Respect de l'héritage culturel et exemple de tolérance dans un village arménien
Respect de l'héritage culturel et exemple de tolérance dans un village arménien
YEGHEGIS, Arménie, 17 juillet (UNHCR) - Niché dans une vallée entourée d'imposantes montagnes, ce village de la province de Vayots Dzor au sud de l'Arménie est une oasis de respect culturel et de tolérance dans un Caucase en proie au mécontentement.
Yeghegis est désespérément pauvre. Le principal revenu provient de la production de noix, connues pour être les meilleures du pays. Mais, ce village détient une grande richesse, faite de trésors religieux, artistiques et architecturaux. Les villageois sont fiers de cet héritage et le protègent, même s'il est l'oeuvre de l'ethnie azéri, dont les descendants ont fui la région durant le conflit de 1988 à 1994 entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Des milliers de personnes ont été tuées lors de cette guerre et plus d'un million de personnes ont été déplacées.
« Ces peintures murales font partie de l'histoire de notre village et de notre vie. Nous ne voulons pas détruire ces choses merveilleuses qui ont été réalisées par d'autres, qu'ils soient Arméniens, Azéris ou Juifs », a indiqué le maire arménien de Yeghegis, Melik Babagulyan, alors qu'il montrait aux visiteurs impressionnés le vestibule de la mairie.
Des décorations aux couleurs vives et aux motifs orientaux couvrent les murs, les piliers et les plafonds. Elles avaient été commandées par son prédécesseur, un Azéri, mais Melik Babagulyan ne voit aucune raison de les remplacer par des décors typiquement arméniens.
Yeghegis a connu des jours meilleurs. Situé sur une route reliant le sud et le nord de l'Arménie, ce village avait une grande importance stratégique et économique au Moyen Age. Les commerçants de la route de la soie passaient par là après avoir traversé le passage de Selim situé à proximité, lorsque la cour royale de l'Arménie méridionale habitait la région.
La famille Orbelian a construit un château sur une montagne surplombant la vallée et a enterré ses morts dans le cimetière local, qui existe encore. Le village de 500 personnes, pour la plupart d'anciens réfugiés naturalisés, compte aussi cinq églises historiques et une basilique, toutes relativement bien préservées.
Bien que le village soit tombé sous la souveraineté des Seljuks, et plus tard des Tatars mongols, Yeghegis est resté un bastion arménien jusqu'au 14ème siècle, lorsque des tribus turques ont pris le contrôle de cette partie du pays. Ne faisant pas confiance à leurs nouveaux sujets et conscients de l'importance stratégique de Yeghegis, les Turcs ont encouragé une ethnie proche, les Azéris, à s'installer dans la région.
La zone étant passée sous contrôle soviétique, tous les Arméniens qui s'y trouvaient en partirent. Pas un seul ne restait dans les années 50. Mais le cours des choses a changé en 1989, lorsque les tensions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur l'enclave disputée du Nagorno-Karabakh ont atteint la vallée. Cette fois, les Azéris ont fui et ont été remplacés par les réfugiés arméniens de Sumgait en Azerbaïdjan et par les populations des villages environnants.
Plutôt que de détruire l'héritage des communautés rivales, comme cela se passe souvent dans les zones de conflit dans le monde, les populations de Yeghegis ont décidé de préserver l'héritage des générations précédentes, sans tenir compte de leur race ou de leurs croyances.
Le maire Melik Babagulyan a ensuite emmené ses invités à la bibliothèque publique, dont les étagères en piteux état sont remplies de livres en arménien, russe et azéri. « Presque personne dans le village ne peut comprendre ou lire la langue azerbaïdjanaise, mais les livres étaient là et ils y resteront », a-t-il indiqué. « Peut-être un jour les Azéris nous rendront visite, et que diront-ils s'ils apprennent que nous avons jeté leurs livres. »
Ses sentiments sont partagés par les autres villageois, comme le berger Kochar Kocharyan, un Arménien né et élevé dans le village voisin à majorité azéri. « Nous devons surmonter la haine et profiter de vivre en paix. La première étape vers la paix est la compréhension et la tolérance », a indiqué cet homme de 80 ans, qui espère promouvoir ces valeurs en publiant ses traductions de poèmes azéris.
Durant la visite du village, on passe devant des églises anciennes et un cimetière rempli de Kachkars arméniens ou des croix tombales utilisées comme tombes ou mémoriaux tout particulièrement aux 12ème et 13ème siècles. A la porte suivante, une autre surprise, une salle de prière musulmane en bon état. « Ils n'ont pas touché à nos églises, ils les ont même maintenues en état. Pourquoi ne prendrions-nous pas soin de leur lieux de prière ? » a demandé avec raison Melik Babagulyan.
On découvre aussi des cimetières juifs et azéris, protégés et entretenus par les communautés locales, ce qui contraste avec de nombreux autres villages où de tels lieux ont été détruits ces dernières années. « Je prends soin des tombes des Azéris, car j'espère qu'un Azéri en fera de même avec les tombes de mes ancêtres en Azerbaïdjan », a indiqué Sergey Alkamyan, un ancien réfugié, qui a trouvé ici un nouveau foyer avec l'aide de l'UNHCR.
Le cimetière juif du 13e siècle prouve qu'existait jadis une communauté juive prospère et cultivée dans cet ancien point de passage sur la route de la soie. Une équipe de l'Université hébraïque de Jérusalem a travaillé sur le site.
Protéger est une chose, mais préserver est aussi nécessaire que les générations futures puissent apprécier les trésors multiculturels de Yeghegis. Malheureusement tout ceci pourrait n'être qu'un voeu pieux car les autorités locales ne disposent pas de moyens financiers et le gouvernement central a d'autres priorités. Mais les visiteurs sont convaincus que le village mérite de l'aide, peut-être même de donateurs étrangers.
« Je crois que ce village pourrait être un exemple extraordinaire de l'esprit de réconciliation, de la façon dont des populations ont surmonté la haine et ont su se départir des positions officielles », a dit l'un d'entre eux.
Par Peter Nicolaus à Yeghegis, Arménie