La faim, et des choix difficiles, pour les réfugiés luttant pour leur survie en Afrique
La faim, et des choix difficiles, pour les réfugiés luttant pour leur survie en Afrique
Tiraillés par la peur, la faim et la soif, la jeune Habiba, 24 ans, et ses quatre enfants ont franchi la frontière en quête de sécurité au sud du Tchad une fin d'après-midi de mai, au terme d'une marche très éprouvante de trois mois à travers la brousse centrafricaine. Ils avaient enfin trouvé un refuge et obtiendraient bientôt de l'aide.
A son arrivée, Habiba était tellement affaiblie et déshydratée par l'épreuve endurée pendant trois mois qu'elle était incapable d'allaiter sa fille de deux mois, Ramatou. Le minuscule nourrisson souffrant de malnutrition est né en pleine forêt, un mois après que la famille a été contrainte de fuir leur maison à Bouguere, en République centrafricaine, pays déchiré par le conflit.
« Les enfants avaient constamment faim », a déclaré Habiba, affamée et épuisée, le lendemain de son arrivée au Tchad. « Nous marchions pendant des kilomètres pour trouver de l'eau. J'ai donné naissance à ma fille dans les broussailles, au milieu de la forêt. Mais comme je n'avais rien à manger, je n'avais plus de lait ».
Habiba et ses enfants font partie des milliers de réfugiés désespérés qui arrivent chaque semaine au Tchad et à la frontière de nombreux autres pays d'Afrique en quête de sécurité et d'une aide de première nécessité, notamment des vivres. Ils s'ajoutent aux 2,4 millions d'autres réfugiés dispersés dans quelque 200 sites dans 22 pays africains qui dépendent de l'aide alimentaire régulière du Programme alimentaire mondial (PAM). Mais la faim ne s'arrête pas toujours à la frontière, comme l'a constaté Habiba lorsque les employés du HCR ont aidé à la transférer vers le camp de réfugiés de Dosseye dans le sud du Tchad.
Dans le camp de Dosseye et dans au moins 50 autres sites situés dans neuf pays africains, un grave manque de financement - auquel s'ajoutent des problèmes sécuritaires et logistiques dans certaines zones - contraint à des réductions atteignant 60% des rations alimentaires fournies par le PAM à destination de près de 800 000 réfugiés. Mi-juin, un tiers de tous les réfugiés africains dépendant de l'aide alimentaire étaient touchés par les réductions de rations, dont la majorité à hauteur de plus de 50%.
« Il est inacceptable dans le monde d'abondance actuel que des réfugiés souffrent de faim chronique ou que leurs enfants abandonnent l'école pour aider leurs familles à survivre », a déclaré le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres.
Ertharin Cousin, Directeur exécutif du PAM, a ajouté : « De nombreux réfugiés en Afrique dépendent des vivres du PAM pour rester en vie et ils souffrent aujourd'hui à cause des manques de financement. Nous prions instamment les gouvernements donateurs d'aider tous les réfugiés - dont la moitié d'entre eux sont des enfants - afin qu'ils aient suffisamment de nourriture pour être en bonne santé et pour construire leur propre avenir ».
Le PAM doit lever 186 millions de dollars pour maintenir ses programmes alimentaires à destination des réfugiés en Afrique jusqu'à la fin de l'année. En outre, le HCR recherche des contributions pour couvrir le coût anticipé de 39 millions de dollars destiné à fournir un soutien nutritionnel aux réfugiés malnutris et vulnérables en Afrique pour le reste de l'année 2014.
Les réductions de rations alimentaires touchent le plus lourdement le Tchad, la République centrafricaine et le Soudan du Sud, avec des baisses de 50 à 60% affectant 449 516 réfugiés au total. 65 354 autres réfugiés sont touchés par des réductions de rations de 25 à 49% au Liberia et au Burkina Faso. Près de 9 900 réfugiés au Mozambique et au Ghana ont vu leurs rations baisser de 10 à 24%, tandis que 263 000 autres réfugiés en Mauritanie et en Ouganda ont connu des réductions inférieures à 10%.
Bien que plusieurs nations africaines soient confrontées à des pénuries alimentaires chroniques, les réfugiés constituent un groupe particulièrement vulnérable et toute interruption des approvisionnements représente un grave sujet de préoccupation. Comme Habiba et sa famille, beaucoup de réfugiés arrivent en état de malnutrition et souffrent de divers troubles liés à la nutrition. Un grand nombre d'entre eux ont besoin d'un complément alimentaire urgent et d'autres soins sur le long terme, en particulier les enfants sous-alimentés.
Mais aujourd'hui, le manque de financement a contraint le PAM à prendre des mesures fermes et drastiques, plaçant les familles réfugiées devant des choix très difficiles. Quelque 300 000 réfugiés au Tchad, principalement originaires de la région du Darfour au Soudan, à l'est, et de la République centrafricaine, dans le sud, font partie des personnes les plus touchées. Leur ration antérieure de 2 100 kilocalories a connu une diminution drastique de 60%, laissant aux réfugiés à peine 850 kilocalories par jour. La situation s'aggrave de jour en jour, tandis que des centaines de milliers de réfugiés affamés luttent pour leur survie.
Incapables de rentrer chez eux, de nombreux réfugiés restent en exil pendant des années voire des décennies dans ce que le HCR appelle des 'situations de réfugiés prolongées'. Dans toute l'Afrique, des centaines de milliers de réfugiés de long terme vivent dans des camps isolés et d'autres sites où ils dépendent souvent totalement de l'aide internationale et d'un pipeline alimentaire parfois précaire. Les camps dans l'est du Tchad constituent un bon exemple. Bien que le Darfour ait largement disparu de la conscience publique ces dernières années, quelque 241 000 réfugiés originaires de cette région du Soudan vivent toujours dans une chaine de 13 camps isolés s'étendant sur des centaines de kilomètres de frontière désolée à l'est du Tchad.
Veiller à ce que tous les réfugiés africains installés dans des camps très vastes - que ce soit de nouveaux arrivants comme Habiba et sa famille ou des réfugiés dans des situations prolongées - bénéficient de suffisamment de nourriture est une tâche colossale qui nécessite des centaines de millions de dollars, une logistique extrêmement complexe et un soutien international pérenne. En ce moment, ce soutien fait défaut et ce sont les réfugiés qui en pâtissent.
L'insécurité a limité l'accès à certains sites, rendant la distribution des rations alimentaires aux réfugiés affamés plus difficile et plus coûteuse. Au Soudan du Sud, par exemple, le conflit a coupé l'accès routier et fluvial vers certains camps, contraignant le PAM à organiser des ponts aériens coûteux, amputant ainsi les fonds disponibles. Des mesures immédiates sont nécessaires pour assurer à la fois l'accès humanitaire et des financements pérennes.
Une réduction prolongée de 60% des rations alimentaires pour les réfugiés peut être catastrophique. Mais même une faible diminution peut représenter une catastrophe pour les réfugiés vulnérables qui vivent déjà au bord de la famine.
La sous-nutrition au cours des 1 000 premiers jours d'un enfant depuis la conception peut avoir des répercussions irréversibles et à vie, compromettant tant sa croissance physique que son développement mental. Les études ont montré que ce 'retard de croissance/développement' laissait les enfants touchés dans une situation de désavantage social et économique grave pour le reste de leur vie. Selon l'UNICEF, un enfant rachitique a souvent plusieurs centimètres de moins qu'un enfant qui a été correctement alimenté. Doté d'un système immunitaire plus faible, ils sont plus vulnérables aux maladies. En outre, ils ont cinq fois plus de risques de mourir de diarrhée.
Le risque pour l'enfant est encore plus grand si la mère, comme Habiba, souffre elle-même de malnutrition pendant sa grossesse et est ensuite incapable d'allaiter son enfant. C'est la raison pour laquelle le HCR s'empresse d'identifier les réfugiés les plus vulnérables et de veiller à ce qu'ils bénéficient d'une aide nutritionnelle supplémentaire moyennant des programmes d'alimentation supplémentaire pour mères et enfants.
Cependant, les réductions récentes de 60% au Tchad signifient que les réfugiés ne peuvent pas obtenir toute l'aide dont ils ont besoin. A Dosseye, par exemple, le centre de santé a épuisé ses stocks de nourriture supplémentaire pour femmes enceintes et allaitantes - des produits comme de la farine, du sucre et de l'huile qui pourraient aider Habiba à retrouver des forces et la capacité d'allaiter son bébé. Maintenant, la frêle Ramatou va devoir lutter pour survivre sans le lait maternel nourrissant.
Selon un document technique récent publié par le HCR et le PAM, « le coût humain et économique de la sous-nutrition est énorme, affectant principalement les très pauvres et les femmes et les enfants ». « Dans les pays en développement, presqu'un tiers des enfants sont trop maigres ou rachitiques. La sous-nutrition contribue à plus d'un tiers des décès infantiles et à une fréquence, une sévérité et une durée accrues des maladies infectieuses ».
Même avant les réductions récentes de rations alimentaires, les enquêtes de nutrition dans plusieurs camps de réfugiés en Afrique entre 2011 et 2013 avaient montré que la malnutrition sévère, le rachitisme et l'anémie atteignaient des niveaux critiques chez les enfants. Seul un camp sur les 92 camps couverts par l'enquête, par exemple, répondait à l'objectif du HCR de moins de 20% des enfants réfugiés souffrant d'anémie. Et moins de 15% des camps couverts par l'enquête satisfaisaient l'objectif de moins de 20% de rachitisme chez les enfants.
Les enquêtes montraient aussi que les taux de malnutrition sévère globale parmi les enfants réfugiés âgés de 6 à 59 mois atteignaient un niveau inacceptable dans plus de 60% des camps couverts par l'enquête. Cela signifiait que ces sites ne parvenaient pas à répondre à l'objectif d'un taux de malnutrition sévère globale de moins de 10% fixé par le HCR.
Compte tenu de l'extrême vulnérabilité des réfugiés, le HCR et le PAM ont mené des efforts concertés ces cinq dernières années pour améliorer les normes nutritionnelles dans les camps de réfugiés. Ils ont notamment pris des mesures pour prévenir et traiter les carences micro nutritives à l'origine du rachitisme, de l'anémie et d'autres affections. Le programme micro nutritif a contribué à ralentir voire à inverser les taux en hausse de ces problèmes liés à la nutrition dans certaines zones. Mais le HCR estime qu'un réel succès pour combattre la sous-nutrition généralisée parmi les réfugiés nécessitera un soutien et une attention pérennes. Et les gains remportés de haute lutte ces cinq dernières années pourraient être désormais perdus en raison du manque actuel de financement et de nourriture.
Après avoir fui leur pays d'origine avec à peine plus que leurs vêtements sur le dos, la plupart des réfugiés ont peu ou pas de ressources supplémentaires pour compenser les réductions de nourriture pour leurs familles. Leurs possibilités sont gravement limitées, en particulier dans les camps où ils ont peu ou pas accès au travail, aux terres agricoles ou de pâturage, ou à d'autres moyens d'autosuffisance.
Certains d'entre eux ont recours à ce que l'on appelle les 'stratégies négatives d'adaptation', ce qui crée une série de problèmes supplémentaires. On constate notamment une augmentation de l'abandon scolaire car les enfants réfugiés cherchent du travail pour aider à acheter de la nourriture pour leur famille ; l'exploitation et les abus envers les femmes réfugiées qui s'aventurent hors des camps en quête de travail ou de terres à cultiver ; 'le sexe de survie' par les femmes et les filles tentant de gagner de l'argent pour acheter de la nourriture ; les mariages précoces de jeunes filles ; une augmentation du stress et de la violence domestique au sein des familles et un plus grand nombre de cas de vols et d'autres activités générant des tensions au sein des camps et avec les communautés voisines.
« Nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés depuis que les rations alimentaires ont été réduites en janvier », explique Khatr Maghiba Adam, la responsable du comité des femmes réfugiées dans le camp d'Iridimi dans l'est du Tchad. « Nous ne savons pas quoi faire… Certaines femmes ne peuvent pas allaiter ; elles n'ont plus de lait. Les femmes quittent le camp pour travailler à Iriba et laissent leurs enfants. Nous appelons à l'aide ».
Hadja and Fatima, toutes deux âgées de 16 ans, ont fui le Darfour avec leurs familles en 2004 et vivent depuis lors dans le camp d'Iridimi. Appartenant chacune à une fratrie de sept enfants, elles ont quitté l'école et le camp à la recherche d'un travail dans la ville voisine d'Iriba pour aider leurs mères à nourrir leur famille.
« Tous mes frères vont à l'école », déclare Fatima. « Mais j'ai vu ma mère souffrir et j'ai quitté l'école pour l'aider. Je suis l'ainée ».
Hadja, dont le père est parti il y a six ans et dont la mère, malade, est incapable de subvenir aux besoins de la famille, a abandonné l'école au niveau collège. Les enseignants du camp remarquent que les effectifs des classes ont diminué depuis que les rations ont été réduites au début de l'année.
« Aujourd'hui, seuls 26 élèves sur 59 viennent en classe », affirme Abdel Alim Fadoul, enseignant à Iridimi. « Les autres travaillent sur le marché hebdomadaire à Iriba. Si la situation continue ainsi, il n'y aura bientôt plus d'enfants dans les écoles ».
Hadja et Fatima ont rejoint environ 50 autres femmes et filles de différents camps qui dorment désormais à même le sol sous un arbre à Iriba. Chaque jour, elles parcourent la ville poussiéreuse à la recherche d'un travail ; le soir, elles mettent en commun leurs maigres ressources pour acheter de la nourriture pour un repas collectif. Elles fabriquent des briques, construisent des murs, portent de l'eau et des graviers, font des travaux domestiques, coupent du bois de chauffage et effectuent d'autres corvées - tout cela pour quelques livres soudanaises par jour. Parfois, les habitants de la ville profitent d'elles.
« Certaines femmes pour lesquelles nous travaillons sont méchantes; elles nous renvoient après notre travail sans nous payer », déplore Fatima, qui vient de passer deux jours à effectuer des corvées domestiques sans être payée.
Certaines des filles qui vivent sous l'arbre ont eu recours à la prostitution pour aider à nourrir leur famille. « Il y a des filles qui habitent avec nous mais qui disparaissent la nuit », déclare Fatima. « Elles reçoivent des appels téléphoniques et elles partent… L'une d'elles a même accouché d'un enfant. Nous connaissons toutes la situation, mais nous ne faisons pas cela. Nous restons avec les femmes ici [sous l'arbre] ».
Les réfugiés qui connaissent une famine chronique sont confrontés à un cercle vicieux de pauvreté, insécurité alimentaire, malnutrition, risque accru de maladies et stratégies d'adaptation dangereuses. Il est crucial d'améliorer la nutrition et la sécurité alimentaire. C'est la raison pour laquelle le HCR, le PAM, l'UNICEF et leurs partenaires ONG adoptent les méthodes les plus modernes en matière de nutrition et de sécurité alimentaire pour les personnes déracinées et s'efforcent d'améliorer les services dans les domaines connexes comme la santé reproductive, la malaria et la survie de l'enfant.
Mais tout ce travail nécessite un soutien international pérenne.
« Le nombre de crises dans le monde dépasse de loin le niveau des financements disponibles pour les opérations humanitaires, et les réfugiés vulnérables dans les opérations critiques tombent à travers les mailles », a déclaré António Guterres.
La sécurité alimentaire des réfugiés ne relève pas uniquement de la responsabilité des gouvernements donateurs. Pour stabiliser la situation, beaucoup de choses peuvent être faites par les organisations sur le terrain, les gouvernements des pays d'accueil, les autorités locales et les réfugiés eux-mêmes. Par exemple, le HCR et le PAM encouragent les gouvernements africains à allouer des terres agricoles et des pâturages aux réfugiés pour renforcer leur autosuffisance.
Les réfugiés qui ont fui la République centrafricaine pour se réfugier au sud du Tchad entre 2004 et 2006 se sont vu allouer des terrains d'une surface pouvant aller jusqu'à deux hectares lorsqu'ils sont arrivés. Cet accès aux terres agricoles les a aidés à nourrir leurs familles, à générer des revenus pour payer la scolarité de leurs enfants et à compenser les réductions actuelles des rations alimentaires.
Une enquête récente du HCR portant sur des sites de réfugiés dans 30 pays africains a révélé une utilisation des terres de niveau modéré à élevé par les réfugiés pour l'agriculture dans 42% des sites. Le même pourcentage signalait que les réfugiés avaient actuellement accès à des pâturages adéquats dans les camps et autour. Lorsque c'est viable, élargir cet accès pourrait considérablement développer l'autosuffisance parmi les réfugiés dans d'autres endroits.
Cependant, les terres arables étant rares dans de nombreuses régions d'Afrique, le HCR et le PAM demandent également instamment aux gouvernements des pays d'accueil et aux autorités locales d'accorder aux réfugiés le droit au travail et un accès plus important aux marchés locaux. Ces mesures bénéficieraient non seulement aux réfugiés, mais également aux communautés locales. Les organisations sont également déterminées à promouvoir l'autosuffisance des réfugiés dès que possible dans les urgences futures, afin de réduire la dépendance à long terme.
L'augmentation de la distribution d'espèces et de coupons d'aide alimentaire figure parmi les autres moyens d'encourager la sécurité alimentaire tout en renforçant les marchés locaux. Dans les situations prolongées, les organisations coopéreront avec les autorités locales pour promouvoir la participation des réfugiés dans les petites entreprises afin d'augmenter l'autonomisation.
Compte tenu du manque de prévisibilité des financements, les organisations affinent également leurs méthodes pour prioriser les personnes les plus durement touchées par les réductions de rations alimentaires afin de veiller à ce que les personnes les plus vulnérables soient identifiées et bénéficient de l'aide dont elles ont besoin.
Toutes ces mesures peuvent aider à soulager l'impact des coupes budgétaires et alimentaires sur le long terme. Mais il est peut-être déjà trop tard pour des dizaines de milliers de réfugiés qui souffrent comme Habiba, Ramatou, Fatima et Hadja. Ils ont besoin d'aide maintenant.