Leurs villages, à la fois si proches et pourtant inaccessibles
Leurs villages, à la fois si proches et pourtant inaccessibles
Alors qu'un panache de fumée s'élève au-dessus du paysage vert et luxuriant de l'autre côté de la rivière, du côté de la République démocratique du Congo (RDC), des habitants de Mobayi-Mbongo en route vers le marché s'arrêtent pour observer ce qui se passe.
Des tirs intermittents interrompent leurs conversations. Un peu plus loin en aval, une douzaine de pirogues traversent la rivière, chargées de femmes, d’hommes et d’enfants qui viennent se mettre en sécurité.
Rose Yasambia, 30 ans, pleure au milieu de la foule. « Ils mettent le feu à toutes les maisons », dit-elle. « Ça sera bientôt le tour de la nôtre. »
Il y a quatre mois, Rose et sa famille ont traversé la rivière pour fuir Mobaye, une bourgade de République centrafricaine, juste de l'autre côté de la rivière. Les groupes armés et les incendies ont détruit tous leurs espoirs de rentrer chez eux bientôt.
« Toutes nos affaires sont là-bas. Nous n'avons pas pu les emporter », ajoute Rose. « Si c'est la paix un jour, nous n'aurons pas d'endroit où rentrer. »
« Ils mettent le feu à toutes les maisons. »
Plus de 60 000 réfugiés ont, comme Rose, franchi les rivières Oubangui et Mboumou au cours des cinq derniers mois, fuyant la République centrafricaine déchirée par la guerre pour trouver refuge en RDC. Beaucoup s'installent dans des communautés isolées, le long de la rivière, leurs villages à portée de vue sur l'autre rive et pourtant inaccessibles, à moins de ne pas craindre d'y perdre la vie.
Du côté congolais, la population de certains villages a quadruplé depuis l'arrivée des réfugiés, et la vie est dure. « Les enfants meurent et nous ne savons même pas pourquoi », explique Philomène Gerekanda, le chef traditionnel du village de Lembo Rive, en RDC, où les réfugiés ont construit des huttes à côté des maisons des habitants. Les services sanitaires sont insuffisants, il n'y a pas assez d'écoles et pas assez d'eau potable.
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Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, continue d'enregistrer de nouveaux arrivants et a fourni des articles d'urgence tels que des bâches en plastique, des seaux et des matelas aux réfugiés. L'agence fore également des puits pour lutter contre les maladies transmises par l'eau, car beaucoup de gens boivent l'eau de la rivière Oubangui.
En dépit des plus de 500 000 réfugiés centrafricains répartis dans la région, cette crise reste la plus sous-financée au monde. En 2017, le HCR et ses partenaires ont lancé un appel à 209 millions d'USD. À ce jour, seuls 9% des fonds nécessaires ont été reçus, ce qui pose un défi pour aider tant les réfugiés de République centrafricaine déracinés depuis des années, que ceux qui continuent de fuir.
Ceux qui osent rentrer chez eux risquent d’en payent le prix. Virginie Anyezou cherchait désespérément à trouver à manger pour ses enfants affamés. Accompagnée de son fils de 15 ans, elle a pris un bateau pour aller chercher à manger chez elle, sur l'autre rive. Maintenant, elle se repose, immobile sur un lit de bambou, dans un petit village sur la rive congolaise de la rivière Oubangui et elle s’exprime d'une voix faible.
« Il me fallait quelque chose à manger pour les enfants. Alors j'ai dit à mon aîné de m'accompagner », se souvient-elle. « Nous voulions aller récolter du manioc dans notre champ. »
« Au moment où nous approchions, mon fils m'a dit : ‘Attends, j'entends les voix des hommes armés. Alors on est allés un peu plus loin. Mais ils nous avaient vus et ils nous attendaient. Ils nous ont tiré dessus et le bateau a chaviré. Nous avons appelé à l'aide, mais personne n'est venu à notre secours. »
Virginie et son fils ont finalement été secourus par des pêcheurs, mais une balle s’est logée dans sa cuisse et une autre a traversé la main de son fils. Le même jour, leur voisin Michel Baleto, âgé de 40 ans et père de cinq enfants, a été tué alors qu'il essayait de récupérer à manger dans ses champs en République centrafricaine.
« Nous avons appelé à l'aide, mais personne n'est venu à notre secours. »
De nombreux villages sont désormais déserts sur les rives de la République centrafricaine. Un prêtre qui a récemment traversé la rivière raconte que les groupes armés exigent que les civils fassent clairement allégeance en portant un ruban — jaune pour un côté et rouge pour l'autre. « La neutralité n'existe plus », explique-t-il. « Ils forcent tout le monde à prendre parti. »
Selon certaines sources, des groupes armés ont forcé des gens à rentrer chez eux. « Dans certains endroits, les réfugiés nous disent qu'ils reçoivent des messages des combattants de l'autre côté : ‘On a conquis votre village. Ou vous rentrez, ou nous mettons le feu à votre maison », explique Pierre Richard Muhima du HCR en RDC.
Pendant ce temps, des milliers d'autres continuent de fuir et traversent la frontière. « Nous étions les derniers du village », indique Francois Koko, un pêcheur de 42 ans, heureux que sa femme, ses trois enfants d'un, deux et cinq ans, et lui-même soient dorénavant en sécurité. « Il était trois heures du matin quand j'ai entendu que ça tirait tout autour de nous. Je ne savais pas quel groupe c'était. On s'est levés et on a couru. On n'a rien emporté, seulement les moustiquaires et les draps. »
Aux premières heures du jour, la famille a atteint son bateau de pêche, une pirogue taillée dans un arbre.
« Une fois dans la pirogue, les enfants ont paniqué à cause des tirs qu'on entendait partout. On a dû les tenir pour qu'ils ne tombent pas à l'eau. »
Debout dans la rivière, l'eau à mi-jambe à côté de son bateau de pêche, il regarde l’autre côté de la rivière.
« Il n'y a plus personne là-bas pour donner cours. Il n'y a plus d'écoles », dit-il. « Et tout le personnel infirmier a fui vers la capitale, Bangui. »
Son village est à moins d'un kilomètre mais, pour le moment, il est tout à fait inaccessible.