Les réfugiés dans le monde : 50 ans d'action humanitaire
Les réfugiés dans le monde : 50 ans d'action humanitaire
Dans un livre qui paraît aujourd'hui en anglais, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés analyse l'accroissement incontrôlable des demandes d'asile dans les pays développés, prédisant que celui-ci ne verra de répit que lorsque la communauté internationale s'attaquera aux racines des conflits et aidera des millions de déracinés dans leurs propres régions.
L'ouvrage, intitulé « Les réfugiés dans le monde : 50 ans d'action humanitaire » replace dans une perspective historique les grands mouvements de réfugiés au cours des cinq dernières décennies, tout en décrivant les opérations qui ont fait du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés l'une des plus importantes agences humanitaires de l'ère moderne. L'évolution des grands textes juridiques internationaux constituant le fondement de la protection des réfugiés est aussi passée en revue, dans un monde qui ferme de plus en plus fréquemment ses portes aux personnes déracinées.
Le livre fournit également une perspective intéressante des enjeux politiques de l'action humanitaire internationale. Il décrit les situations sociales et politiques qui forcent les personnes à fuir leur foyer ainsi que les réponses mises en oeuvre par la communauté internationale, s'appuyant largement sur des témoignages directs recueillis auprès du personnel du HCR ainsi que sur la vaste collection d'archives de l'organisation, qui a tout récemment été ouverte au public.
D'autres sujets particulièrement sensibles qui relèvent de la protection des réfugiés sont abordés, tels que le danger de la militarisation des camps de réfugiés, l'intervention militaire et les cas de rapatriement forcé.
Créé par une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1950, le HCR ne disposait que d'une équipe de 33 personnes et d'un budget de 300 000 dollars lorsqu'il ouvrit ses portes le 1er janvier 1951. Son mandat initial, qui devait se limiter à trois ans, consistait à fournir une aide pour la réinstallation d'un million de réfugiés déracinés en Europe par la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, l'agence dont le siège se trouve toujours à Genève, est présente dans 120 pays, emploie 5 000 personnes pour un budget annuel de près d'un milliard de dollars et procure une assistance à quelque 22,3 millions de personnes dans le monde.
Dans la préface, Madame Sadako Ogata, Haut Commissaire de l'agence pendant la dernière décennie, explique que cet anniversaire ne devrait pas faire l'objet de célébrations. Bien au contraire, la longévité du HCR ne peut que mettre l'accent sur les insuffisances de la communauté internationale à prévenir et éradiquer l'injustice, la persécution, la pauvreté et les autres calamités qui poussent les personnes à fuir leur foyer, leur patrie. « L'action humanitaire n'a que peu de poids si elle n'est pas assortie de mesures stratégiques et politiques concrètes pour éradiquer les causes de conflits », écrit-elle après dix années à la tête de l'organisation. « L'action humanitaire ne suffit pas à elle seule à résoudre des problèmes qui, fondamentalement, relèvent de la politique. »
Tandis que le monde entre dans une nouvelle ère, marquée par des mouvements de population d'une ampleur inégalée et un durcissement des politiques d'asile, l'ouvrage s'attache à démontrer que les pays riches continueront de se heurter aux problèmes des réfugiés et de l'immigration illégale, tant qu'ils ne s'attaqueront pas aux racines du mal. « Si la disparité entre les nations riches et les nations pauvres ne cesse pas d'augmenter, et si l'on n'encourage pas les pays en voie de développement à mettre en place, chez eux, les moyens de protection nécessaires pour enrayer les flots de personnes déplacées et assister ceux qui en ont besoin, alors ces derniers se tourneront, de plus en plus, vers les pays les plus aisés, leur seul espoir. »
Constatant que les modifications juridiques apportées par les pays industrialisés à leur système d'asile n'ont pour objectif que de contrôler l'immigration illégale - y compris les migrations économiques - le livre souligne que ce faisant, les Etats passent à côté de certaines obligations vis-à-vis des personnes ayant un réel besoin de protection.
« Les Etats industrialisés ont une responsabilité particulière en matière de protection des réfugiés. Non seulement ce sont eux qui ont rédigé, il y a cinquante ans, les instruments juridiques essentiels relatifs aux réfugiés ainsi qu'aux droits de l'homme, mais aussi et surtout, la façon dont ils accueillent les réfugiés déterminera, par effet d'exemple, la façon dont beaucoup d'autres Etats accueilleront des réfugiés dans les années à venir. »
Plusieurs mesures, mises en place par les Etats pour décourager ce qu'ils appellent « les afflux mélangés d'immigrants et de réfugiés », sont ainsi passées en revue. Mais ces politiques ont aussi largement contribué à brouiller la distinction entre un réfugié et un migrant économique et ont eu pour conséquence de généraliser la perception que le réfugié est un hors-la-loi.
Malgré toutes les ressources consacrées par les gouvernements - en particulier européens - au contrôle des frontières, ce durcissement des politiques de migration et d'asile ne résout en rien l'accroissement incontrôlé des entrées illégales. Bien au contraire, ces mesures ont poussé les candidats à l'asile à faire appel aux trafiquants pour parvenir à leurs fins.
« Avec la fermeture des voies d'accès habituelles, de plus en plus de réfugiés se tournent vers les trafiquants, compromettant ainsi leurs chances d'obtenir l'asile légal auprès de nombreux Etats », explique le livre. « Considérant aussi que de plus en plus d'Etats ont recours à la détention des demandeurs d'asile en attendant l'examen de leur dossier, cette attitude contribue à former dans l'opinion publique une image du réfugié criminel. »
Certains Etats, frustrés par l'inefficacité de leurs efforts pour contrôler l'immigration, en viennent à proposer des mesures de plus en plus radicales. Ainsi, par exemple, l'idée d'une « ligne de défense » pour protéger l'Europe des immigrants clandestins et demandeurs d'asile - assortie à des appels fréquents en faveur d'une révision ou d'un nouveau texte de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la pierre angulaire du mandat du HCR.
« L'idée sous-jacente consiste à faire porter à la Convention la responsabilité pour l'incapacité des Etats à endiguer l'immigration indésirable - un domaine totalement étranger à sa raison d'être première », précise le livre. L'ironie du sort voulant que les contestations les plus virulentes de la Convention proviennent d'Europe, le continent qui a été le maître d'oeuvre de sa création.
D'autres thèmes traités dans « Les réfugiés dans le monde » incluent :
Les premières années.
L'ouvrage décrit la toute première mission du HCR, qui était de venir en aide aux réfugiés européens déracinés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; son intervention en faveur des réfugiés hongrois fuyant la répression soviétique en 1956 ; les crises qui ont éclaté lors du processus de décolonisation en Afrique ; l'exode de millions d'individus au Bangladesh en 1971 ; la tragique saga des réfugiés indochinois à partir des années 70 ; et les déplacements massifs de population en Afghanistan, dans la corne de l'Afrique et en Amérique centrale suite à des conflits sans fin dans les années 80.
Les années 90.
Le livre se penche sur les grands défis de cette décennie, notamment le déplacement des populations dans l'ex-Union soviétique ; les répercussions de la guerre du Golfe et l'exode des Kurdes du nord de l'Iraq ; le durcissement des politiques d'asile en Europe et en Amérique du Nord ; et les crises récentes dans les Balkans, dans la région des Grands Lacs d'Afrique, au Timor oriental et dans le Caucase.
L'Amérique du Nord et l'Europe.
Le livre analyse quelles seront les conséquences sur les demandeurs d'asile des nouvelles mesures adoptées par les Etats du monde industrialisé pour contrôler et limiter l'accès à leur territoire. Il décrit également le rôle important de l'Amérique du Nord qui a toujours soutenu la cause des réfugiés et défendu le principe de la réinstallation permanente, ainsi que la politique de « deux poids deux mesures » pratiquée par les Etats-Unis face aux demandeurs d'asile cubains et haïtiens ; la politique d'interception des Haïtiens en haute mer ; la détention des demandeurs d'asile ; et la loi controversée de 1996, l'Illegal Immigration Reform and Immigration Responsibility Act.
Les personnes déplacées.
Au cours des 50 années écoulées, la mission du HCR qui est d'apporter protection et assistance aux réfugiés de la planète n'a pas changé. Toutefois, son action en faveur des personnes déplacées - les individus qui n'ont pas traversé de frontière internationale pour chercher refuge dans un autre pays - s'est considérablement accrue. Mais le débat reste ouvert quant à la désignation de l'organisation qui sera chargée de venir en aide aux 20 ou 25 millions de personnes déplacées.
Sécurité.
Aujourd'hui, assurer la sécurité du personnel humanitaire et des réfugiés est une tâche des plus ardues dans un monde où le déplacement des civils est devenu un enjeu de guerre, et ceux qui aident les victimes, la cible des belligérants. Maintes fois, le livre explique, les organismes humanitaires, comme le HCR, se sont retrouvés isolés et seuls dans des situations difficiles et dangereuses, travaillant sans un soutien financier et politique adéquat.
Une réponse inégale.
L'action entreprise par les gouvernements pour répondre à une situation d'urgence dépend de l'importance stratégique que cette crise représente pour eux. En 1999, le HCR a reçu plus de 90 % des fonds qu'il avait sollicités pour ses opérations dans l'ex-Yougoslavie, tandis qu'environ 60 % seulement des besoins pour les programmes en Afrique étaient satisfaits. On a dépensé environ 120 dollars par personne dans l'ex-Yougoslavie en 1999, soit trois fois plus que les 35 dollars par personne reçus pour les réfugiés de l'Afrique de l'Ouest.
La reconstruction.
Lorsque la paix a été rétablie, la communauté internationale doit s'engager davantage pour reconstruire les pays ravagés par la guerre et favoriser la réconciliation nationale. Trop souvent, cet engagement a fait défaut et les conflits ont repris de plus belle. Il faut adopter une approche systématique afin de renforcer les institutions démocratiques et la bonne gestion du gouvernement dans les pays qui traversent une période de transition de la guerre à la paix. « Les problèmes de déracinement qui ne sont pas résolus, peuvent irrémédiablement compromettre la résolution des conflits et une paix solide », lit-on dans le livre.
Les orientations pour le financement.
Le budget du HCR a considérablement augmenté - de 300 000 dollars en 1951 à près d'un milliard par année aujourd'hui. Mais les fonds disponibles pour secourir les réfugiés sont bien limités, un petit nombre d'Etats assurant le gros du financement nécessaire. En 1999, l'Amérique du Nord, le Japon et les pays de l'Europe occidentale ont versé 97 % de toutes les contributions gouvernementales.