Miljo et sa femme ont laissé derrière eux toutes leurs possessions lorsqu'ils ont fui dans l'urgence avec leurs enfants.
Plus d'un demi million de civils ont fui vers la Serbie depuis la Bosnie-Herzégovine et la Croatie durant les conflits survenus dans les années 90. L'intégration locale s'est déroulée avec succès, près de 200 000 anciens réfugiés étant devenus des citoyens serbes. Quelque 90 000 réfugiés restent toutefois dans la plus importante situation de réfugiés en Europe. Nombre d'entre eux vivent dans des conditions désespérées et leur avenir est sombre.
L'expérience vécue par la famille Miljic est relativement commune. A son arrivée en Serbie, elle a été hébergée avec 350 autres réfugiés dans le centre collectif de Suplja Stena au sud de Belgrade, la capitale serbe. C'était en fait un camp de réfugiés. La famille Miljic dormait dans une pièce unique avec 27 autres personnes qui se partageaient aussi la salle de bains, les toilettes et la cuisine.
Milica Miljic a indiqué que c'était la période la pire de sa vie. « C'était horrible quand nous sommes arrivés au centre collectif. Je voulais en finir avec la vie, mais nous devions nous occuper de deux petits enfants », se rappelle-t-elle. La situation s'est quelque peu améliorée quand la famille a reçu sa propre chambre.
Ils sont restés à Suplja Stena jusqu'en 2003, lorsque le centre collectif a été privatisé puis vendu. Même si le centre n'était prévu que pour être une solution temporaire pour les réfugiés en Serbie, cela a été une nouvelle souffrance pour les Miljic que d'être jetés à la rue et devoir se défendre seuls.
Dans la ville proche de Ripanj, ils ont loué un appartement de deux pièces avec une salle de bains. Ils y vivent encore aujourd'hui, mais leur quotidien s'avère toujours une lutte. « Nous vivons avec ce que nous gagnons au jour le jour, nous ne savons jamais quand arrivera le travail suivant. C'est très difficile de s'occuper ainsi de deux enfants et de les scolariser », a expliqué Miljo. La vie est plus facile l'été quand ils peuvent trouver du travail pour nettoyer les maisons de vacances et les jardins, mais l'hiver c'est vraiment difficile pour eux de joindre les deux bouts.
Miljo et Milica pensaient rentrer à Tuzla, mais leur vieille maison a été vidée et pillée et ils ne s'y sentaient pas en sécurité. Ils ont pensé à vendre leur bien, mais ils n'auraient pas suffisamment reçu du produit de la vente pour construire une nouvelle maison. De plus, leurs enfants ont grandi en Serbie. Alors ni le rapatriement, ni la réinstallation ne sont la solution.
Il reste l'intégration locale. Mais prendre la nationalité serbe ne leur garantira ni un emploi ni une nouvelle maison, le gouvernement manquant de moyens ne pouvant allouer une aide conséquente, dans le cadre de ses programmes sociaux pour le bien-être. Alors ils gardent leurs cartes de réfugiés, qui leur permettent de bénéficier des soins médicaux de base et de recevoir une aide humanitaire occasionnelle du HCR et de ses partenaires.
Miljo et Milica sont toutefois conscients qu'un jour leur statut de réfugié sera révoqué car ils ne pourront plus prouver que leur vie est en danger car les causes profondes du problème des réfugiés dans les Balkans ont presque cessé d'exister. Ils devront toujours trouver du travail pour payer leur nourriture, leur loyer et leurs factures médicales à l'âge de la retraite.
Au moins, ils ont réussi malgré leurs difficultés à ce que leurs enfants aient reçu une éducation convenable. Cela a été leur investissement pour l'avenir. Milutin est toujours au lycée, mais Stanislava, qui a demandé la nationalité serbe, fait un stage dans un hôpital de Belgrade après avoir fini ses études d'infirmière.
Les parents mettent tous leurs espoirs pour que Stanislava trouve un emploi convenable, même si le chômage est élevé en Serbie et que les perspectives économiques sont défavorables. « Nous voulons simplement que nos enfants finissent leurs études, qu'ils trouvent un emploi et qu'ils aient une vie meilleure que la nôtre. Je ne pense plus à nous mais à eux », a expliqué Miljo.
Le HCR fait son possible pour aider ces personnes, mais l'agence pour les réfugiés dispose aussi de ressources limitées et la situation ne s'améliorera sans doute pas avec la récession actuelle. « Je ne pense pas que nous pourrons aider tout le monde », a dit Lennart Kotsalainen, délégué du HCR en Serbie, en ajoutant que le gouvernement et la communauté internationale devraient au moins aider les personnes les plus vulnérables.
Récemment, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés a de nouveau souligné le fait de trouver des solutions pour les situations de réfugiés prolongées, qui comptent à travers le monde près de six millions de personnes en exil depuis au moins cinq ans - et pour certaines depuis des dizaines d'années. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a indiqué le mois dernier que la volonté politique était une condition sine qua non pour trouver des solutions durables.
Il a ajouté que chacune des situations de réfugiés prolongées était unique et que les solutions devaient être globales, par une approche combinée qui peut inclure le rapatriement, l'intégration locale et la réinstallation dans un pays tiers. Pour les Serbes de Croatie comme la famille Miljic, une solution réelle et durable semble encore lointaine.
Par Andrej Mahecic à Ripanj, Serbie