Yémen : apprendre sous les bombes et les tirs d'artillerie
Yémen : apprendre sous les bombes et les tirs d'artillerie
SANAA, Yémen – Comme des millions d'autres qui ont été piégés par le conflit brutal au Yémen, le premier souci d'Afrah, une réfugiée somalienne de 12 ans, est de survivre aux bombes, aux balles et à une pauvreté lancinante.
Déjà tournée vers l'avenir, elle redoute également que le conflit ne l'empêche de finir ses études pour réaliser son rêve de devenir médecin un jour.
« J'ai terriblement peur de la guerre, mais je veux vraiment rester à l'école, » dit Afrah, vêtue de la tunique verte qui est l'uniforme de l'École de filles d’Asma à Sanaa, la capitale du Yémen.
Deux années de conflit ont mis à genoux une bonne partie du pays et de sa population, rendant un nombre effarant de 18,8 millions de personnes dépendantes de l'aide humanitaire et déscolarisant deux millions d'enfants en parallèle.
Les services et institutions essentiels, notamment l'enseignement public, sont écrasés par la pression de la guerre. Même si l'enseignement public reste gratuit au Yémen pour les enfants du pays et les réfugiés, plus de 1600 écoles ont été endommagées au point d’être inutilisables tandis que les écoles proches des lignes de front restent fermées pour préserver la sécurité des écoliers.
« Avec la guerre, c’est devenu très difficile d’apprendre… on n’a qu’un seul manuel qu’on doit se partager entre nous. »
Le risque d’une éducation sabotée est déjà énorme chez les jeunes réfugiés et demandeurs d’asile tels qu’Afrah dont la famille a traversé le Golfe d’Aden pour échapper à la guerre en Somalie. Selon un récent rapport du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, intitulé Missing Out: Refugee Education in Crisis (en anglais), les enfants réfugiés risquent cinq fois plus d’être déscolarisés que ceux qui vivent chez eux.
« Le conflit affecte la santé et la situation psychosociale des élèves et des enseignants, tous aux prises avec la pauvreté, et ils ont un grand besoin de soutien, » a expliqué Aisha Al Dhafari, la directrice de l’école d’Afrah.
Son école, comme nombre d’autres au Yémen, est aujourd’hui surchargée et tourne bien au-delà de sa capacité depuis qu’elle a dû absorber les nouveaux étudiants déplacées dans la région.
« Avant la guerre, on avait 60 enfants par classe, aujourd'hui ce chiffre a doublé, on en est à 120, » déclare Aisha Al Dhafari.
L’école fonctionne aujourd'hui avec un système de rotation par demi-journées, les élèves du matin et ceux de l’après-midi, les équipements et les supports d’enseignement étant très insuffisants. Outre qu’elles sont surchargées, les salles de classes sont mal éclairées car le réseau électrique de la ville a été endommagé par les combats et l’école n’est alimentée que par les panneaux solaires fournis par le HCR.
« Avec la guerre, c’est devenu très difficile d’apprendre et on n’a même pas de manuels. Il n’y en a qu’un qu’on doit se partager entre nous, » raconte Afrah.
Outre l’impact sur les élèves, ce conflit brutal pèse aussi lourdement sur les enseignants. Dans la fonction publique, les salaires dont dépendent 30 pour cent des Yéménites sont versés irrégulièrement, voire plus du tout.
« Les enseignants n'ont pas touché leurs salaires parfois depuis cinq mois et pourtant, ils continuent de venir faire l'école sans être payés. Ils le font par simple sens du devoir, » déclare Mohammed Al Fadhli, responsable du Bureau du Ministère de l'Éducation à Sanaa.
Pour répondre aux besoins d'éducation des enfants réfugiés et yéménites, le HCR est venu en aide aux écoles des zones abritant une forte concentration d'enfants réfugiés et déplacés de force et leur a remis des supports pédagogiques.
Il contribue également à la formation des enseignants, des agents administratifs et des travailleurs sociaux dans différents domaines — protection de l'enfance, déplacements et problèmes psychosociaux — en offrant des programmes de développement de la petite enfance et des classes d'enseignement informel et en fournissant aux élèves des uniformes et des fournitures scolaires, notamment des cartables et de la papeterie.
« Le conflit au Yémen a fauché des vies, mais il vole aussi l'avenir de toute une génération qui risque de ne pas s'en sortir. »
Le HCR a également réparé des écoles endommagées et dilapidées, installé des panneaux solaires et fourni du matériel d'enseignement essentiel et des fournitures scolaires, notamment 300 000 manuels qui ont été distribués à 20 écoles publiques du pays, dont celle d'Afrah, couvrant ainsi 20 pour cent des besoins en livres d’école à Sanaa.
« En plein cœur de la guerre et des destructions, le Ministère de l'Éducation, son personnel, les enseignants et les agents administratifs ont fait un travail remarquable qui a permis d’assurer la la poursuite des cours dans le pays ainsi que l'accès à la scolarité des enfants réfugiés et déplacés. Ils ont toutefois encore besoin d'aide, » a déclaré Ayman Gharaibeh, Représentant du HCR pour le Yémen.
« Le conflit au Yémen a fauché des vies, mais il vole aussi l'avenir de toute une génération qui risque de ne pas s'en sortir et si nous ne persistons pas à soutenir l'accès à l'éducation des réfugiés et de tous ceux qui ont été déplacés de force par le conflit, les conséquences à court et à long terme seront désastreuses, » a-t-il averti.
Afrah reste déterminée à poursuivre ses études malgré la peur omniprésente de la violence et le manque de ressources et les nouveaux manuels scolaires ont ravivé ses espoirs pour l'avenir.
« Je suis contente d’avoir enfin des livres pour étudier, » dit-elle. « Je veux finir ma scolarité pour pouvoir devenir médecin, » explique-t-elle.