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« Aya ne meurt pas ! » Une enfant combattive de quatre ans survit en exil

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« Aya ne meurt pas ! » Une enfant combattive de quatre ans survit en exil

De nombreux réfugiés syriens, comme la petite Aya et sa famille, vivent dans des conditions difficiles au Liban. Des familles ayant réussi à échapper à la guerre expliquent au photographe Giles Duley qu'elles refusent d'abandonner tout espoir.
27 Juin 2016
Aya étreint son père. Ils vont bientôt quitter le Liban pour aller vivre en France, dans le cadre d'un programme de réinstallation.

BEYROUTH (Liban) – En 2014, je me suis rendu au Liban pour témoigner de la vie de quelques‑uns des réfugiés syriens les plus vulnérables : les personnes handicapées, les vieillards et les familles monoparentales. Ce fut l’un des reportages les plus émouvants et les plus difficiles de ma carrière ; un reportage qui allait avoir un effet durable sur mon travail et sur moi personnellement.

Lorsque le HCR m’a demandé d’effectuer un reportage sur la crise des réfugiés en Europe et au Moyen‑Orient, je savais que, à cette occasion, j’allais vouloir revoir ces personnes que j’avais rencontrées au Liban deux ans plus tôt.

Il est important de garder à l’esprit que les histoires ne se terminent pas au moment du départ des reporters et des photographes. J’estime que l’un des éléments les plus importants de mon travail est la pérennisation des histoires, et il y a peu d’histoires plus importantes pour moi que celles des réfugiés syriens que j’ai rencontrés au Liban.

Les histoires ne se terminent pas au moment du départ des reporters et des photographes.

Lorsque j’ai rencontré Reem pour la première fois, début 2014, elle était complètement sous le choc. Quelques mois plus tôt, une rocket était tombée sur sa maison en Syrie, pendant qu’elle dormait. L’explosion a tué son mari dans le lit près d’elle, l’un de ses enfants est mort dans la chambre à côté et Reem a perdu une jambe.

Elle parlait à peine et elle avait du mal à marcher avec sa prothèse. Pour couronner le tout, elle vivait au quatrième étage d’un immeuble inachevé dans la plaine de la Bekaa. En raison de la grave pénurie de logements, son père et elle n’avaient trouvé qu’une tente sur le toit de cet immeuble comme endroit où habiter. Incapable d’utiliser l’escalier, Reem se retrouvait donc prise au piège sur ce toit.

Reem (à gauche) vit avec Hanan, sa belle soeur, et d'autres membres de sa famille sur le toit d'un immeuble dans la plaine de la Bekaa au Liban.

Pire encore, elle avait décidé d’envoyer ses enfants vivre avec un proche. Avec une seule jambe, elle ne se sentait pas capable de s’occuper d’eux. Déprimée, ayant du mal à accepter le décès de son mari et de son enfant, elle m’a dit : « Je ne veux pas qu’ils me voient dans cet état ».

J’étais donc ravi à mon retour d’être accueilli dans l’escalier par Sarah, la fille cadette de Reem. La famille habite toujours sur le toit mais, au moins, elle est réunie. Et Reem utilise désormais l’escalier avec aisance. Elle se sent plus forte et elle marche plus loin de jour en jour.

« Je ne veux pas qu’ils me voient dans cet état. »

Ce soir‑là, je me suis assis avec la famille (les deux frères de Reem habitaient maintenant avec elle sur le toit). Nous avons bu du café et mangé du pain cuit au feu de bois. À bien des égards, la vie était normale. La famille plaisantait et riait, se remémorait la vie en Syrie, parlait de nourriture et de football. Cependant, pour les réfugiés vivant au Liban, rien n’est normal. Ils naviguent dans une zone grise, peinent à refaire leur vie et font face à un avenir incertain.

Lorsque j’ai demandé à Sarah quelles étaient ses matières préférées à l’école, elle m’a répondu qu’elle n’en avait aucune, parce qu’elle n’allait pas à l’école. Et lorsque je lui ai demandé de me parler de ses amis, elle m’a répondu la même chose. Nerveuse et renfermée, Sarah n’a aucun contact avec le monde extérieur. Le toit est son univers. Comme beaucoup d’enfants réfugiés, elle ne peut pas aller à l’école. Elle passe à côté non seulement de son éducation, mais aussi de son enfance.

Comme beaucoup d'enfants réfugiés, Sarah, la fille cadette de Reem, ne peut pas aller à l'école. Elle passe à côté de son enfance.

De toutes les personnes que j’ai rencontrées lors de ma première visite, celle qui m’a fait la plus forte impression est une petite fille nommée Aya. 

Personnellement, j’essaie de ne pas représenter les personnes comme des victimes dans mon travail, mais plutôt comme des victimes des circonstances. Lorsque j’ai rencontré Aya, j’ai cru que cela serait impossible. Elle était assise toute seule sur le sol en béton d’une tente de fortune, humide et sombre. Atteinte de spina‑bifida, Aya est paralysée des pieds jusqu’à la taille. La courbure de sa colonne vertébrale fait qu’il est difficile pour elle de tenir assise sans aide. Elle n’avait que quatre ans à l’époque. La voyant assise par terre, j’ai pensé que je ne pourrais pas la photographier. Elle semblait si vulnérable.

Cependant, Aya n’allait pas tarder à me montrer que je me trompais complètement à son sujet. Elle n’était pas une victime. En fait, elle s’est avérée être l’enfant de quatre ans le plus fougueux que j’ai jamais rencontré.

Même si j’avais décidé de ne pas la photographier, j’ai tout de même passé la journée avec sa famille. C’est la mère d’Aya, Sihan, qui m’a d’abord parlé de sa relation avec sa sœur, Iman. Les deux étaient inséparables. Lorsque leur maison à Idlib a été bombardée, c’est Iman, âgée de 10 ans seulement à l’époque, qui a retenu Aya dans le sous‑sol, où les deux sœurs sont restées pendant trois jours. Sans eau ni nourriture, Iman n’a jamais laissé sa sœur remonter.

C’est Iman qui a porté Aya tout le temps.

Plus tard, lors du périlleux voyage de la famille entre la Syrie et le Liban, voyage qui a duré plusieurs semaines, c’est Iman qui a porté Aya tout le temps. Je me disais que la relation entre les deux sœurs était très belle, lorsqu’Iman est entrée dans la tente. Je m’attendais à voir cette tendresse, mais Aya a plutôt levé les yeux vers sa sœur et elle s’est exclamée : « Ramasse‑moi, bourricot ! »

Dans les semaines suivantes, j’ai revu les membres de la famille et j’ai remarqué leur force et leur amour mutuel en dépit de tout ce qu’ils ont traversé. L’une des choses les plus dures a été d’écouter le père d’Aya, Ayman, dire qu’il envisageait de séparer la famille. La situation était si désespérée qu’il songeait sérieusement à envoyer les enfants vivre avec d’autres personnes.

La situation était grave. Vivant dans une tente de fortune près d’une cimenterie, les enfants étaient souvent malades. Ayman ne pouvant pas travailler, la famille s’enfonçait toujours plus dans les dettes. Aya ne recevait pas les soins médicaux dont elle avait grandement besoin, et les autres enfants n’étaient pas scolarisés. L’avenir semblait bouché.

La plus grande préoccupation de la famille était de savoir si Aya allait même survivre à l’hiver. Lors de mon dernier jour là‑bas, la famille essayait de rendre sa tente « résistante à l’hiver » avec des matériaux fournis par le HCR. Sihan était en pleurs. Elle me disait qu’elle ne croyait pas qu’Aya, dans son état, pourrait survivre à de telles épreuves. Cependant, Aya avait d’autres idées en tête. Elle a interrompu sa mère pour s’écrier, d’un air de défi : « Aya ne meurt pas ! »

Évidemment, de retour au Liban, je me devais de revoir Aya et les autres membres de sa famille. Ils avaient quitté leur tente et, grâce à une aide reçue, vivaient maintenant dans une pièce qu’ils louaient à la périphérie de Tripoli. Ce n’était pas grand‑chose, mais, au moins, la famille avait un logement convenable et les enfants semblaient être en bien meilleure santé.

Aya était toujours aussi fougueuse et elle avait beaucoup grandi. Son nouveau passe‑temps était de se peindre les ongles et d’essayer de nouvelles coiffures.

Je l’ai photographiée, poussée dans son fauteuil roulant par ses frères et criant : « Plus vite ! Plus vite ! » Je comprenais en partie la douleur qu’elle ressentait chaque jour et son combat contre le handicap ; cependant, je ne l’ai jamais entendue se plaindre, et jamais elle ne cessait de sourire. J’utilise rarement l’expression, mais elle était vraiment une source d’inspiration.

Cependant, la vie demeurait difficile. Le peu d’aide que la famille recevait permettait à peine de payer le loyer et la nourriture. Les enfants pouvaient maintenant aller à l’école, mais ils étaient souvent absents, parce que la famille n’avait pas d’argent pour payer le bus. Ayman n’avait toujours pas le droit de travailler.

Les membres de la famille restaient à la maison la plupart du temps, et les enfants n’avaient pas grand‑chose à faire.

Ce qui avait le plus changé était sa foi en l’avenir.

Certaines choses s’étaient améliorées dans la vie de la famille, mais ce qui avait le plus changé était sa foi en l’avenir. Lorsque j’ai rencontré la famille d’Aya pour la première fois, ses membres parlaient de retourner en Syrie dès que possible. Tout ce que la famille voulait était de retourner en Syrie dès que les conditions de sécurité le permettraient.

Après plus de cinq années de guerre, la famille commençait à se demander si elle pourrait rentrer un jour. Et que resterait‑il en Syrie ? Les écoles, les hôpitaux et les entreprises étaient en ruines ; la maison familiale avait été détruite. Quel avenir aurait la famille ?

Les perspectives d’un retour en Syrie diminuant et la vie au Liban étant impossible, la famille plaçait maintenant son espoir dans sa réinstallation.

« Je n’ai jamais voulu aller en Europe jusqu’à présent, je n’ai jamais voulu être aussi loin de la Syrie, expliquait Ayman, mais si cela donne à mes enfants la chance d’avoir un avenir, alors j’irai en Europe ».

En outre, la réinstallation en Europe pouvait être le seul espoir d’Aya. Le HCR a proposé la famille pour une réinstallation en France, mais, plusieurs mois s’étaient écoulés, et la France n’avait toujours pas donné sa réponse. La famille perdait espoir.

Dans les semaines précédentes, j’ai pu revoir de nombreux Syriens que j’avais rencontrés lors de ma première visite, mais, bien évidemment, ce fut difficile pour moi de retrouver tout le monde. Le dernier jour de mon séjour au Liban, la famille d’une femme nommée Khouloud, que j’avais rencontrée dans la plaine de la Bekaa en 2014, m’a appelé. Khouloud avait appris que j’étais de retour et elle voulait que je passe la voir. Lorsque j’ai demandé où elle vivait, on m’a dit qu’elle occupait la même tente qu’il y a deux ans.

J’étais bouleversé.

De toutes les personnes que j’avais rencontrées, Khouloud était l’une de celles qui avaient le plus besoin d’aide. Comment pouvait‑elle vivre dans la même tente ?

En 2013, Khouloud travaillait dans son potager avec ses enfants lorsqu’un tireur embusqué l’a atteinte d’une balle à la colonne vertébrale. Elle s’est écroulée, paralysée du cou jusqu’aux pieds. « J’avais essayé de cultiver un petit bout de terrain près de la maison, car il n’était pas possible de trouver des légumes comme avant », m’avait‑elle expliqué lors de ma première visite. « J’allais m’occuper de mes plants avec mes quatre enfants, mais une balle m’a atteinte au cou ; je suis tombée et je ne sentais plus mes membres. Je ne pouvais plus bouger. Les enfants ont commencé à pousser des cris. »

Elle a d’abord été soignée en Syrie, puis sa famille a réussi à la sortir du pays. Khouloud et les siens se sont retrouvés dans la plaine de la Bekaa, vivant dans l’une de ces milliers de colonies non officielles, éparpillées un peu partout au Liban, où les gens vivent dans des tentes de fortune. Lorsque je l’ai rencontrée en 2014, cela faisait cinq ans que Khouloud vivait dans sa tente.

« J’aimerais pouvoir bouger les doigts. »

La famille connaissait de graves difficultés, malgré les bons alimentaires qu’elle recevait du HCR. Le mari de Khouloud devait s’occuper d’elle jour et nuit.

À l’époque, j’ai demandé à Khouloud : « Qu’espérez‑vous de l’avenir ? »

Elle m’a répondu : « Être une mère de nouveau. J’aimerais pouvoir bouger les doigts, car parfois, mon fils se fait mal dehors et il rentre me voir. Il prend mes doigts et il les pose sur son bobo. J’aimerais pouvoir bouger les doigts pour toucher son bobo et lui faire voir que je le sens avec lui. »

J’ai prolongé mon séjour au Liban et je suis allé voir Khouloud et sa famille le lendemain. Il est difficile pour moi de décrire ce que j’ai ressenti, mais, en tant que photographe et reporter, j’ai eu l’impression de l’avoir laissée tomber. Si j’avais bien fait mon travail la première fois, elle n’aurait pas été dans la même situation, non ?

Depuis deux ans, Khouloud n’avait pas bougé de son lit. Ses yeux fixaient le plafond de son petit abri. Pourtant, elle conservait une attitude positive et souriait. Jamal, son mari, continuait de s’occuper d’elle à temps plein, la regardant toujours, selon lui, avec le même amour que le premier jour. Les enfants faisaient leurs devoirs sur le lit avec leur mère. La famille mangeait toujours ensemble. Il était difficile d’imaginer un foyer aussi rempli d’amour et de compassion. Les jours suivants, j’ai essayé de raconter l’histoire de Khouloud avec mon appareil photo.


Épilogue

Le 19 mai 2016

Deux mois après avoir rendu visite à Aya et sa famille au Liban, j’ai appris que leur réinstallation en France allait avoir lieu dans deux semaines. Ils étaient enchantés.

Depuis quelques mois, les enfants apprenaient le français ; maintenant, ils parlaient cette langue toute la journée. Sihan achetait des choses dont elle pensait avoir besoin en France : du café, du thym, des graines de cumin et des couvertures (on lui a dit qu’il ferait froid).

Je lui ai expliqué qu’elle trouverait ces choses en France, mais elle n’en était pas totalement sûre. « Je ne peux pas perdre les saveurs de chez moi », m’a‑t‑elle dit.

Le 1er juin 2016

Lorsqu’elle est montée à bord de l’avion à Beyrouth, la famille était terrifiée. Aucun de ses membres n’avait déjà pris l’avion. Tout le monde avait peur, sauf Aya, bien entendu. Elle a bouclé sa ceinture, sourit et dit : « Allons‑y ! »

L’avion a atterri, et des personnes étaient là pour accueillir Aya et les siens. Elles les ont amenés à Laval, une ville située à deux heures de route à l’ouest de Paris. L’appartement de la famille est dans un immeuble neuf à la limite de la ville. Il est calme, entouré de jardins et de parcs où les enfants peuvent jouer.

Quelques jours après l’arrivée de la famille, je suis allé la voir. Je dînais avec elle quand j’ai réalisé que, même si je les connais depuis plus de deux ans, je voyais les parents d’Aya sourire pour la première fois. C’était comme si on les avait soulagés d’un énorme poids.

Évidemment, des difficultés attendent la famille. Les enfants ont manqué quelques années d’école et ils doivent maintenant essayer de les rattraper tout en apprenant une nouvelle langue. Ayman doit apprendre le français avant de trouver un emploi et Sihan veut jouer un rôle dans la collectivité, mais elle sait qu’il lui faudra un peu de temps pour s’intégrer. Cependant, la famille est reconnaissante et souhaite vivement tirer profit de la chance qu’on lui offre, la chance de commencer une nouvelle vie.

Le plus important est que la famille vit maintenant en sécurité et qu’Aya peut recevoir les soins médicaux dont elle a besoin.

Comme je quittais la famille, Sihan, les larmes aux yeux, m’a raconté leur première nuit dans le nouvel appartement. Aya a souvent du mal à s’endormir, mais, cette nuit‑là, alors qu’elle la mettait au lit, Sihan a pu lui chuchoter à l’oreille : « N’aie pas peur. C’est ta maison, ici, maintenant. »

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