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Discours prononcé par M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et Président du Comité Nansen, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen pour 1979 à M. Valéry Giscard d'Estaing, President de la République française

Discours et déclarations

Discours prononcé par M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et Président du Comité Nansen, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen pour 1979 à M. Valéry Giscard d'Estaing, President de la République française

1 Octobre 1979

En vous accueillant ici, M, Le Président, pour vous remettre, au nom du Comité chargé de décerner la Médaille Nansen, le témoignage de notre reconnaissance, nous avons le sentiment de nous acquitter d'une dette déjà très ancienne : la France n'est-elle pas, depuis toujours, le pays d'asile par excellence ? Ses traditions ancestrales ; les idéaux de liberté, de justice et de dignité humaine énoncés avec tant de ferveur et d'éclat par ses écrivains et philosophes au « siècle des lumières » et si parfaitement exprimés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789; sa position géographique à l'extrême pointe de l'Eurasie ; ses protes grandes ouvertes sur la Méditerranée et l'Océan, un esprit de tolérance ; une chaleur humaine, tous ces éléments réunis commandaient sa vocation de terre d'asile.

Souvent mise à profit dans le passé, cette prédisposition naturelle se manifesta avec une ampleur nouvelle, à la mesure des événements qui la sollicitaient, après le premier grand conflit mondial. Par vagues successives les réfugiés arrivèrent sur son sol, un sol meurtri et dévasté par la guerre. L'aide quotidienne, administrative ou matérielle mise à part, la nécessité bientôt se fit sentir d'une adaptation du droit et de la réglementation internes à la situation hors du commun qui est celle du réfugié. Souvent dépourvus de documents permettant d'établir leur identité, les réfugiés se voyaient empêchés d'accomplir les actes juridiques les plus élémentaires, voire même de contracter mariage. Il fallait les arracher à cette sorte de « mort civile », innover, concevoir des règles appropriées, les introduire dans la législation française et de là, si possible, dans le droit international. Ainsi, vit-on se succéder, indépendamment de mesures spécifiques d'ordre interne, des arrangements ou conventions intéressant chacune un groupe particulier de réfugiés.

Les innovations qu'apportèrent l'ensemble des règles ainsi édictées à l'initiative ou avec l'appui de la France ont fait date dans l'histoire du droit des réfugiés. Elles marquaient l'instauration d'une procédure et d'un mode de contrôle international qualifiés par la société des Nations de « protection juridique et politique des réfugiés ». le concept de ce que l'on appelle aujourd'hui la protection internationale était né. Raison d'être initiale du Haut Commissariat des Nations Unies après avoir été celle du Haut Commissariat de la Société des Nations, il est aujourd'hui consacré par l'adhésion de 78 Etats à la Convention du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.

Pour anciens qu'ils soient, Monsieur le Président, ces titres ne sont pas étrangers à notre gratitude. Mais il s'en est ajouté bien d'autres depuis lors, glanés au fur et à mesure que les événements amenaient la communauté internationale à s'intéresser de plus en plus au sort des réfugiés. Les ravages, les bouleversements engendrés par la deuxième guerre mondiale sont présents à sous les esprits ; ses séquelles nous poursuivent encore aujourd'hui. Après les victimes des hostilités ce furent celles de l'après guerre : des hommes, des femmes et des enfants emportés par la tourmente, brisés par l'angoisse et la peur, contraints de quitter leur pays. L'Europe ne sortait d'un cauchemar que pour en vivre un autre. De ces centaines de milliers de réfugiés entassés dans des camps, la France naturellement devait prendre sa part. Ce qu'elle fit en ouvrant ses frontières à l'accès des réfugiés, clandestins ou autres, sans se préoccuper de la nationalité, de l'âge, de l'état de santé, de la situation de famille ou des aptitudes professionnelles de ces immigrants forcés. Aux réfugié espagnols qui de nouveau affluaient par milliers, le Gouvernement français accordait le bénéfice de la Convention Nansen de 1993. Dans le même temps s'ouvrait, à l'initiative d'organisations bénévoles et avec l'aide financière de l'Organisation internationale pour les réfugiés puis du Haut Commissariat, des maisons pour réfugiés âgés et handicapés que l'on peur considérer comme des modèles du genre et dont le Gouvernement français prenait en dépit d'une économie encore chancelante et d'une crise aiguë du logement, les réfugiés s'installaient, s'intégraient dans la communauté française.

Mais il fallait, pour maîtriser un problème de cette ampleur, la volonté, les ressources de tous les gouvernements disposés à participer à une solution d'ensemble et durable. S'inspirant des précédents de l'avant et après-guerre, on décida ainsi la création du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. La part que prirent les autorités françaises à la création, à l'élaboration des statuts de cet organisme et à la définition du rôle qui lui incomberait fut à la mesure de l'intérêt constamment manifesté par la France pour l'oeuvre d'assistance aux réfugiés.

Le rôle de la France dans l'élaboration de la Convention du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ne fut pas moins essentiel, ainsi qu'en témoignent les débats sur les principaux chapitres. La même remarque vaut pour le Protocole à cette Convention, pour la Convention sur la réduction de l'apatridie et les différents accords européens portant notamment sur la suppression des visas pour les réfugiés.

L'action que je viens d'évoquer succinctement, Monsieur le Président, a eu pour origine les problèmes de réfugiés survenus en Europe après les deux guerres dont elle fut le théâtre. Mais le cours des événements n'allait pas s'arrêter là, ni épargner par miracle les autres continents. Tour à tour l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie en firent la cruelle expérience, à une échelle correspondant à leurs dimensions géographiques et leur démographie. L'Europe - la France plus spécialement - allait-elle se désintéresser de problèmes si lointains, parfois délicats et complexes ? Pour votre pays, Monsieur le Président, c'eût été contraire à ses idéaux, à ses aspirations profondes, à son influence culturelle et politique dans le monde et au rôle qu'elle tint dans certaines des régions concernées. Pour faire face utilement à des problèmes d'une telle dimension, dans un contexte politique, économique et social généralement difficile, une intervention massive de la communauté internationale tout entière était indispensable. Une fois encore l'appui de la France ne fit point défaut.

Après avoir soutenu à l'Assemblée générale des Nations Unies les résolutions qui, progressivement, élargirent la compétence du Haut Commissariat, en vue de l'adapter à des circonstances et des besoins entièrement nouveaux, elle ouvrait généreusement ses portes à un nombre important de réfugiés qui désiraient venir chercher sur son territoire un lointain mais précieux refuge. Le bilan que l'on peut dresser de cette action est éloquent : environ sept mille réfugiés latino-américains, la plupart chiliens, accueillis en France, soit le nombre le plus élevé pour les pays européens ; soixante douze mille réfugiés du Viet Nam et du Cambodge arrivés depuis 1975, sans parler bien sûr des réfugiés d'autres origines qui continuent d'être admis au bénéfice de l'asile. Avec cent cinquante mille réfugiés sur son territoire, dont 45% originaires du Sud-Est asiatique, la France est actuellement en Europe le pays qui héberge le plus grand nombre de réfugiés d'origines les plus diverses. Voilà qui, je crois, se passe de commentaires.

Nous savons, Monsieur le Président, le rôle capital que jouent dans l'accueil et la réinstallation des réfugiés un certain nombre d'organisations bénévoles françaises dont les noms sont sur toutes les lèvres, et dont l'éloge n'est plus à faire. Vous-même d'ailleurs avez tenu, en juin dernier, à souligner - « leur action remarquable menée dans le silence et le dévouement, pour l'intégration des réfugiés d'Indochine dans la collectivité nationale ». Je me dois, à cette occasion, d'exprimer à nouveau à ces associations l'admiration que j'éprouve pour le travail assidu qu'elles assument aux côtés des autorités françaises. Si la décision d'accueil et le financement relèvent de ces dernières, les organisations bénévoles sont, en France comme ailleurs, l'âme et la cheville ouvrière de cette grande oeuvre de charité et de solidarité humaine. En 1965, la Médaille Nansen était remise ici même madame Chevalley qui fut pendant tant d'années à la tête du Service social d'aide aux Emigrants où elle consacra son intelligence, son coeur, son énergie qui ne connaissait point de limites, à la cause de immigrants en général et des réfugiés en particulier. Il m'est inutile de dire avec quelle tristesse nous avons appris sa récente disparition. Nais cette grande dame a, je le sais, de nombreux émules, au dynamisme éprouvé, au dévouement hors pair, dans les différentes associations avec lesquelles notre Délégué de Paris est en contact quotidien. Je voudrais que tous trouvent ici l'expression de notre reconnaissance.

J'ai parlé jusqu'à présent de la France, Monsieur le Président, en tant que nation, c'est-à-dire de son peuple, de ses dirigeants et de tous ceux que leur tâche quotidienne amène à prendre une part active à l'oeuvre pour les réfugiés ; le moment, je crois, est venu d'évoquer votre action personnelle, en votre qualité de Président de la République française. Héritier d'une grande tradition que vous avez à coeur de maintenir, vous ne vous êtes pas satisfait d'y demeurer fidèle. Ainsi que l'a dit Jaurès, « maintenir la tradition ne veut pas dire conserver la cendre, mais garder allumée la flamme ». Sensible à la détresse d'êtres humains pris dans l'engrenage d'événements dont vous avez dit vous-même qu'ils prennent parfois le caractère dramatique d'un véritable transfert de population, vous avez, en maintes occasion, pris clairement position, donné l'impulsion et des directives précises pour une contribution active, généreuse et constructive de la France à la solution des problèmes les plus graves et les plus urgents. L'intervention ici même du Ministre français des Affaires étrangères, M. Jean François-Poncet, lors de la Conférence internationale des 20 et 21 juillet sur les réfugiés de la péninsule indochinoise, son plaidoyer chaleureux assorti de propositions concrètes, en portent le témoignage. C'est dans le cadre d'une politique que vous avez vous-même définie, Monsieur le Président, que d'importantes mesures ont de même été prises au cours des années écoulées, en vue d'améliorer encore la qualité de l'accueil des réfugiés : prise en charge intégrale par le Ministère de la santé publique des frais d'hébergement dans les centres d'accueil ; octroi ; tous les réfugiés de la carte de travail valable dix ans, cependant qu'est soumis au Parlement un texte proposant la suppression pure et simple, pour ce qui les concerne, de l'obligation de la carte de travail ; extension ; tous des dispositions existantes en matière de formation professionnelle ou accélérée et de recyclage ; allocations attribuées aux demandeurs d'emploi ; prise en charge des bourses d'études universitaires ; nouvelles facilités accordées aux réfugiés pour l'exercice des professions médicales et para-médicales.

C'est vous enfin, Monsieur le Président, qui, personnellement, avez pris en juin dernier la décision d'accueillir un contingent de 5 000 réfugiés du Sud-Est asiatique, suivi bientôt de deux nouveaux contingents de 5 000 personnes. Vous avez ce faisant montré le chemin, que d'autres gouvernements, n'ont pas tardé à suivre. La vague de solidarité que votre intervention personnelle a déclenchée a franchi en effet, comme il était prévisible, les limites de votre pays. Ainsi, l'effort délibéré que vous avez entrepris pour sensibiliser davantage encore et mobiliser l'opinion mondiale en faveur d'une aide à l'échelle des besoins n'a-t-il pas été vain. Nous savons, Monsieur le Président, avec quelle attention soutenue vous suivez l'évolution des problèmes des réfugiés dans le monde. Elle est pour nous le gage d'un appui précieux sur lequel nous savons pouvoir compter, et dont nous vous savons infiniment gré.

Où que l'on regarde dans vos écrits, dans nombre de vos allocutions et de vos discours, Monsieur le Président, on retrouve le souci - j'allais dire la hantise des droits de l'homme et des libertés qui en sont l'unique garantie. Il ne s'agit pas pour vous d'une conception abstraite des droits de l'homme, mais de la claire conscience des droits à reconnaître à chaque homme en particulier, avec les limites à imposer aux interventions de la puissance publique et les précautions à prendre pour éviter l'arbitraire de ses décisions. Les réfugiés, plus que quiconque vous le savez, sont exposés à l'arbitraire des autorités. C'est dire combien nous apprécions de telles dispositions d'esprit, seules propres à y remédier.

Ce n'est pas par hasard, vous l'imaginez, si la remise de la Médaille Nansen coïncide avec la Journée des droits de l'homme célébrée aujourd'hui au sein des Nations Unies. Parce qu'ils ont été peu ou prou déniés aux réfugiés, le sort de ces derniers est intimement lié au respect et au rétablissement de ces droits. Le soin que personnellement vous y portez, Monsieur le Président, est, pour eux comme pour nous, une source d'encouragement ou de réconfort. Que dire d'autre part de votre action vigilante et tenace, pour la bonne entente entre les hommes, sinon qu'elle participe de cet effort global qui conditionne lui aussi le salut de ceux dont nous avons la charge ? Là où ne règnent pas l'entente et la paix, il y a place, hélas, pour les réfugiés. C'est pourquoi nous recherchons nous-mêmes, dans le cadre plus étroit qui nous est tracé, faciliter la compréhension, le dialogue et l'entente. Rien ne nous réjouit autant que de constater parfois que l'intervention du Haut Commissariat, en tant qu'institution purement humanitaire et apolitique, a pu contribuer à apaiser si peu que ce soit, à neutraliser, quand ce n'est même à prévenir tel ou tel différend qui peut avoir les réfugiés pour enjeu ou pour origine.

Idéalisme et réalisme doivent aller de pair, avez-vous dit un jour. Rien de plus proche en vérité de la devise fameuse de Fridtjof Nansen, reproduite sur la médaille qui porte son nom : « L'amour du prochain est la seule politique réaliste ». dans notre monde en quête de nouvelles structures. De nouvelles disciplines, cette affirmation prend un relief singulier ; quel meilleur point de ralliement, pour les hommes de notre temps, que l'amour du prochain ?

C'est votre compatriote Georges Clémenceau, dont le courage et l'audace au service de son pays sont légendaires, qui disait un jour où il réfléchissait sur le passé: « Il faut lutter contre l'indifférence de l'âme ». C'est contre cette indifférence-là que nous luttons jour après jour quand nous faisons appel aux gouvernements, à l'opinion publique mondiale pour qu'ils viennent en aide aux réfugiés.

Parce que la France et vous-même, Monsieur le Président, ne restez pas insensibles à cet appel ; pour votre refus délibéré, obstiné, de désespérer et de renoncer, face à toutes les tragédies contemporaines, j'aimerais vous exprimer à nouveau, à la France et à vous-même notre vive et profonde gratitude.

En vertu d'une décision prise au cours de cette année par le Comité chargé de décerner la Médaille Nanses, celle-ci est assortie désormais d'un prix de 50 000 dollars destiné à permettre au lauréat ou à son pays de participer à tel ou tel projet d'aide aux réfugiés. L'octroi de la Médaille comporte ainsi également la possibilité de venir en aide à des réfugiés dont la situation est particulièrement précaire.

Avant de vous remettre au nom du Comité ici présent la Médaille à l'effigie de Fridtjof Nansen, permettez-moi de vous donner lecture du certificat qui l'accompagne.