Fermer sites icon close
Search form

Recherchez un site de pays.

Profil du pays

Site web du pays

CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA QUATORZIEME SEANCE

CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA QUATORZIEME SEANCE
A/CONF.2/SR.14

22 Novembre 1951
Présents :
Président :M. LARSEN
Membres :
AustralieM. SHAW
AutricheM. FRITZER
BelgiqueM. HERMENT
BrésilM. de OLIVEIRA
CanadaM. CHANCE
DanemarkM. HOEG
EgypteMUSTAPHA Bey
Etats-Unis d'AmériqueM. WARREN
FranceM. COLEMAR
GrèceM. PHILON
IrakM. AL PACHACHI
IsraëlM. ROBINSON
ItalieM. THEODOLI
LuxembourgM. STURM
NorvègeM. ANKER
Pays-BasM. van BOETZELAER
République fédérale d'AllemagneM. von TRÜTZSCHLER
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du NordM. HOARE
Saint-SiègeMgr. BERNARDINI, archevêque d'Antioche de Pisidie
Mgr. COMTE
SuèdeM. PETREN
Suisse (et Liechtenstein)M. ZUTTER
TurquieM. MIRAS
VenezuelaM. MONTOYA
YougoslavieM. MAKIEDO
Observateurs :
IranM. KAFAI
Haut-Commissaire pour les réfugiésM. van HEUVEN GOEDHART
Représentants d'institutions spécialisées et autres organisations intergouvernementales
Organisation internationale du TravailM. WOLF
Organisation internationale pour les réfugiésM. SCHNITZER
Conseil de l'EuropeM. von SCHMIEDEN
Représentants d'organisations non gouvernementales
Catégorie A
Confédération internationale des Syndicats chrétiensM. EGGERMANN
Catégorie B et registre
Caritas InternationalisAbbé HAAS
M. BRAUN
M. METTERNICH
Comité de coordination d'organisations juivesM. WARBURG
Comité international de la Croix-RougeM. OLGIATI
Congrès juif mondialM. RIEGNER
Conseil consultatif d'organisations juivesM. MEYROWITZ
Conseil international des femmesMme GIROD
Union catholique internationale de service socialMlle de ROMER
Union internationale des Ligues féminines catholiquesMlle de ROMER
Secrétariat :
M. HumphreySecrétaire exécutif
Mlle KitchenSecrétaire exécutive adjointe

1. DECLARATION DE Mgr BERNARDINI, ARCHEVEQUE D'ANTIOCHE DE PISIDIE, REPRESENTANT DU SAINT-SIEGE

Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à Mgr Bernardini, représentant du Saint-Siège, et lui donne l'assurance que la Conférence se félicite de le voir participer à ses travaux. Il est persuadé que la collaboration amicale qui a régné jusqu'ici entre les diverses délégations s'étendra au représentant qui vient d'arriver.

Mgr. BERNARDINI (Saint-Siège) remercie le Président des paroles de bienvenue qu'il a prononcées à son égard. Le Saint-Siège s'intéresse depuis longtemps au sort des réfugiés. Il est heureux que le problème des réfugiés et des apatrides qui a déjà fait l'objet des préoccupations de plusieurs organismes internationaux ait été repris par l'Organisation des Nations Unies. Le Saint-Siège est toujours prêt à collaborer au soulagement des misères humaines et il met bien volontiers l'expérience qu'il a acquise dans le domaine de la charité à la disposition de la Conférence.

2. EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (Point 5 a) DE L'ORDRE DU JOUR) (A/CONF.2/1 et Corr.1, A/CONF.2/5) (Reprise des délibérations de la treizième séance) :

i) Article 26 - Réfugiés en situation irrégulière dans le pays d'accueil (A/CONF.2/58, A/CONF.2/62, A/CONF.2/65) (suite)

M. van HEUVEN GOEDHART (Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés) comprend parfaitement les raisons qui ont amené la délégation française à déposer son amendement (A/CONF.2/62) à l'article 26, et il sait fort bien que le Gouvernement français n'a pas l'intention d'appliquer des mesures restrictives aux réfugiés. Au contraire, la France est l'un des pays qui ont toujours fait preuve de la plus grande générosité à l'égard de ces malheureuses personnes. Il estime toutefois que le texte de l'article tel qu'il serait modifié par l'amendement français pourrait soulever quelques difficultés.

Il existe deux catégories principales de réfugiés. Il y a tout d'abord ceux qui, après avoir quitté un pays où ils étaient persécutés, arrivent dans un autre pays où, après avoir séjourné un certain temps sans être inquiétés, ils peuvent se trouver en danger d'être persécutés à nouveau. Si, pour cette raison, ils quittent ce pays pour un pays de véritable asile, on pourra dire alors qu'ils ne viennent pas directement de leur pays d'origine. En 1944, par exemple, l'orateur a dû quitter les Pays-Bas où il était persécuté et il l'est caché pendant cinq jours en Belgique. Comme il courait encore le risque d'être persécuté dans ce pays, le mouvement de résistance l'a aidé à pénétrer en France. De là, il s'est dirige vers l'Espagne, puis vers Gibraltar. Avant d'atteindre Gibraltar. Avant d'atteindre Gibraltar, il a donc traversé plusieurs pays où existait une menace de persécution. Il considère qu'il serait des plus regrettable que des sanctions pénales soient appliquées à un réfugié se trouvant dans des circonstances analogues parce qu'il ne gagne pas directement son pays d'asile. A son avis, le texte serait amélioré si, au lieu de mentionner le pays d'origine du réfugié, on reprenait pour l'article 26, la rédaction de l'article 28.

Il y a d'autre part les réfugiés qui vont directement du pays où ils sont persécutés au pays où ils cherchent refuge. Toutefois, il se peut qu'on ne leur accorde pas le droit de s'établir dans ce pays, même si ledit pays est un Etat contractant. Ainsi, un réfugié peut avoir à souffrir s'il arrive dans un pays qui ne fait pas preuve d'une attitude généreuse. On pourrait peut-être protéger de tels réfugiés en remplaçant les mots « et leur exposent les raisons reconnues valables » par les mots « ou leur exposent d'autres raisons reconnues valables ». Le fait qu'un réfugié s'est enfui d'un pays où il était persécuté est en lui-même une raison qui justifie son entrée ou sa présence dans un pays d'asile.

M. l'Abbé HAAS (Caritas Internationalis) prenant la parole sur l'invitation du PRESIDENT, dit que l'amendement présenté puis retiré par la délégation de la Colombie a, pour la première fois au cours de la présente Conférence, posé explicitement la question du droit d'asile. C'est à propos de ce droit d'asile, particulièrement délicat lorsqu'il s'agit des réfugiés clandestins, que l'organisation non gouvernementale Caritas Internationalis désire faire une déclaration.

Tout d'abord, cette organisation tient à dire combien elle s'est réjouie à la pensée que des travaux de la Conférence allait sortir un nouvel instrument diplomatique qui codifiera de la manière la plus humaine possible les conditions de mise en oeuvre de l'un des plus anciens droits de l'humanité, le droit d'asile, sur lequel Caritas Internationalis a déjà attiré l'attention de la Commission des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies.

L'accueil du réfugié par celui qui est en mesure de lui accorder sa protection établit antérieurement aux relation de droit des rapports de confiance mutuelle entre celui qui confie à un autre pays la protection de sa vie et de sa liberté et celui qui est disposé à la lui assurer en lui accordant asile. C'est dire qui sur le plan spirituel et sur le plan humain lé droit d'asile prend une ampleur qui ne tolère d'autres resserves qui celles qui sont à même de le mieux garantir.

En exprimant ce principe général, Caritas Internationalis n'entend pas sa livrer à une démagogie facile. Elle ne fait qu'interpréter les sentiments de toutes les organisations catholiques bénévoles d'assistance. Caritas Internationalis est profondément convaincue qui le maximum d'efforts doit être entrepris pour assurer aux réfugiés, dès l'instant où ils sont privés de leurs protections naturelles, le respect effectif et universel de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables. Dans cette difficile tâche de l'accueil, un équilibre peut et doit être trouvé entre les mesures de prudence et celles de la charité, entre la part de la fermeté et celle de la générosité.

L'organisation qu'il représente se permet d'attirer instamment l'attention de la Conférence sur la situation exceptionnelle du réfugié qui, en quelque pays qu'il soit, en quelque continent qu'il se trouve, reste toujours un être qui a souffert de son déracinement plus que l'on ne peut le supposer, un être privé de l'appui de sa patrie et qui, de ce fait, souvent contraint à la clandestinité et à l'illégalité, ne sera jamais un étranger comme les autres. Dès lors, les droits spéciaux reconnus aux réfugiés par des Conventions antérieures et aussi par la conscience universelle, ne sont pas des privilèges au sens juridique du mot, mais naissent maternellement de la condition même du réfugié. Caritas Internationalis espère donc le souci des intérêts matériels, économiques, sociaux et politiques du pays d'accueil ne dictera pas aux gouvernements des réserves incompatibles avec la forme la plus noble de l'hospitalité.

M. COLEMAR (France) reconnaît les difficultés qui peut soulever l'application des dispositions de l'article 26, si son amendement est adopté. La France ne s'oppose pas systématiquement à l'entrée ou au séjour irrégulier de certains réfugiés et la délégation française est toute disposée à envisager une modification au texte de l'amendement qu'elle a présenté en remplaçant, par exemple, les mots « arrivant directement de leur pays d'origine » par les mots « n'ayant pu trouver un asile, même provisoire, dans un pays autre que celui dans lequel leur vie ou leur liberté serait menacée ». Cette modification répondrait aux préoccupations exprimées par le Haut-Commissaire.

M. von TRÜTZSCHLER (République fédérale allemande )déclare que l'amendement de la France souligne les difficultés que rencontrent les pays d'asile. L'Allemagne est l'un de ces pays ; sa Constitution admet le principe du droit d'asile. La Constitution allemande ainsi d'ailleurs que sa situation géographique imposent donc à ce pays un fardeau spécial. L'Allemagne continuera à faire tout ce qui est en son pouvoir pour soulager le sort des réfugiés et pour se montrer aussi libérale que possible envers ceux d'entre eux pour qui l'Allemagne est le premier pays de refuge.

M. von Trützschler demande instamment aux gouvernements représentés à la Conférence d'ouvrir leurs frontières aux réfugiés aussi largement que possible afin d'aider l'Allemagne à venir à bout de la tâche extrêmement difficile qui lui incombe à cet égard.

M. HOARE (Royaume-Uni) déclare que, tout en comprenant l'objectif auquel tend l'amendement de la France, il a été très frappé par les arguments avancés par le Haut-Commissaire pour les réfugiés. Il se demande si le texte primitif de l'article 26 n'accorde pas une latitude suffisante à des pays qui, comme la France, reçoivent un grand nombre de réfugiés. D'après le paragraphe 1, les Etats doivent éviter d'appliquer des sanctions pénales aux régulés qui se présentent sans délai aux autorités et leur exposent les relisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulière. Le fait qu'un réfugié fuit les persécutions est déjà une raison valable. Mais, ainsi que l'a souligné le Haut-Commissaire, il peut se présenter des cas où un réfugié peut fournir une raison valable, même s'il ne vient pas directement d'un pays où sa vie était en danger.

C'est pourquoi l'orateur pense qu'il suffirait que les Etats contractants acceptent le paragraphe 1 dans sa rédaction primitive ; il leur est, en effet loisible de décider si un réfugié expose bien une raison valable de son entrée ou de sa présence. Le texte primitif du paragraphe 1 sera plus généreux envers le réfugié, tout en laissant suffisamment de libre arbitre aux Etats contractants.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) craint que l'article 26 ne puisse être interprété comme interdisant aux Etats de refouler des réfugiés qui auraient pénétré illégalement sur leur territoire, Mais puisqu'à la séance précédente, le représentant du Canada a fait observer qu'il interpréterait le silence des représentants comme constituant une approbation tacite de l'interprétation donnée à l'article 26 par le Gouvernement du Canada, il n'en dira pas davantage.

Il éprouve également quelques inquiétudes au sujet de l'interprétation des mots « raisons reconnues valables ». Il lui semble que l'article 26 exclut la possibilité pour un réfugié d'être autorisé à entrer dans un autre pays où, par exemple, un membre de sa famille serait malade. Après avoir réfléchi aux diverses éventualités possibles, il reconnaît, avec le représentant du Royaume-Uni, qu'il est difficile de définir brièvement ce qu'on entend pan anglais par good cause. Les mots « reconnues valables », qui figurent dans le texte français du paragraphe 1, rendent correctement l'idée qu'on a voulu exprimer ; ils impliquent en effet que l'Etat peut, à sa discrétion, juger des cas individuels, alors que le texte anglais ne prévoit pas un tel critère.

M. COLEMAR (France) regrette d'être obligé d'insister en faveur de son amendement. Certes, il est souvent difficile de définir les raisons qui peuvent être reconnues valables pour justifier l'entrée ou la présence irrégulière d'un réfugié sur le territoire d'un Etat. Mais c'est en raison même de cette difficulté qu'il est nécessaire de préciser le texte du paragraphe 1. Si l'on reconnaît à un réfugié le droit de chercher asile dans un pays d'accueil, il est normal qu'on lui impose certaines obligations à l'égard des autorités de ce pays.

M. ZUTTER (Suisse) pense qu'il s'agit lé d'une question importante. Il est utile de savoir quelles sont les raisons qui peuvent être reconnues valables par les autorités d'un pays pour justifier l'entrée ou la présence illégale d'un réfugié sur son territoire. La Suisse se contenterait sans doute du texte actuel de l'article 26 si elle n'avait pas précisément éprouvé des difficultés à ce sujet. La législation fédérale suisse n'a peut-être pas résolu entièrement ces difficultés, mais elle les a sensiblement atténuées en prévoyant le genre et la gravité des poursuites auxquelles s'expose le réfugié entré ou séjournant clandestinement sur le territoire helvétique. Il y a peut-être là un exemple dont pourrait s'inspirer la Conférence.

Selon M. SHAW (Australie) c'est simplifier à l'excès et recourir à une solution trop facile que de classer les nations en pays d'établissement et en pays d'asile. L'Australie se range dans l'une et l'autre de ces catégories ; en effet, bien qu'elle n'ait pas de frontières terrestres communes avec d'autres pays, elle n'en possède pas moins sa part d'immigrants clandestins. Pendant la guerre, des milliers d'immigrants de cette catégorie, fuyant leur pays d'origine qu'occupaient les Japonais, par exemple l'Indonésie, les îles du Pacifique, la Nouvelle-Guinée, la Chine et la presqu'île de Malacca, ont débarqué illégalement sur le territoire de l'Australie, où ils ont été considérés comme des réfugiés fuyant devant un ennemi commun. On leur a donné les même rations et accordé le même traitement qu'aux ressortissants australiens, dans des conditions analogues à celles qui sont prévues à l'article 26. Après la guerre, beaucoup de réfugiés ont été renvoyés dans leur pays d'origine, mais un nombre plus important encore est demeuré en Australie. L'orateur ne mentionne cette situation que pour montrer que l'Australie, elle aussi, se trouve placée devant le problème des immigrants illégaux qui demandent le statut de réfugié.

Plusieurs économistes de réputation mondiale ont affirmé que le taux de l'immigration australienne est trop élevé. L'Australie est disposée à accepter ce risque, mais elle voudrait savoir exactement ce à quoi elle s'engage au total, particulièrement si l'article 26 tend à imposer d'autres obligations aux Etats. L'orateur a été heureux de prendre connaissance des renseignements fournis à la séance précédente au sujet de la genèse et de l'interprétation de l'article 26. Les représentants du Canada, des Pays-Bas et de la Belgique ont expliqué que cet article ne visait pas à permettre des empiècements sur la prérogative que possède l'Etat de refouler des réfugiés, s'il en décide ainsi, et qu'il s'applique simplement aux droits qu'a l'Etat de donner asile. Certains représentants ont fait valoir qu'il y aurait lieu de donner une interprétation large aux mots « raisons reconnues valables » ; cet argument, qui n'a pas été réfuté, influence l'attitude de la délégation de l'Australie. L'orateur n'est pas encore en mesure de voir clairement quelles sont les catégories de personnes auxquelles s'applique l'article 26. Il réservera donc son attitude définitive sur cet article jusqu'à ce qu'une décision ait été prise au sujet de l'article premier. On saura alors à quelles catégories de réfugiés doit s'appliquer l'article 26.

M. HERMENT (Belgique) estime que la question revient à savoir si le Gouvernement français considère qu'il est libre d'appliquer des sanctions pénales à un réfugié parce que les raisons invoquées par celui-ci pour justifier sa présence ou son entrée irrégulière en France n'ont pas été reconnues valables. Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire d'introduire l'amendement français à l'article 26.

M. COLEMAR (France) dit que c'est parce que texte de l'article 26 n'est pas clair et explicite qu'il faut y introduire une précision. Si l'on admet sans réserve qu'un réfugié établi provisoirement dans un pays d'accueil peut entrer dans un autre pays, c'est lui reconnaître un droit d'immigration qui peut être exercé pour des raisons de simple convenance personnelle, et dans ce cas, il est normal qu'il sollicite un visa des autorités du pays en question. Il est inexact de dire que l'article 26 ne s'applique pas à l'immigration et qu'il ne concerne que le droit d'asile.

M. HERMENT (Belgique) est d'accord avec le représentant de la France sur cette interprétation. Le gouvernement français entend dispenser de sanctions pénales le réfugié entrant irrégulièrement sur le territoire d'un Etat contractant lorsqu'il vient du territoire d'un autre Etat où il n'a pu trouver asile. Le représentant de la Belgique se demande si cette raison constituerait à elle seule une « raison reconnue valable ». De toutes façons, le cas de ce réfugié sera soumis aux tribunaux qui décideront s'il y a lieu ou non de lui accorder le bénéfice de circonstances atténuantes.

M. van HEUVEN GOEDHART (Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés) déclare qu'il a écouté la discussion avec grand intérêt et rappelle que dans son exposé précédent il n'a pas abordé le point principal, c'est-à-dire la question de savoir s'il était vraiment nécessaire d'apporter un amendement quelconque à l'article 26. L'article 26, comme il l'interprète, répond bien aux diverses objections soulevées par la délégation français. Mais, puisque le représentant de la France semble avoir quelque difficulté à accepter le texte actuel, il tient à dire qu'à son avis, les deux catégories de réfugiés dont il a parlé précédemment seraient protégées si la dernière suggestion du représentant de la France était adoptée.

Le PRESIDENT fait observer que, sous réserve des conventions internationales qu'ils ont signées, les Etats disposent en matière de législation nationale de pouvoirs souverains. L'article 26 ne traite que des cas d'entrée irrégulière et prévoit certains engagements à cet égard de la part des Etats. Si son interprétation de cet article est juste, les délégations qui ont éprouvé certains doutes quant à la portée des obligations prévues dans cet article peuvent être assurées que les intérêts des Etats qu'elles représentent seront sauvegardés. M. HOARE (Royaume-Uni) estime qu'il serait difficile de définir de façon plus précisé que dans le texte originale quels réfugiés il s'agit. Si la dernière suggestion du représentant de la France, appuyée par le Haut-Commissaire pour les réfugiés, était adoptée, un réfugié devrait non seulement donner la preuve qu'il a droit au statut de réfugié mais encore qu'il ne peut trouver asile dans un pays autre que celui dans lequel il demande à s'établir. Ce serait donc au réfugié lui-même qu'il incomberait d'apporter une preuve négative, avant d'être autorisé à s'établir dans un pays, il aurait à démontrer qu'il ne peut pas se fixer dans un autre.

Le PRESIDENT considère que les mots « raisons reconnues valables » obligent le réfugié à exposer pourquoi il n'a pas pu trouver asile dans un pays voisin de son pays d'origine.

M. ZUTTER (Suisse) partage l'avis du Président. Dans la pratique, il sera assez facile de déterminer les raisons qui ont incité un réfugié à pénétrer ou à séjourner irrégulièrement sur le territoire d'un Etat contractant. L'amendement de la franche n'est pas de nature à gêner l'application du paragraphe 1 de l'article 26. C'est pourquoi la Suisse appuient amendement dans sa dernière forme.

M. HERMENT (Belgique)voudrait obtenir une précision sur ce qu'on entend par « asile provisoire ». Un Etat contractant pourra-t-il appliquer des sanctions pénales à un réfugié qui aurait fait dans un autre pays un séjour de huit ou de quinze jours à l'expiration duquel il aura dû chercher asile sur le territoire de cet Etat ?

M. COLEMAR (France) dit qu'il se pose ici une question de fait et une question de principe. Un Etat peut ne pas accorder asile à un réfugié mais il s'agit surtout de savoir si le pays où le réfugié sera entré irrégulièrement pourra lui appliquer ou non des sanctions pénales. M. PHILON (Grèce) dit que lorsqu'un pays, an fixant au réfugié un séjour provisoire, l'a privé de sa liberté de résidence, il s'agit bien d'un cas où une sanction pénale ne peut être appliquée au réfugié par un autre pays sur le territoire duquel il aura pénétré ou séjourné irrégulièrement. Reprenant une observation du PRESIDENT, M. HERMENT (Belgique) propose de remplacer les mots « n'ayant pu trouver un asile », dans la dernière version de l'amendement du représentant de la France, par les mots « ne pouvant trouver un asile ».

M. COLEMAR (France) ne pense pas qu'il y ait entre ces deux rédactions une nuance très perceptible. La modification proposée par le représentant de la Belgique ne changera en tout cas rien à l'idée exprimée par l'amendement français. Toutefois, le représentant de la France ne s'opposera pas à cette modification. M. HERMENT (Belgique) ne partage pas l'avis du représentant de la France. Il y a une différence entre « ne pouvant trouver asile » et « n'ayant pu trouver asile ». La seconde expression empêcherait de se prévaloir de cette disposition tout réfugié qui a trouvé asile pendant quelques jours dans un pays qu'il aurait traversé.

Après un échange de vues entre M. HERMENT (Belgique), M. COLEMAR (France), M. PHILON (Grèce) et M. ZUTTER (Suisse), M. COLEMAR (France) accepte la suggestion du représentant de la Belgique tendant à remplacer dans l'amendement de la France modifié, les mots « n'ayant pu trouver un asile » par les mots « ne pouvant trouver un asile ».

Le PRESIDENT met aux voix l'amendement français au paragraphe 1 de l'article 26, tel qu'il vient d'être modifié. Le texte est ainsi rédigé :

« Les Etats contractants appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irrégulier, aux réfugiés qui, ne pouvant trouver un asile, même provisoire, dans un pays autre que celui dans lequel leur vie ou leur liberté est menacée, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou de leur présence irrégulière »

Le Président indique qu'il existe entre les versions française et anglaise quelques légères différences de forme que le Comité du style devra concilier.

Par 15 voix contre zéro. Avec 8 abstentions, l'amendement français au paragraphe 1 de l'article 26, tel qu'il vient d'être modifié, est adopté.

Le PRESIDENT appelle ensuite l'attention de la Conférence sur l'amendement à l'article 26 présenté par l'Autriche (A/CONF.2/58).

M. FRITZER (Autriche)fait observer qu'il convient de remplacer, dans son amendement, les mots « un arrêt d'expulsion ou de séjour » par les mots « un arrêt d'expulsion ou d'interdiction de séjour ».

M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) estime qu'il faut ajouter le mot « déjà » après les mots « il existe », car autrement, la phrase aurait peu de sens.

Le PRESIDENT reconnaît que le texte anglais actuel n'est pas satisfaisant, mais il espère que les délégations de langue anglaise n'ont aucun doute sur sa signification. Si l'amendement est adopté en principe, le Comité de style en révisera le texte ultérieurement .

M. HOARE (Royaume-Uni) se demande si cet amendement est nécessaire étant donné que le texte original stipule que les réfugiés doivent exposer les raisons reconnues valables de leur entrée ou de leur présence irrégulière sur un territoire. Un réfugié qui a été expulsé d'un pays, qui sait qu'il fait l'objet d'une mesure d'expulsion et qu'il est passible de sanctions pénales ne peut ordinairement pas exposer de raisons pouvant être « reconnues valables ».

M. CHANCE (Canada) partage l'opinion du représentant du Royaume-Uni et il estime que le texte actuel est suffisant.

M. HERMENT (Belgique)fait observer qu'il y a des cas où l'on ne peut invoquer contre un réfugié une mesure d'expulsion ou d'interdiction de séjour lorsque, par exemple, cette mesure remonte à 20 ou 25 ans. Aussi, pense-t-il que l'Autriche devrait renoncer à son amendement. M. FRITZER (Autriche) dit que dans des cas tels que celui mentionné par la Belgique, les sanctions pénales appliquées au réfugié seront légères. En tout état de cause, puisque l'article 26 dit que dans certains cas il ne sera pas appliqué de sanctions pénales, il semble nécessaire d'ajouter qu'exceptions prévues ne joueront pas pour certaines catégories de réfugiés.

M. HERMENT (Belgique) reconnaît que l'observation du représentant de l'Autriche est judicieuse. Toutefois, il y a lieu d'observer que, même minime, une sanction pénale appliquée à un réfugié aboutira à une nouvelle interdiction de séjour.

MUSTAPHA Bey (Egypte)attire l'attention du représentant de la Belgique sur le fait que, dans le cas qu'il a indiqué y aurait prescription et que par conséquent les dispositions de l'amendement autrichien ne s'appliqueraient pas.

M. HERMENT (Belgique) fait observer, qu'à sa connaissance, il n'y a pas prescription en matière d'expulsion

Le PRESIDENT met aux voix l'amendement de l'Autriche (A/CONF.2/58) au paragraphe 1 de l'article 26.

Par 9 voix contre 2, avec 10 abstentions, l'amendement de l'Autriche est rejeté.

Le PRESIDENT annonce que la délégation suédoise a déposé un amendement au paragraphe 2 (A/CONF.2/65).

M. PETREN (Suède) indique qu'il a déposé son amendement pour une raison très simple. Le paragraphe 2 de l'article 26 établit une distinction entre la période antérieure à la régularisation de la situation du réfugié et la période postérieure à cette régularisation. Or, il peut arriver qu'après la régularisation de la situation d'un réfugié des raisons de sécurité nationale exigent que l'on apporte certaines restrictions à ses déplacements. Le texte actuel du paragraphe 2 de l'article 26 ne le permet pas. Le PRESIDENT ne comprend pas très bien la protée de l'amendement suédois. La première disposition du paragraphe 2 du texte originale l'article 26 signifie que les Etats contractants ne devraient pas appliquer au déplacement des réfugiés mentionnés au paragraphe 1 d'autres restrictions que celles qui sont nécessaires ; l'amendement suédois ne modifie pas cette disposition. La seconde disposition du paragraphe 2 concerne l'étendue des restrictions, et le texte original habilite les Etats à appliquer ces restrictions jusqu'à ce que la situation du réfugié ait été régularisée ou jusqu'à ce qu'il ait pu obtenir l'autorisation d'entrer dans un autre pays.

Il souligne que le paragraphe 2 traite exclusivement des immigrants en situation irrégulière. La question se pose alors de savoir comment les Etats devront traiter ces immigrants. En vertu du paragraphe 1, les Etats contractants ne doivent pas leur appliquer de sanctions pénales s'ils fournissent des rasions valables justifiant leur entrée sur territoire ces Etats. On peut alors se demander si les Etats peuvent incarcérer un immigrant se trouvant en situation irrégulière. Quoi qu'il en soit, la situation dans laquelle se trouveront les réfugiés en situation irrégulière sera provisoire ; elle prendra fin lorsque l'Etat intéressé, après avoir examiné les dossiers appropriés, les reconnaîtra soit comme réfugiés de bonne foi, non soumis à des restrictions, soit comme réfugiés indésirables.

M. PETREN (Suède) dit qu'à la suite des explications données par le Président, qui ont éclairé parfaitement le sens du paragraphe 2, il retire son amendement. Toutefois, il est certain que le texte actuel de ce paragraphe n'est pas clair. Le Comité de style devra donc le revoir.

De l'avis de M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique), les dispositions de l'article 21 sont de nature à répondre à l'objection soulevée par le représentant de la Suède.

M. PETREN (Suède) fait observer qu'il existe une catégories de réfugiés dont la situation est intermédiaire entre celle des réfugiés séjournant régulièrement sur le territoire d'un Etat et celle des réfugiés séjournant irrégulièrement sur ce territoire. Cette catégorie de réfugiés peut être tolérée par un Etat sur son territoire. Il existe une nette opposition entre la rédaction de l'article 21 et celle de l'article 26 du projet de convention et cette divergence devrait être signalée à l'attention du Comité de style.

M. PHILON (Grèce) dit qu'il faut rendre justice à l'amendement suédois. Même retiré, il constitue une contribution utile à l'étude du problème. Il souligne en effet que le critère dont l'administration doit s'inspirer pour appliquer des restrictions aux déplacements des réfugiés est celui de la sécurité nationale. Il apaise également certaines appréhensions des Etats intéressés et facilitera leur adhésion à la convention. Le Comité de style devra tenir compte des suggestions contenues dans l'amendement de la Suède.

Le PRESIDENT rappelle qu'en insérant au paragraphe 2 les mots « autres restrictions que celles qui sont nécessaires », le Comité spécial avait voulu tenir compte de considérations de sécurité, de circonstances spéciales telles qu'un grand et soudain afflux de réfugiés, ou de toutes autres raisons qui pourraient rendre nécessaire l'application de restrictions aux déplacements des réfugiés.

M. HOARE (Royaume-Uni) reconnaît avec le représentant de la Grèce, que l'amendement suédois a eu l'avantage de révéler la possibilité d'une interprétation erronée du paragraphe 2. Le représentant de la Suède a compris autre chose que ce que le Comité spécial avait eu l'intention de dire en utilisant les mots « en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ». Pour le Comité spécial, ces mots signifiaient certainement l'admission d'un réfugié dans un pays pour un séjour permanent et non la simple délivrance de documents avant qu'une décision définitive ait été prise au sujet de la durée de son séjour. Le représentant de la Suède a également demandé à juste titre si les dispositions de l'article 26 n'étaient pas en contradiction avec celles de l'article 21. L'article 26 stipule que les déplacements des réfugiés ne devraient pas être soumis à restriction après la fin de la période nécessaire pour la régularisation de leur statut, alors que l'article 21 confère des pouvoirs généraux pour restreindre la liberté de déplacement des réfugiés.

M. PETREN (Suède) estime que le représentant du Royaume-Uni a raison. La difficulté réside dans la définition de la situation régulière d'un réfugié.

M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) fait observer que l'on pourrait donner satisfaction au représentant de la Suède en remplaçant les mots « ait été régularisé » par les mots « ait été assimilé à celui d'un réfugié résidant régulièrement dans le pays d'accueil ».

Le PRESIDENT relève qu'une telle suggestion vaudrait sans doute pour les Etats-Unis d'Amérique où il existe deux catégories d'immigrants ; ceux qui sont admis régulièrement et ceux qui entrent clandestinement. Mais il n'en serait peut-être pas de même dans d'autres pays où il existe des régimes intermédiaires, par exemple, dans certains pays qui admettent les réfugiés sur leur territoire pour une période de temps limitée.

M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) indique que le Président n'a pas tout à fait raison. Il existe aux Etats-Unis d'Amérique une catégorie de « visiteurs temporaires » ou de personnes en transit dont le séjour est soumis à certaines conditions spéciales.

Le PRESIDENT met aux voix le paragraphe 2 de l'article 26.

Par 22 voix contre zéro, avec 2 abstentions, le paragraphe 2 est adopté, sous réserve des modifications de forme qui seront apportées par le Comité de style.

Par 20 voix contre zéro, avec 4 abstentions, l'ensemble de l'article 26 ainsi amendé est adopté.

ii) Article 27 - Expulsion et refoulement du réfugié résidant régulièrement au pays d'accueil (A/CONF.2/44, A/CONF.2/57, A/CONF.2/60, A/CONF.2/63)

Le PRESIDENT appelle l'attention des représentants sur les amendements à l'article 27 déposés par les délégations de l'Egypte (A/CONF.2/44), de l'Italie (A/CONF.2/57), du Royaume-Uni (A/CONF.2/60) et de la France (A/CONF.2/63).

M. CHANCE (Canada) déclare, au sujet du paragraphe 1 de l'article 27, que l'expression « ordre public » ne satisfait pas entièrement le Gouvernement canadien. Cette expression a un sens juridique plus précis dans les pays continentaux que dans les pays de droit coutumier. Il voudrait donc que le sens de cette expression soit défini très précisément. La législation canadienne relative à l'expulsion est très explicite, mais la décision d'expulser une personne appartient en général au Ministre intéressé qui, à ce qu'il sait, a toujours exercé son pouvoir avec compréhension et bienveillance. Il existe toutefois certaines dispositions juridiques obligatoires prévoyant l'expulsion pour certains délits particuliers, tels que le trafic des stupéfiants. Le Comité spécial a reconnu, d'une manière générale, que les motifs d'expulsion devraient être laissés à l'appréciation de l'Etat intéressé.

Le PRESIDENT renvoie la Conférence au paragraphe 29 du rapport (E/1850) sur la deuxième session du Comité spécial, où sont consignés les diverses opinions exprimées sur l'emploi de l'expression « ordre public ».

La définition de cette expression présente une difficulté considérable en raison des différences existant dans la structure sociale des différents pays. Pas exemple, du temps de la prohibition, aux Etats-Unis d'Amérique, une contrebande d'alcool, même portant sur de faibles quantités, pouvait être considérée comme une violation de l'ordre public. Une activité semblable n'aurait pas été considérée de la même façon dans un pays comme le Danemark où elle n'aurait constitué qu'une infraction à la réglementation douanière. Le Président doute qu'il soit possible de donner une définition uniforme de cette expression.

M. CHANCE (Canada) indique que son Gouvernement se heurte aussi à une deuxième difficulté. Les dépenses occasionnées par l'assistance publique et les services médicaux sont à la charge des autorités provinciales et le Gouvernement fédéral pourrait avoir des difficultés à prendre, en leur nom, certains engagements qui pourraient avoir des incidences financières.

MUSTAPHA Bey (Egypte) présente son amendement (A/CONF.2/44) à l'article 27. Cet amendement vise à rendre le régime d'expulsion plus libéral et à offrir aux réfugiés un maximum de garanties contre des expulsions arbitraires.

L'article 27 pose le principe qu'un réfugié régulièrement admis sur le territoire d'un Etat contractant ne pourra en être expulsé que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public et en exécution d'une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi.

La délégation de l'Egypte estime que le texte actuel du paragraphe 1 ne donne pas aux réfugiés des garanties suffisantes contre un abus du droit d'expulsion. Les termes de ce paragraphe sont en effet trop généraux et laissent la liberté de choisir aux gouvernements. Il faut employer des termes précis et poser des critères bien définis. Le paragraphe 1 de l'amendement de l'Egypte énumère les motifs pour lesquels un réfugié pourra être expulsé. Le paragraphe 2 de et amendement précise que, dans tous les cas, l'expulsion ne sera exercée qu'à l'égard du réfugié lui-même, et non pas à l'égard de membres de sa famille, ce qui serait évidemment injuste. En ce qui concerne la décision ministérielle frappant un réfugié d'expulsion, elle ne pourra être prise qu'en exécution d'un arrêt judiciaire. La procédure proposée dans l'amendement égyptien donnera donc toutes les garanties nécessaires au réfugié.

Le SECRETAIRE EXECUTIF signale que l'expression « ordre public » a déjà été discutée en diverses occasions, notamment à propos du projet de Pacte international relatif aux droits de l'homme. Dans un mémorandum préparé à l'intention du Conseil économique et social (E/L.68), le Secrétariat avait présenté certaines observations au sujet de l'emploi de ces termes dans le projet de Pacte. Il donne lecture d'un passage du paragraphe 83 de ce mémorandum :

« Le Secrétaire général estime que l'emploi de cette expression soulève de graves questions de fond et c'est pourquoi il croit devoir attirer l'attention du Conseil sur les considérations juridiques suivantes.

En premier lieu, il convient de remarquer que l'expression anglaise « public order » n'est pas l'équivalent de l'expression française « ordre public » (ou de l'espagnol « orden público ») dont elle diffère sensiblement quant au fond. Dans le pays de droit civil, la notion d'ordre publique est une notion juridique de base qui sert surtout de fondement à l'interdiction ou à la limitation des accords entre particuliers, de l'exercice des pouvoirs de police ou de l'application des lois étrangères.

En droit commun, l'équivalent de « l'ordre public » n'est pas « public order », mais plutôt « public policy ». Dans les pays de droit coutumier, c'est ce concept qui est employé pour annuler ou limiter les accords entre particuliers ou l'application de la loi. Contrairement à cette notion de « public policy » l'expression anglaise « public order » n'est pas un concept juridique reconnu. En anglais, cette expression, dans son acception courante, ne signifierait simplement que « absence de désordre public ». C'est donc une notion qui est évidemment bien éloignée du concept d'« ordre public » ou de « public policy ».

Il faut incontestablement qu'il y ait équivalence dans le Pacte entre les concepts français. La question se pose donc de savoir s'il convient de garder comme restriction des droits prévus aux articles 13-16, cette notion de « l'ordre public » ou, en anglais, de « public policy ». Le Secrétaire général estime que la question est extrêmement importante étant donné que ce concept de « l'ordre public/public policy » est dans la plupart des juridictions un principe large et souple que les commentateurs juridiques ont souvent qualifié de vague et d'indéfini....

Il est vrai qu'en ce qui concerne certaines situations on a donné à la notion d'« ordre public » ou de « public policy » un sens technique assez bien défini, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'une notion assez vague et assez élastique pour qu'elle puisse s'appliquer à un assez grand nombre de situation nouvelle. C'est pourquoi il n'est guère douteux que, si on l'introduit comme restriction à l'exercice des droits fondamentaux de l'homme, elle pourra fort bien servir de base à des dérogations étendues aux droits accordés ».

M. PHILON (Grèce) fait observer que si l'on en juge par le rapport du Comité spécial, l'expression « les raisons de sécurité nationale ou d'ordre public » est destinée à comprendre l'application de certaines mesures légitimes prises par l'Administration. L'explication donnée par le Secrétaire exécutif n'éclaircit pas la situation. Il semble qu'il suffirait, pour résoudre la difficulté, d'ajouter dans le paragraphe 1 du texte actuel de l'article 27, après les mots « pour des raisons », le mot « légitimes », sans modifier autrement le paragraphe.

M. PETREN (Suède) est d'accord avec le représentant de la Grèce. Mais la difficulté réside surtout dans l'expression « réfugié régulièrement sur leur territoire ». Quel est en effet le critère que adoptera pour déterminer si un réfugié réside régulièrement sur un territoire ? La Suède fait une différence entre les étrangers à qui on a accordé le droit de se fixer et ceux qui ne possèdent qu'un droit de résidence temporaire. Pour les premiers, la question ne se pose pas, mais pour les seconds, le Gouvernement suédois veut pouvoir les expulser s'il en décide ainsi lorsque l'autorisation qui leur est accordée est expirée. Certes, le Gouvernement suédois ne manque pas d'examiner tous les cas particuliers, mais il entend réserver ses droits. Si donc à l'article 27 le terme « réfugié » s'applique à la première catégorie mentionnée, la délégation suédoise n'a pas d'objection à formuler contre le paragraphe 1 de cet article, mais s'il doit s'appliquer indistinctement à tous les réfugiés établis sur un territoire, la Suède devra faire des réserves sur l'article 27.

Mgr. COMTE (Saint-Siège) comprend les raisons qui ont inspiré l'amendement de l'Egypte. Il semble toutefois que le texte initial de l'article 27 couvre tous les cas. Il est difficile au Saint-Siège d'accepter en particulier l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'amendement égyptien, car s'il était adopté, il rendrait le sort des réfugiés plus pénible. La Convention sur les travailleurs migrants négociée sous les auspices de l'Organisation internationale du Travail, doit être appliquée prochainement ; or, l'article 8 de cette convention prévoit que les travailleurs migrants admis dans un pays ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine sauf s'ils le désirent formellement ou s'ils se trouvent dans l'impossibilité d'exercer leur métier pour cause de maladie. Cette disposition semble s'opposer à l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'amendement égyptien. Or, il est nécessaire que le texte de la Convention sur les travailleurs migrants et celui de la Convention relative au statut des réfugiés et des apatrides soient en harmonie.

M. ROCHEFORT (France) pense que l'intervention du représentant du Saint-Siège se dispense de longs commentaires. Il est personnellement convaincu que le représentant de l'Egypte n'a certainement pas voulu placer l'indigence sur le même pied que la criminalité et qu'il n'a pas vu que l'alinéa 1 c) de son amendement aurait cet effet. Pauvreté n'est pas vice, et l'indigence ne peut être considérée comme un crime.

L'amendement à l'article 27 présenté par la France (A/CONF.2/63) a certes un caractère quelque peu restrictif. La procédure française en matière d'expulsion prévoit en effet, que lorsqu'une mesure d'expulsion est envisagée à l'égard d'un étranger, notification doit en être faite à ce dernier à l'avance. Un délai d'un mois est accordé à l'intéressé pour préparer sa défense et comparaître devant une Commission composée de magistrats. Toutefois, une exception formelle est faite à cette procédure : c'est lorsqu'il s'agit d'étrangers coupables d'espionnage. Dans ce cas, il est compréhensible que le dossier ne puisse être communiqué et le Ministre compétent peut prononcer l'expulsion sans recourir à la procédure indiquée.

Le PRESIDENT fait remarquer que les articles 18 et 19 contiennent des dispositions ayant trait aux indigents.

M. FRITZER (Autriche) indique qu'en Autriche l'expression « ordre public » a un sens bien défini, et ne suscitera aucune difficulté au gouvernement fédéral.

M. SHAW (Australie) fait observer que, puisqu'en ce qui concerne l'expression « ordre public » il n'y a pas complète équivalence du paragraphe 1 de l'article 27 entre le texte anglais et texte français, il faut de toute évidence modifier le texte, soit en employant une autre expression soit en remplaçant dans le texte anglais les mots « public order » par les mots public policy. Il semble que la deuxième solution soit la meilleure.

MUSTAPHA Bey (Egypte) répondant au représentant du Saint-Siège, rappelle qu'en ce qui concerne les travailleurs migrants, une loi récente promulguée par le Gouvernement égyptien s'applique à tous les habitants qu'ils soient des nationaux, des étrangers ou des réfugiés. Le représentant de l'Egypte sait bien que pauvreté n'est pas vice. Il n'en reste pas moins qu'un indigent est à la charge de l'Etat et que celui-ci ne peut être considéré comme un organisme de secours public. Il a le droit de se séparer des éléments improductifs de la population étrangère. Ce droit d'ailleurs est consacré par tous les traités d'établissement. Néanmoins, pour apaiser les craintes exprimées par le représentant du Saint-Siège et le représentant de la France, la délégation égyptienne est disposée à retirer l'alinéa c) du paragraphe 1 de son amendement.

M. THEODOLI (Italie) présente l'amendement italien (A/CONF.2/57). La délégation de l'Italie n'a pas l'objection à formuler contre les paragraphes 1 et 3 de l'article 27. Par contre, elle ne peut accepter la deuxième phrase du paragraphe 2 de cet article et elle en demande la suppression. Il convient d'ajouter cependant qu'en Italie les réfugiés frappés d'une mesure d'expulsion peuvent se pourvoir auprès de l'autorité compétente.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) déclare que l'expression « ordre public » satisfait pleinement le Gouvernement des Pays-Bas, car le sens lui en paraît parfaitement clair.

Il espère que la Conférence n'adoptera pas l'amendement égyptien (A/CONF.2/44) qui, en parlant d'« activité de nature subversive », de « sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat » et de « morale publique », introduit des notions qui restent assez vagues. Il craint que l'adoption de cet amendement ne restreigne de façon excessive la liberté des réfugiés.

M. ROCHEFORT (France) fait observer que, dans l'amendement de l'Egypte, la mention concernant les activités portant atteinte à la santé publique pourrait gêner le Gouvernement français en mettant en difficulté certaines organisations, comme les Petites Soeurs des Pauvres, qui recueillent certaines éléments du « noyau résiduel ». Il ne sert à rien de prévoir une procédure judicieuse si le résultat auquel on aboutit est plus mauvais que celui qui est assuré par l'application de textes libéraux.

M. CHANCE (Canada) est disposé à accepter les amendements à l'article 27 présentés par la délégation française (A/CONF.2/63) et par la délégation du Royaume-Uni (A/CONF.2/60). Il voudrait également saisir la présente occasion pour expliquer brièvement en quoi consiste la procédure d'appel que prévoit la loi canadienne. Les personnes que l'on soupçonne d'avoir pénétré irrégulièrement sur le territoire du pays peuvent être convoquées devant une commission d'enquête composée de trois membres, constituée sur les instructions du ministre compétent. L'intéressé, qui peut comparaître en personne ou se faire représenter par un avocat, a donc toute possibilité de se défendre. Les conclusions de la commission sont adressées aux autorités fédérales d'Ottawa et si le refoulement est décidé, c'est au Ministre compétent qu'il appartient de prendre la mesure d'expulsion. Pour des raisons qu'il est facile de comprendre, on ne peut faire appel de cette décision. M. Chance croit que la procédure canadienne est la même que celle du Royaume-Uni. Le Gouvernement canadien ne croit pas que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 27 nécessiteraient un changement de cette procédure. Il se déclare en faveur de l'amendement présenté par la délégation française car il est bien évident que les réfugiés qui sont invités à fournir des preuves pour se disculper ne peuvent pas toujours le faire eux-mêmes. Il faut admettre qu'ils peuvent se heurter à cet égard à un certain nombre de difficultés d'ordre pratique.

M. HOARE (Royaume-Uni) fait observer que l'expression « ordre public » peut susciter des difficultés très précises aux pays de droit coutumier où l'expression n'a pas le sens juridique qu'elle a dans la juridiction des pays continentaux. La difficulté s'est produite dans le passé et on pourrait la surmonter s'il était possible de lui trouver un équivalent exact en anglais. Malheureusement, l'expression public policy a une portée sensiblement plus limitée ; comme l'expression « ordre public », elle implique que certaines lois ou certains règlements peuvent être contraires à l'ordre public mais elle ne s'entend pas, comme dernière expression, des mesures de police ou de la législation criminelle. Par le passé, le gouvernement du Royaume-Uni a accepté dans certains cas, de voir figurer dans des instruments internationaux les mots « public order » tout en faisant une réserve indiquant que ces mots englobaient les questions ayant trait à la morale publique et les infractions à la législation criminelle. Jusqu'ici, cette interprétation n'a par contestée. Si une difficulté surgissait au sujet de l'interprétation de ces mots, il est probable qu'elle se produirait à l'occasion d'un cas bien déterminé et le tribunal compétent pourrait consulter les comptes rendus des débats ayant précédé l'adoption de la convention ; le tribunal serait donc en mesure de vérifier l'interprétation donnée à ces mots.

A propos des amendements à l'article 27, il fait siennes les objections formulées par le représentant de la France et le représentant du Saint-Siège au sujet de l'amendement de l'Egypte.

A propos du paragraphe 2, il éprouve la même difficulté que le représentant de l'Italie. La première phrase du paragraphe 2 a été rédigée très soigneusement afin de prévoir les différents systèmes d'expulsion, qui peuvent être classés grosso modo en deux catégories, à savoir le système judiciaire et le système administratif. Au Royaume-Uni, s'il est possible que les tribunaux compétents statuant sur le cas des étrangers prévenus de délits puissent recommander l'expulsion, c'est au Ministre de l'intérieur qu'il appartient de prendre la décision et la loi prévoit les raisons pour lesquelles une mesure d'expulsion peut être prise.

La deuxième phrase du paragraphe 2 semble suggérer une sorte de procédure d'appel. Au Royaume-Uni, une personne qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion a toute facilité pour présenter son cas au Ministère de l'Intérieur, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'un avocat. C'est là en outre une question au sujet de laquelle l'opinion publique s'émeut facilement et qui a souvent donné lieu à des interventions de députés ou à des questions à la Chambre des Communes. Toutefois, il n'existe pas de procédure d'appel et le Gouvernement du Royaume-Uni ne désire pas être forcé d'en établir. M. Hoare croit comprendre que comme prescrivant l'établissement d'une telle instance.

L'amendement du Royaume-Uni (A/CONF.2/60) a pour objet de préciser que les réfugiés qui veulent fournir des preuves pour se disculper à la suite d'une mesure d'expulsion peuvent le faire auprès des personnes spécialement désignées par l'autorité compétente. Il est évident qu'au Royaume-Uni par exemple, il serait difficile en pratique de prescrire que le Ministre de l'intérieur doit entendre lui-même l'exposé de ces preuves.

MUSTAPHA Bey (Egypte) constate avec regret que l'amendement égyptien ne semble pas rallier l'approbation générale, bien qu'il offre aux réfugiés un traitement leur assurant un maximum de garanties. Il le retire donc.

Il est décidé de renvoyer à la prochaine séance la suite de l'examen de l'article 27.

La séance est levée à 18 heures