Discours de M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen de 1983 à Son Excellence Le Mwalimu Julius Kambarage Nyerere, Président de la République-Unie de Tanzanie
Discours de M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen de 1983 à Son Excellence Le Mwalimu Julius Kambarage Nyerere, Président de la République-Unie de Tanzanie
Monsieur le Président, Messieurs les représentants des autorités fédérales, cantonales et municipales, Excellences mes chers amis,
C'est un insigne honneur, pour les membres du Comité Nansen et pour moi-même, que d'accueillir dans cette salle où tant de personnalités distinguées sont rassemblées Son Excellence Le Mwalimu Julius Kambarage Nyerere, Président de la République-Unie de Tanzanie. La cérémonie qui nous réunit aujourd'hui est à la fois une occasion de joie et de tristesse : de tristesse, parce nous ne pouvons pas ne pas penser au sort de millions de déracinés, dans un monde où il est devenu plus aisé d'aller dans l'espace que d'échapper à la guerre, à la pauvreté et aux persécutions ; et une occasion de se réjouir parce que cette cérémonie est la preuve de notre espoir indestructible en un monde meilleur, un monde où la dignité de l'homme serait respectée et où chacun jouirait des droits de l'homme fondamentaux, de la liberté d'opinion et de la liberté de circuler à l'intérieur comme à l'extérieur de son pays natal. En d'autres termes, un monde tel que celui auquel ont aspiré et pour lequel ont oeuvré Fridtjof Nansen et ceux qui comme vous-même, Monsieur le Président avez suivi exemple.
Je pense que nous admirons tous l'emblème national de la Tanzanie, emblème si parlant que représente un homme et une femme tenant un écusson sur lequel on peut voir le flambeau de la liberté, cette valeur grande entre toutes pour laquelle des hommes et des femmes de votre pays ont courageusement lutté pendant des années sous votre conduite éclairée.
Ce flambeau de la liberté que vous avez brandi pour le bien des Africains est également devenu, dans la nuit obscure de l'oppression, un phare pour des milliers de personnes déracinées que ont trouvé refuge en Tanzanie. Car c'est un fait qu'elles ont été accueillies généreusement et spontanément dans ce pays où elles ont bénéficié d'un effort soutenu de solidarité humaine.
Ce que cela suppose de dévouement, de compétence et de sacrifices à un moment où votre nation était en train de se construire, se mesure au nombre et l'étendue des problèmes auxquels la Tanzanie a dû faire face. Peu après avoir accédé à l'indépendance, ce pays a été l'un des premiers, sur le continent africain, à devoir accueillir de très nombreux réfugiés. Ce n'était là que le début d'un flux presque ininterrompu de personnes déracinées, dont le nombre a atteint en une vingtaine d'années des centaines de milliers. Un grand nombre de ces personnes, telles que celles que venaient du Mozambique et du Zimbabwe, devaient rester en Tanzanie jusqu'au moment où leur pays est devenu indépendant et où elles pourraient en toute sécurité retourner dans leur patrie. Plus nombreuses encore, cependant, sont celles, dont le nombre est évalué à 200 000, qui sont arrivées en Tanzanie avec leur famille et de biens maigres possessions avec la perspective d'une installation définitive et d'un nouveau départ dans la vie. Beaucoup de ces personnes sont en train d'acquérir la nationalité tanzanienne. Voulant échapper aux catastrophes provoquées par l'homme à la discrimination raciale et à des bouleversements de toutes sortes, elles sont venues de pratiquement tous les coins de l'Afrique, apportant avec elles une grande diversité sur le plan de la langue, de la religion et de la culture. Sans distinction de convictions, d'origine, de sexe ou d'âge, quels qu'aient été leur état de santé ou leur profession, pourvu que leurs motivations fussent authentiques, elles ont été accueillies, et elles le sont encore aujourd'hui, à bras ouverts en République-Unie de Tanzanie, conformément à ce principe vital de la Convention de l'OUA sur les réfugiés selon lequel « L'octroi du droit d'asile constitue un acte pacifique et humanitaire et ne peut être considéré par aucun Etat Membre comme un acte du nature inamicale ».
En accordant l'asile à des gens que ne peuvent aller nulle part ailleurs, les autorités tanzaniennes leur offrent la possibilité d'attendre des jours meilleurs, c'est-à-dire le moment où ils pourront opter pour le rapatriement volontaire, la réinstallation dans un autre pays disposé à les accueillir, ou l'intégration en Tanzanie. Ce faisant, la Tanzanie applique également le principe reconnu du « partage du fardeau », qui est l'une des pierres angulaires de la coopération internationale en matière économique et sociale. D'autre part, en raison de sa situation géographique et du fait qu'elle est l'un des Etats de première ligne, la Tanzanie a parfois été appelée à supporter plus que sa part du fardeau, et elle l'a fait malgré les charges et les efforts supplémentaires que cela impliquait, notamment lorsqu'il s'agissait d'opérations à grande échelle de réinstallation des réfugiés en milieu rural.
Beaucoup de ceux qui sont ici se rappelleront l'entreprise menée en commun par les autorités tanzaniennes et le Haut Commissariat au début des années 70 pour aider des milliers de réfugiés du Burundi et faire en sort que par la suite ils puissent se suffire à eux-mêmes grâce à des activités agricoles ou pastorales et parfois également grâce à la pêche. Le Gouvernement a, alors, grandement contribué à la réalisation de cet objectif en fournissant des terres arables ainsi que des services techniques et administratifs. Cela a beaucoup facilité l'exécution effective des projets du Haut Commissariat en ce qui concerne les zones d'installations organisées qui ont été créées pour les réfugiés et auxquelles une partie de la population locale a eu également accès. On a également bénéficié d'un soutien inappréciable, sur le plan matériel et sur le plan des opérations, de la part du service opérationnel de la Fédération luthérienne mondiale : le service chrétien du Tanganyika en faveur des réfugiés, de la part du Programme alimentaire mondial, du Conseil chrétien de Tanzanie et de l'organisation Caritas.
L'aménagement de zones d'installation pour des milliers de personnes souvent démunies de tout et comprenant en majorité des femmes et des enfants n'a pas été chose facile. Il fallait, pour aménager ces zones, situées dans des régions éloignées, mettre en place une infrastructure de base comprenant des voies d'accès, l'approvisionnement en eau, la construction de bâtiments et l'organisation d'une assistance médicale, notamment pour la lutte contre la mouche tsé-tsé, ainsi que prévoir évidemment des services d'enseignement.
Des obstacles considérables de caractère technique ont été surmontés grâce aux efforts résolus des autorités locales et des travailleurs bénévoles qui coopéraient aven le HCR. L'esprit de fraternité dans lequel travaillent les réfugiés et la paysannerie autochtone, qui souvent vivent côte à côte a été renforcé par le fait que les mêmes services ont été rendus accessibles à l'un et l'autre groupe, notamment dans des domaines tels que l'éducation et l'assistance médicale. Au cours des dix dernières années, un certain nombre de ces zones d'installation organisées - qui comptaient à un moment donné parmi les plus importantes d'Afrique - sont devenues économiquement indépendantes et ont pu passer entièrement sous la responsabilité des autorités tanzaniennes.
L'exemple le plus récent de la réussite que représentent ces zones d'installation celui de zone de Mishamo, dans l'ouest du pays, où la population en surnombre des communautés de réfugiés d'Ulyankulu et de Katumba a été transférée an 1979. Aujourd'hui, Mishamo a une production alimentaire excédentaire qui est commercialisée par l'intermédiaire de coopératives ayant leur siège dans la zone. Mishamo, qui possède son centre médical et ses écoles, se suffit maintenant à lui-même et sera prochainement confié à la responsabilité du Gouvernement. Si l'on considère le succès obtenu dans l'intégration des personnes intéressées, on doit conclure que les investissements effectués au cours des années ont été rentables du point de vue humain et du point de vue économique.
Parmi la majorité des réfugiés vivant actuellement en Tanzanie (environ 130 000) qui sont d'origine rurale, plus de 20 000 ont été en mesure de s'installer spontanément dans des villages qui ont partagé généreusement avec eux des ressources pourtant limitées. Ceux-là aussi sont en voie d'assimilation. Et d'autre part, il y a les réfugiés qui sont arrivés seuls - il y en a également des milliers - et qui ont des origines professionnelles différentes, étant donné qu'il s'agit par exemple d'intellectuels, d'employés et de techniciens recherchant un emploi rémunéré, ainsi que d'étudiants. Grâce à une application libérale de la réglementation relative à la main-d'oeuvre et à l'emploi, et grâce à l'attitude compréhensive des autorités gouvernementales et municipales intéressées, ces gens ont été peu à placés dans des emplois qui leur convenaient, ou encore la possibilité leur a été donnée de poursuivre leurs études ou leur formation professionnelle et de participer utilement à la vie de leur nouvelle collectivité. Pour les aider à trouver l'emploi adéquat, on a ouvert à Dar-es-Salaam un Centre d'orientation et de placement qui est administré conjointement par le HCR et par le Conseil Chrétien.
La sécurité physique des réfugiés a donc été assurée grâce à leur admission dans un pays hospitalier, et leur avenir matériel grâce à l'intégration économique ; il faut maintenant passer à une troisième phase qui représentera véritablement pour eux un nouveau départ dans la vie et qui sera le couronnement des efforts déployées pour les réinstaller dans un environnement différent et leur permettre de s'intégrer complètement à leur nouvelle patrie : je veux parler de la phase de la naturalisation, qui est d'importance capitale, premièrement sur le plan social, parce que lorsque cette étape est franchie le réfugié a véritablement le sentiment d'être chez lui, et deuxièmement sur le plan juridique, parce qu'alors il cesse d'être un réfugié et qu'il a les mêmes droits et les mêmes obligations que les citoyens. Cet aspect du problème des réfugiés a été fort bien compris en Tanzanie où 40,000 réfugiés ont déjà été naturalisés et où des dizaines de milliers d'autres sont en train d'acquérir la nationalité du pays. Là encore, des notions fondamentales sont mises en pratique à la fois selon la lettre et selon l'esprit du droit des réfugiés.
Le rapatriement librement consenti, excellente solution sous réserve que l'intéressé rentre effectivement chez lui de son plein gré, s'est révélé comme une formule excellente pour des milliers de personnes qui, ayant fur les territoires coloniaux se sont vu accorder l'hospitalité une aide d'urgence en Tanzanie jusqu'à la libération de leur patrie.
Voici donc quelques exemples des mesures très nombreuses et diverses qui ont été prises, conformément aux traditions les plus anciennes de la solidarité, pour relever le défi du déracinement. A la base de ces nombreuses mesures destinées à améliorer le sort des réfugiés on trouve des idées solidement ancrées qui reposent elles-mêmes sur des instruments juridiques internationaux, idées qui ont été formulées avec la plus grande clarté dans la magistrale déclaration que vous avez faite à l'ouverture ce la Conférence sur la situation des réfugiés en Afrique qui s'est tenue à Arusha en 1979. Ce n'est pas un hasard, Monsieur le Président, si des mesures fondées sur ces idées ont été dues à l'initiative du fondateur de la République-Unie de Tanzanie. Leur application exigeait du courage et de la persévérance, ainsi qu'une compétence et une sagesse associées à une connaissance intime des réalités africaines et, - par-dessus tout - un authentique « amour du prochain », pour reprendre les paroles mêmes de la devise de Nansen qui est gravée sur la médaille. A une époque de tensions, où les droits de l'homme, à vrai dire les droits les plus élémentaires de personnes innocentes sont bafoués, où des hommes, des femmes et des enfants sans défense sont victimes d'agressions impitoyables et de vengeances aveugles, il est réconfortant de voir qu'un homme d'Etat comme vous, Monsieur le Président, est si profondément attaché à la nécessité de secourir ceux qui, parmi l'humanité souffrante, ont le plus besoin d'être secourus : les réfugiés.
Comme vous l'avez déclaré lors de la réunion d'Arusha, quelle que soit la cause de leur déracinement, les réfugiés sont des « êtres humains » qui doivent bénéficier du même traitement que n'importe qui d'autre et c'est bien là le principe qui est énoncé dans le droit humanitaire, de même que c'est bien là la politique suivie par votre pays en faveur des réfugiés. C'est en reconnaissance de votre dévouement sans réserve à cette cause que le Comité Nansen a décidé de vous attribuer la Médaille Nansen, ainsi que le prix de 50 000 dollars qui l'accompagne et qui peut être utilisé pour un projet de votre choix.
Avant de remettre la médaille, je donnerai lecture du certificat qui l'accompagne.
LA MEDAILLE NANSEN
LE COMITE D'ATTRIBUTION DE LA MEDAILLE NANSEN, institué par le Haut Commissaire des Nations Unies les réfugiés,
CONSCIENT de ce qu'a été l'afflux des réfugiés en République-Unie de Tanzanie au cours des vingt dernières années,
CONSIDERANT que sous la conduite éminente de son distingué Président, le Gouvernement tanzanien a toujours eu à coeur le bien-être des réfugiés et s'est toujours conformé pleinement à la lettre et à l'esprit du droit international des réfugiés,
RECONNAISSANT que par sa politique d'asile généreuse, la République-Unie de Tanzanie a effectivement pris sa part du fardeau supporté par différents Etats de la région,
DESIREUX de rendre un hommage mérité au Président de la République-Unie de Tanzanie que, personnellement soucieux de servir les causes humanitaires, a rendu un service insigne à celle des réfugiés,
DECIDE d'attribuer la Médaille Nansen pour 1983
à
SON EXCELLENCE LE MWALIMU JULIUS KAMBARAGE NYERERE
Président de la République-Unie de Tanzanie
Remis à Genève le trois octobre mil neuf cent quatre-vingt trois