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Discours de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, H.L. Table Ronde du 19 mai 1987

Discours et déclarations

Discours de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, H.L. Table Ronde du 19 mai 1987

19 Mai 1987

Le 19 mai 1987

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Depuis quelques années, l'observateur du monde contemporain est étonné de constater, d'une part, la précision des diagnostics posés par les instances politiques sur les maux croissants de cette fin de 20e siècle, et, d'autre part, la difficulté que ces dernières éprouvent soit à prescrire les remèdes qui s'imposent, soit à les appliquer.

A vouloir sans cesse proroger les échéances, l'on finit par oublier que le mai est ainsi condamné à s'aggraver. Dès lors, le risque me paraît grand de confondre progressivement les causes et les effets. Si les effets peuvent temporairement être contenus, cela ne signifie pas que le mal s'estompe. Chacun le sait, et cela est vrai de l'économique comme du politique.

Pourquoi l'humanitaire échapperait-il à cette règle ? S'il n'en est rien, c'est que, par définition, le geste humanitaire s'accomplit a posteriori, avec abnégation et persévérance, pour s'efforcer d'assister celui qui est touché dans sa chair et sa dignité. Cela est vrai du prisonnier comme du réfugié qui fuit la persécution ou la violence.

Il est réconfortant d'observer que, durant ces vingt dernières années, l'opinion publique de tant de pays ait refusé que, de Biafras en Bangladesh, de Kampucheas en Ethiopies, des millions d'innocents meurent. Pour d'autres, hélas, il était déjà trop tard.

La netteté de ce refus a évité le pire. Mais ces élans passagers empêcheront-ils que les mêmes causes ne produisent à nouveau d'insupportables souffrances ?

De plus, la communauté des Etats n'estime-t-elle pas depuis un certain temps que la maîtrise acquise dans l'exécution des actions humanitaires permet de repousser le règlement pacifique des différends ? Il en résulte que sur chaque continent végètent d'innombrables réfugiés privés de ressources d'espoir et d'avenir.

Or, il est une chose que l'on ne peut demander aux organisations humanitaires, en particulier à celles qui, comme le HCR, ont reçu un mandat de protection : c'est de gérer le désespoir, d'entretenir la déchéance ou de devenir involontairement partie intégrante d'un processus de prolongation des crises, à petit feu ou à jets de vapeur intermittents.... Nous y perdrions notre âme et notre efficacité.

Au contraire, il faut donner au HCR la flexibilité et les moyens pour qu'il dirige sa réflexion et son action vers des solutions qui permettent dans les meilleurs délais le rapatriement des réfugiés, leur installation dans les pays d'accueil ou leur réinstallation, temporaire ou définitive, dans des pays tiers. Ces solutions s'avèrent d'autant plus urgentes que :

  • aucun pays ne peut sans autre déverser ses opposants ou ses minorités sur ses voisins ;
  • les pays dits de premier asile ne peuvent indéfiniment garder la majorité des réfugiés recensés à travers le monde ; aujourd'hui 11 ou 12 millions ;
  • les pays de réinstallation ne peuvent envisager de recevoir un nombre croissant de demandeurs d'asile sans conséquences graves.

Chacun se rend aisément compte qu'il n'est guère facile de concilier ces intérêts divergents qui résultent de crises graves et persistantes.

Il est impératif d'entreprendre sans tarder la recherche patiente d'un partage équitable du fardeau dans le respect total des principes humanitaires sur lesquels repose la Convention de 1951. Cet effort doit être consenti par toutes les parties concernées, avec une volonté politique d'aboutir. Le HCR pour sa part, souligne à nouveau sa détermination à apporter son plein concours à cet effort, persuadé que seule une concertation entre tous menée avec une grande persévérance permettra de trouver les solutions adéquates. Par contre, l'action unilatérale conduit au chaos et à l'échec.

Reconnaissons que cette interaction se trouve aujourd'hui compliquée par le fait que les mouvements de personnes à travers le monde ne sont pas limités aux seuls réfugiés. La misère, le chômage et les catastrophes naturelles poussent un nombre croissant de malheureux vers des rivages meilleurs.

Aux 18e et 19e siècles, cet exode se traduisait par l'émigration européenne vers les Nouveaux-Mondes d'Amérique, d'Afrique et d'Asie. Aujourd'hui, des mouvements migratoires irréguliers en sens inverse touchent les pays industrialisés.

Leurs causes précises sont à identifier et ne doivent pas être confondues avec la persécution et la violence qui provoquent les flux de réfugiés en quête de protection temporaire ou définitive. un réfugié n'est pas un migrant économique. Si ce dernier doit normalement se procurer un visa et se soumettre aux procédures d'immigration hors du pays où il désire se rendre, il est évident par contre que ces mêmes exigences appliquées aux réfugiés les livreraient à l'arbitraire ou au pire, dès lors qu'ils se verraient interpellés dans leur pays d'origine à la sortie d'une ambassade. La plupart des mesures arrêtées ou envisagées ces derniers temps par de nombreuses autorités mènent aux mêmes dangers.

Le débat public passionné qui se déroule un peu partout en Occident souligne l'urgence de préserver quelques principes et règles fondamentaux :

  • la nécessité de distinguer le réfugié en quête de protection du migrant économique ;
  • la possibilité effective pour le requérant d'asile d'exposer les motifs de sa demande aux autorités compétentes des pays de réinstallation ;
  • l'importance de concilier le principe d'une procédure de recours avec la nécessité pour les autorités de statuer rapidement sur une demande d'asile ;
  • le respect du principe de non refoulement ;
  • l'établissement de procédures ad hoc pour dispenser les requérants d'asile des formalités applicables aux seuls migrants économiques, étant donné qu'ils sont dans l'impossibilité de les respecter ;
  • la détermination de conditions d'octroi d'un asile temporaire ;
  • la concertation entre les autorités compétentes et le HCR pour fixer de cas en cas les conditions de retour, dans la sécurité et la dignité, des requérants d'asile rejetés.
  • l'établissement de programmes d'aide à la réinstallation dans les pays d'origine.

Ceci posé, le HCR ne considère pas automatiquement chaque requérant d'asile comme un réfugié légitime. De plus, personne ne peut exiger d'un Etat qu'il assume des obligations allant au-delà de celles qu'il a contractées en ratifiant la Convention de 1951.

Par contre, nous savons tous que dans le domaine humanitaire, les principes fondamentaux qui ont permis l'élaboration d'une convention ou d'une définition conservent valeur universelle et permanente alors même que les circonstances qui ont servi de référence à leur codification ont évolué.

Cette universalité et cette permanence des principes humanitaires doivent donc guider la recherche de solutions dans les situations nouvelles qui engendrent des réfugiés.

En d'autres termes cela signifie que si un requérant d'asile ne devait pas pleinement répondre aux critères de la définition de 1951, sa demande pourrait être rejetée par un Etat. Par contre, son départ ne pourrait s'effectuer que lorsque les autorités concernées auraient trouvé la réponse aux questions suivantes :

Où, quand et comment, dans la sécurité et la dignité.

Cette recherche d'une protection efficace ressort du mandat humanitaire qui a été confié au HCR par la communauté internationale. Ce mandat doit conduire le HCR à rechercher sans cesse les garanties de cette protection avec les parties concernées : pays d'origine, de transit et d'accueil, ainsi qu'avec les partenaires opérationnels.

Excellences, Mesdames et Messieurs, je ne vous cacherai pas qu'il nous arrive, au Haut Commissariat, d'être saisis d'angoisse par l'urgence à trouver constamment des solutions qui sans cesse semblent se dérober. Certes, nous acceptons de persévérer et de remettre jour après jour l'ouvrage sur le métier : une volonté inébranlable anime chaque représentant du HCR.

Mais pour réussir il nous faut rencontrer une volonté comparable chez nos partenaires gouvernementaux. Seuls, nous échouerons ; ensemble nous réaliserons la convergence temporaire des objectifs humanitaires que nous poursuivons et de leurs intérêts politiques légitimes préservés dans le respect des principes humanitaires.

Aujourd'hui le destin de millions d'êtres humains dépend de cette volonté, de cette convergence. Réalisons-la au plus vite.

Je souhaite donc ardemment que le débat que vous avez généreusement accepté de conduire durant cette journée nous éclaire ; qu'il conduise à un regain d'imagination et d'inspiration, car chacun d'entre vous est dépositaire d'une expérience remarquable acquise dans la conduite des affaires de l'Etat ou par l'observation des événements mondiaux.

Cette Table Ronde est la vôtre. Sans plus tarder, je vous invite et, avec moi, douze millions de réfugiés à travers le monde, à en profiter pleinement.