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« J'aspirais à changer des vies. »

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« J'aspirais à changer des vies. »

Ann Encontre, du HCR, a fait un changement de carrière audacieux, en passant du droit des affaires à la protection des réfugiés.
8 Août 2019
Ann Encontre visite le camp de réfugiés de Mulongwe, en République démocratique du Congo.

Nom : Ann Encontre, des Iles Vierges britanniques

Fonction : Représentante régionale du HCR, basée à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Travaille depuis plus de 23 ans pour le HCR, notamment au Sierra Leone, au Tchad et en Suisse.

Après avoir grandi dans les Caraïbes, entourée de plages de sable blanc, d'eau turquoise et de collines verdoyantes, Ann a déménagé à Genève, en Suisse, avec son mari. Cette jeune femme, diplômée en droit, possédant une grande expérience professionnelle, mariée et maman de deux enfants, semblait tout avoir. Pourtant, elle a choisi de quitter la sécurité et le confort pour aller travailler dans des zones de conflits et aider les personnes déracinées.

Pourquoi avoir décidé de travailler dans l’humanitaire ?

Très jeune, déjà, je rêvais de devenir avocate. Après mes études en droit, j'ai commencé à travailler dans le domaine de la planification successorale, du droit des sociétés, des grandes fondations et des fonds d’investissement. Je croyais que c'était réellement ma vocation – jusqu'à ce que j'accepte un contrat temporaire avec le HCR à mon arrivée à Genève avec mon mari.

J'ai été profondément touchée par le sort des réfugiés et des demandeurs d'asile. Les violations des droits humains étaient absolument stupéfiantes. Bien sûr, j'étais au courant de l’actualité. Mais le fait de voir ces violations perpétrées de manière systématique à l’encontre de centaines de milliers de personnes, qui n’avaient pas d’autre option que celle de fuir et de sauver leur vie, cela m’a vraiment bouleversée.

En 1999, lorsqu’une première proposition de mission sur le terrain en Sierra Leone s'est présentée, j’ai tout de suite su que je devais l’accepter. J'avais déjà connu cette immense satisfaction de voir que l'on peut aider les gens, protéger leur vie et améliorer leurs conditions de vie, et je ne voulais pas passer à côté. Je voulais poursuivre dans cette voie et voir où elle me mènerait.

Vous avez travaillé dans de nombreuses zones de conflits et dans des endroits très reculés. Comment avez-vous géré ces situations ?

C’est vrai, j'ai souvent travaillé dans des régions à hauts risques, où j’ai réalisé à quel point j’étais responsable de ma propre sécurité – mais aussi de celle de mon équipe, qui comptait sur moi pour faire preuve de leadership et de coordination. Dans le même temps, j’étais aussi très attentive à ne pas ramener le travail dans mes bagages à mon retour à la maison. Comme je devais gérer des situations difficiles, notamment des attaques et des meurtres de réfugiés, le décès de collègues et d’autres événements traumatisants, j’ai dû apprendre à développer des stratégies d’adaptation pour faire face à ces situations.

Dans des endroits comme le Tchad et le Soudan du Sud, j'ai planté des fleurs et des patates douces. Cette routine quotidienne, qui consistait à prendre soin des fleurs et à faire en sorte qu’elles grandissent, a probablement servi d’exutoire dans des lieux où rien ne pousse – jusqu’à ce que vous arriviez au point où cela peut se développer. J'ai également essayé de faire du sport, d’aller régulièrement à la messe, chez le coiffeur le samedi et j'avais un groupe de collègues avec lesquels nous avons beaucoup discuté et créé des espaces pour renforcer les liens.

Pour votre carrière au HCR, vous avez dû passer du temps loin de votre famille. Cela a-t-il été problématique ?

J'avais deux jeunes enfants, âgés de sept et neuf ans, lorsque j'ai commencé à travailler dans des régions isolées. J'étais dans un état de questionnement profond par rapport à cela et je me demandais si je pouvais être loin d'eux et si tout allait bien se dérouler. J'ai également dû affronter les critiques d'un membre de la famille qui pensait que je ne respectais pas mon devoir d'épouse et de mère, et que je renonçais à mes responsabilités en tant que parent. Mais j'étais absolument déterminé à faire en sorte que cela fonctionne. À chaque congé, c’était direction : la maison.

Ma fille avait demandé à aller à l’internat, alors j'ai pris toutes mes périodes de vacances en même temps que les siennes. J'ai passé beaucoup de temps avec mes enfants et c'était vraiment du temps de qualité. Quand mes enfants sont devenus adolescents, c'est devenu plus difficile. Ils aimaient mieux être avec leurs amis et je ne pouvais pas leur imposer ces moments.

En tant que travailleuse humanitaire, j’ai vu combien les femmes peuvent être jugées différemment lorsqu’elles travaillent dans des zones de guerre ou dans des lieux où elles ne peuvent pas emmener leurs enfants. Incontestablement, vous rencontrez des responsables ou d’autres humanitaires qui vous demandent : « Est-ce que tu es seule ? Où est ta famille ? Est-ce que ton mari t’a laissée venir ici toute seule ? » J'ai constamment eu droit à des questions sur mes responsabilités en tant que mère.

J’ai dû prendre sur moi pour gérer cela. Mais mon mari m'a soutenue et les enfants l'ont accepté. Ma famille s'est réconciliée avec mon choix de carrière et j'ai donc arrêté de chercher des excuses. J'étais dans un lieu d'affectation non autorisé aux familles et c'est comme cela. Je ne voulais vraiment pas me retrouver sur mon lit de mort en regrettant de ne pas avoir suivi cette voie.

Ann Encontre (à gauche) et le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi (à droite), rencontrent des réfugiés vivant en milieu urbain dans la capitale congolaise, qui participent aux projets d'autonomie financière de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Je me souviens que je suis arrivée au Sierra Leone un vendredi matin. Il avait plu et le soleil venait de se lever. Le paysage m'a beaucoup rappelé celui des Caraïbes. C'était si beau mais, en même temps, on pouvait voir le contraste – les conséquences de la guerre en Sierra Leone et les réfugiés du Libéria. Je devais prendre en charge des personnes qui avaient beaucoup souffert : des personnes qui avaient été très gravement blessées ou mutilées.

Mais il y avait une femme qui s'appelait Jackie. Elle avait du talent pour la couture et elle mobilisait également des groupes de femmes. Elle avait créé une petite coopérative où certaines femmes élevaient des poulets ou des lapins, d'autres fabriquaient des uniformes et des objets en bois, ou elles récoltaient du miel d'abeilles. Jackie aidait les femmes à se prendre en charge elles-mêmes et, au bout de six à huit mois, elles disposaient d'une sorte d'arrangement prospère qui permettait d’entretenir leur famille et de maintenir leurs enfants à l'école. Je me suis beaucoup attachée à elle pour son dynamisme, sa force de caractère et son énergie, malgré toutes les épreuves.

Quelle est la partie la plus enrichissante de votre travail ?

C'est d’aider les gens à avoir une vie meilleure. Je pense que cela n’a pas de prix. Il n'y a rien de plus satisfaisant en termes de travail. Je ne changerais cela pour rien au monde et, si je devais le refaire, je suivrais exactement la même voie.

Qu'est-ce qui vous empêche de dormir ?

Depuis septembre 2016, je travaille en République démocratique du Congo et la seule chose qui me préoccupe est l'insécurité : l’insécurité qui peut survenir à tout moment et toucher les populations, que ce soit dans les pays voisins ou au sein même de la RDC. Avant de m'endormir, je m'inquiète constamment de ce qui va se passer pendant la nuit, en particulier dans les zones frontalières où davantage de personnes risquent de devoir fuir leur foyer. Davantage de mères doivent fuir avec leurs enfants en pleine nuit et ne pas savoir où elles vont et ce qu’elles feront ensuite.

Entretien réalisé par Melissa Fleming. Édité par Aikaterini Kitidi et Alex Court.


Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, travaille dans 134 pays pour aider les hommes, les femmes et les enfants chassés de leurs foyers par la guerre et les persécutions. Notre siège est situé à Genève, mais la plupart de notre personnel est basé sur le terrain et aide les réfugiés. Ce portrait fait partie d'une série réalisée pour mettre en avant les membres de notre personnel et leur travail.