Après douze ans de conflit, la faim et la pauvreté affectent toujours plus les réfugiés syriens
Après douze ans de conflit, la faim et la pauvreté affectent toujours plus les réfugiés syriens
Lorsqu'elle en trouve, elle expose le riz au soleil pendant quelques jours, attendant qu'il sèche et que les insectes s'en aillent. Ensuite, elle le lave et le fait cuire pour sa famille. N’ayant pas les moyens d'acheter de l'huile de cuisson ou du beurre, elle se contente de la graisse dont le boucher du coin se débarrasse.
« Je sais que la graisse n'est pas bonne pour la santé, mais je ne peux pas donner uniquement du riz bouilli ou du boulgour à mes enfants. Ce sont des garçons en pleine croissance et ils ont besoin de prendre des forces pour pouvoir continuer à travailler », explique Khadra.
Lorsqu’elle en a les moyens, elle achète aussi du vieux pain, qu'elle arrose de quelques gouttes d'eau pour le ramollir.
Khadra vit dans le nord du Liban, dans un site informel de réfugiés, où elle partage une tente avec ses cinq enfants, sa belle-fille et ses trois petits-enfants.
Elle doit actuellement trois mois de loyer pour la tente qui l’abrite. Ne sachant pas comment elle pourra rembourser la somme qu’elle doit, elle vit dans la crainte constante d'être expulsée.
Chaque année, la vie devient plus difficile au Liban pour Khadra et sa famille. Le Liban demeure le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés par habitant dans le monde, et il est aujourd'hui confronté à la pire crise économique de son histoire moderne. Les prix des produits de première nécessité ont grimpé en flèche et la monnaie a perdu plus de 95% de sa valeur, si bien que les familles les plus vulnérables n'ont même plus les moyens d'acheter les ingrédients les plus basiques, comme le riz ou les pommes de terre. Quatre-vingt-dix pour cent des familles réfugiées au Liban ont désormais besoin d'une aide humanitaire pour survivre.
« Les deux dernières années ont été les pires », déclare Khadra.
Comme d'autres réfugiés vulnérables au Liban, elle reçoit une aide du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Mais en raison de la hausse des prix, toute cette aide est consacrée à l'achat de combustible pour la cuisson, et Khadra doit se démener pour subvenir à tous les autres besoins de sa famille, tels que la nourriture, le loyer et les médicaments.
Au fil des ans, Khadra a été contrainte de prendre de nombreuses décisions difficiles. La plus difficile a été d'envoyer son fils Adnan vendre des mouchoirs en papier dans les rues et de collecter de la ferraille qu'il revend à des prix dérisoires. Adnan est arrivé au Liban à l'âge de 3 ans et n'a jamais eu la chance d'aller à l'école. Aujourd'hui âgé de 15 ans, il n'a que très peu de perspectives d'avenir.
« Mon fils se lève tous les jours à 6 heures du matin pour vendre des mouchoirs en papier le long de l'autoroute et ne rentre jamais avant 10 ou 11 heures du soir. Les bons jours, il peut gagner environ 200 000 lires libanaises (environ 2 dollars), tandis que les autres jours, il ne vend rien du tout », explique Khadra.
Ces luttes quotidiennes ont été quelque peu atténuées par le soutien et la compassion que Khadra et sa famille ont reçus de la part de Libanais qui les aident parfois à se nourrir et à se vêtir, en dépit de leurs propres difficultés. La moitié de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté et voit son accès aux biens et services essentiels se réduire de jour en jour.
Quelque 6,8 millions de Syriens continuent de vivre en tant que réfugiés dans le monde, dont 5,5 millions sont accueillis dans les pays voisins de la Syrie.
En Jordanie, 660 000 réfugiés syriens enregistrés sont coincés en exil. Environ 135 000 d'entre eux ont trouvé refuge dans des camps de réfugiés tels que Zaatari et Azraq, tandis que les autres vivent au sein de communautés d'accueil. Ceux qui ont dans un premier temps pu compter sur leurs économies ou sur le soutien de leurs familles d'accueil ont aujourd'hui de plus en plus besoin d'aide pour subvenir à leurs besoins de base. Environ quatre réfugiés syriens sur cinq en Jordanie vivent sous le seuil de pauvreté, qui est d'environ 3 dollars par jour.
L'Irak est un autre pays d'accueil important pour les Syriens, avec quelque 260 000 réfugiés, dont 86 pour cent vivent dans des camps et sont en situation d'insécurité alimentaire ou sont à risque d'insécurité alimentaire. En Égypte, le HCR a enregistré plus de 145 000 réfugiés syriens. Les données du HCR montrent qu'environ 66% des réfugiés et des demandeurs d'asile en Égypte vivaient en dessous du seuil de pauvreté national en 2022.
Malgré le soutien généreux des donateurs, les besoins des pays qui accueillent des réfugiés syriens continuent de croître, obligeant le HCR et les autres agences humanitaires à faire des choix difficiles. Le Plan régional pour les réfugiés et la résilience (3RP) de l'année dernière, qui est codirigé par le HCR et le Programme des Nations Unies pour le développement, n'a été financé qu'à hauteur de 39%. Sans un financement régulier et fiable, davantage de réfugiés syriens sombreront dans le désespoir en 2023.
Pour Khadra, comme pour de nombreux réfugiés syriens, l'espoir d'un avenir meilleur s'éloigne à mesure que son exil se prolonge.
« Pour moi, ce n'est plus une question de dignité, c'est une question de survie », soupire Khadra.
Chiffres clés sur la situation des réfugiés syriens :
- Depuis le début de la crise syrienne il y a 12 ans, plus de 14 millions de Syriens ont été contraints de fuir leur foyer en quête de sécurité.
- En 2023, le 3RP requiert 5,7 milliards de dollars américains pour venir en aide aux réfugiés syriens et aux membres des communautés d'accueil.
- Au Liban : 58% des familles de réfugiés syriens vivent dans des abris inadéquats et dangereux, et 67% souffrent d'une insécurité alimentaire modérée ou grave.
- En Jordanie : 77% des réfugiés vivant dans des communautés d'accueil (réfugiés hors camps) sont en situation d'insécurité alimentaire ou à risque d'insécurité alimentaire, et 49 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue.
- En Türkiye : 90% des réfugiés ne peuvent pas subvenir à leurs besoins de base, tandis que 94% ont adopté des mesures de survie, telles que la réduction des repas ou la contraction de dettes.