Questions/Réponses : La protection : la pierre angulaire de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés
Questions/Réponses : La protection : la pierre angulaire de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés
GENEVE, 9 février (UNHCR) - La Haut Commissaire assistante pour les réfugiés, Erika Feller, avocate de formation, a rejoint l'UNHCR en 1986 pour une mission de courte durée. Elle est restée à l'agence depuis et est maintenant responsable de ce qu'elle définit le coeur et l'âme de l'organisation, c'est-à-dire son mandat de protection. Erika Feller s'est récemment entretenue avec les rédacteurs des sites Internet de l'UNHCR à Genève, Leo Dobbs et Haude Morel. Voici quelques extraits de cet interview :
Que signifie la protection pour l'UNHCR ?
La protection englobe tout ce que nous faisons - qu'il s'agisse de la fourniture de tentes ou de nourriture, ou de la création de programmes d'éducation primaire pour de jeunes enfants, ce que nous apportons est lié à la protection. La protection améliore l'environnement dans lequel vivent les gens. Elle contribue au respect de leur dignité humaine, de leurs droits et de leur sécurité physique. La protection est une responsabilité qui a un impact sur tout ce que nous faisons, et donc doit être le moteur derrière tout ce que nous faisons.
La protection se compose de plusieurs parties. Tout d'abord, c'est quelque chose que nous apportons directement sur le terrain. C'est un résultat qui a un impact direct sur le bien-être et la sécurité des individus. Mais cela va bien au-delà.... Il s'agit aussi d'une responsabilité de plaidoyer. L'UNHCR a été créé pour défendre les droits de groupes, ou individus, particulièrement vulnérables. La protection a également une fonction normative ; pensez à tous les instruments qui existent.... Beaucoup d'autres sont en cours de préparation et s'appuient d'une manière ou d'une autre sur les principes et le cadre de protection avec lesquels nous travaillons. Notre rôle est d'y contribuer et de nous assurer que ces instruments ne fassent pas régresser [la protection].
Nous avons aussi un rôle de renforcement des capacités, car les Etats sont non seulement nos partenaires principaux, mais ils sont aussi responsables en premier lieu de fournir la protection. On ne peut pas simplement taper des poings sur la table et critiquer les Etats pour ne pas respecter les responsabilités qu'ils ont pris. Notre tâche est aussi de les aider à assumer et mettre en application avec bonne foi ces responsabilités.
Qui sont les personnes protégées par l'UNHCR ?
Nous protégeons les personnes relevant de la compétence de l'UNHCR. Mais qui sont ces personnes ? Bien évidemment les réfugiés, mais là encore c'est une question à plusieurs niveaux. Dans notre statut, il existe une définition de qui est un réfugié, et cette personne est traditionnellement définie comme étant une victime de persécutions.... De nos jours, toutefois, davantage de gens sont en fuite pour des raisons de sécurité personnelle, ce qui n'est pas nécessairement lié à des persécutions individuelles, mais plutôt à des conflits généralisés, des troubles civils ou internes ... on les appelle des victimes de la violence.
Nous savons que ces personnes relèvent de notre mandat.... Certains Etats sont absolument d'accord avec nous, d'autres acceptent le fait que nous ayons une responsabilité en la matière sans nécessairement se rendre compte que c'est aussi la leur. Très peu d'Etats ne sont pas d'accord.
Nous avons également un mandat très important concernant les apatrides.... J'entends par là des personnes qui ne sont pas des réfugiés et ne possèdent pas de nationalité effective, qui peuvent être des résidents habituels dans le pays où elles sont nées ou dans lequel elles ont grandi, mais qui n'ont pas de citoyenneté. Ces personnes peuvent se trouver dans des situations très, très difficiles de grande vulnérabilité.
Nous nous occupons aussi de plus en plus des personnes déplacées dans leur propre pays.... On les appelle les PDI, personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.... Nous discutons actuellement avec notre Comité exécutif sur l'étendue de notre mandat en faveur des déplacés, sur les implications de notre rôle en terme de protection et sur les façons d'éviter que le développement de nos activités en faveur des déplacés n'ait un impact négatif sur notre responsabilité vis-à-vis des réfugiés.
Un autre groupe de personnes relevant de la compétence de l'UNHCR sont les réfugiés qui sont rentrés dans leur pays d'origine. Théoriquement, une fois que ces personnes sont de retour dans leur pays, elles ne sont plus des réfugiés ; elles n'en demeurent pas moins vulnérables une fois rentrées chez elles.... Donc, pendant la période de leur réintégration et jusqu'à ce qu'on on puisse véritablement considérer que ces personnes ont réellement accès à une protection nationale efficace, elles continuent de relever de l'intérêt et du mandat de l'UNHCR.
Il y a une autre catégorie de personnes pour lesquelles, à un certain moment dans le temps, nous avons une responsabilité, il s'agit des demandeurs d'asile.... Notre rôle est d'assurer que les demandeurs d'asile bénéficient d'un accès adéquat aux procédures utilisées pour examiner leurs demandes et que, tant que les procédures ne sont pas terminées, ils puissent rester dans le pays [où leur demande d'asile a été présentée] ... dans des conditions de dignité et, si possible, d'autonomie.
Quels sont les défis auxquels l'UNHCR doit faire face dans le cadre de son mandat de protection ?
Un de nos principaux défis est de préserver l'accès à l'asile et ce, dans des conditions acceptables, et alors que le monde se caractérise de plus en plus par une lassitude par rapport à l'asile. Cela est dû à plusieurs raisons. Il est clair que l'environnement influencé par le terrorisme au niveau mondial n'aide pas. C'est la raison pour laquelle nombre de pays sont devenus bien plus méfiants vis-à-vis des étrangers qui arrivent à leurs frontières et déposent une demande d'asile à leur entrée. Le fait que de nombreuses personnes qui arrivent par des moyens moins que légaux n'aide pas non plus ... cela ajoute une dimension de criminalité aux demandeurs d'asile et fausse la définition de réfugié dans l'esprit des gens.
Une autre série de problèmes provient du fait qu'il n'existe pas de solution réalisable dans l'immédiat, pour de nombreuses situations de réfugiés. Celles-ci impliquent donc une responsabilité à long terme, en particulier pour les Etats qui ne sont pas bien placés pour assumer cette charge à longue échéance. Plus les réfugiés restent longtemps dans un pays, et plus en cas de nouvelles urgences ailleurs, la communauté des donateurs et les autres partenaires détournent leur attention de la situation. Les pays qui accueillent généreusement les réfugiés depuis une très longue période ... se sentent alors abandonnés.... Ils redéfinissent leur propre mode de relation avec les réfugiés et les populations réfugiées qu'ils hébergent, ce qui créée pour nous des problèmes de protection concernant des personnes rendues plus vulnérables encore par la fermeture de frontières ou les refoulements et ce genre de faits.
Le monde d'aujourd'hui est aussi caractérisé par l'importance des migrations irrégulières. Les personnes se déplacent pour de nombreuses raisons. Certaines, peut-être la minorité, ont des problèmes de protection au fondement de leur pays d'origine. Cependant les personnes ayant besoin de protection se déplacent en même temps que des gens quittant leur pays pour d'autres raisons. Ce mélange entre asile et migration a amené de nombreux pays à redéfinir le problème des réfugiés dans son ensemble ... ils ont décidé que la façon la plus appropriée de le gérer consiste à mettre en place des actions aléatoires relatives à la migration.... Aider les Etats à identifier les réfugiés.... C'est l'une de nos priorités actuelles.
Comment aidez-vous les pays à identifier les réfugiés parmi les flux mixtes ?
Notre plaidoyer concerne notamment la mise en place de procédures appropriées. Cela ne résout rien d'arrêter les gens qui arrivent aux frontières ou de les renvoyer en mer.... Ce n'est pas une façon de régler le problème que de tenter d'ériger des barrières, qui ne font qu'encourager une plus grande criminalité.... Nous essayons de travailler avec les Etats pour mettre en place de telles procédures.
Nous avons publié un plan d'action précurseur en 10 points, grâce auquel nous espérons que les Etats reconnaîtront la contribution positive de l'UNHCR pour les aider à gérer le problème de la migration mixte. Le plan inclut des procédures pour distinguer rapidement les différents groupes et diriger chaque groupe vers un mécanisme de réponse approprié.... Il est dans notre intérêt que ce problème soit géré en respectant les besoins et les problèmes de protection de tous les gens qui se déplacent.
Devez-vous faire des compromis avec des pays pour des cas particuliers de réfugiés ?
Certains pays font la preuve d'une sensibilité particulière à propos de cas particuliers - des groupes particuliers de personnes originaires d'un pays spécifique.... Notre responsabilité première concerne les gens eux-mêmes, s'ils ont des problèmes de protection, s'ils ont besoin d'une protection internationale, notre obligation est de mettre en place des actions.
Ceci dit, nous ne travaillons pas dans le vide. Nous sommes une organisation apolitique, une organisation humanitaire, mais nous travaillons dans un environnement hautement politisé.... Pour nous permettre d'assurer notre tâche de protection, nous devons agir de manière tactique. Cela veut dire que nous devons non seulement connaître l'impact de l'arrivée de certains groupes de population sur certains intérêts étatiques, et que nous devons ensuite les prendre en considération lorsque nous décidons quelle est la meilleure façon d'assurer la protection.
Comment l'UNHCR peut-il protéger les déplacés internes dans les endroits comme l'Iraq et le Darfour ?
Je pense qu'il est assez irréaliste d'imaginer protéger les civils en Iraq. Je crois de même qu'il est assez irréaliste d'imaginer que l'UNHCR peut remplir son mandat de protection au Darfour. Je suis allée au Darfour. Ce n'est pas dans un tel environnement que nos activités de protection peuvent avoir un impact important sur la sécurité quotidienne de larges populations vivant dans des conditions sécuritaires très dégradées. Bien sûr je ne sous-estime pas le travail effectué par nos collègues dans des circonstances très difficiles. Mais ils sont peu nombreux, la région est très vaste et le conflit évolue sans cesse. Le dispositif de sécurité en place ne protège ni les populations ni les employés humanitaires pour qu'ils puissent faire leur travail.... Ce n'est pas une raison pour ne pas essayer, ce n'est pas une raison pour ne pas continuer à faire ce que nous faisons. Et notre travail bénéficie au moins à quelques personnes ... ce qui est déjà quelque chose en soi.
Je pense que c'est pire encore en Iraq. Au moins au Darfour, nous sommes présents, alors qu'en Iraq non. Nous essayons de faire de la protection à distance - c'est un concept assez inhabituel.... Bien sûr il y a certaines choses que nous pouvons faire et nous avons dû beaucoup nous réorienter vers des partenariats stratégiques, plutôt que d'assurer l'assistance nous-mêmes.
Je pense d'après notre expérience que a/ il est pratiquement impossible de faire ce que nous souhaiterions faire à l'intérieur de l'Iraq et b/ la crise humanitaire s'est maintenant étendue aux pays voisins. Elle est tellement importante et il y a tant de personnes qui ont tant de besoins là-bas, que nous devons diriger nos efforts là où ils peuvent être les plus efficaces. Alors nous passons en revue de manière très concrète les moyens de travailler avec les actuels pays hôtes, particulièrement ceux qui sont voisins de l'Iraq, pour les aider à gérer la crise humanitaire en cours.