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Un enfant balloté par les flots

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Un enfant balloté par les flots

Les sauveteurs ont tiré Yasin, un réfugié rohingya âgé de 10 ans, du détroit de Malacca, alors qu'il s'accrochait à des planches. Il croyait que ses parents, son frère et ses soeurs s'étaient noyés, mais son frère et une de ses soeurs ont survécu.
7 Décembre 2016
« On m'a dit que j'allais en Amérique », dit Yasin. « Je vais étudier là bas. »

Le capitaine du chalutier avait abandonné le bateau et les autorités maritimes de la région l’avaient repoussé en mer sans carburant ni eau potable avec plus de 800 réfugiés et migrants du Myanmar et du Bangladesh à son bord. Entassés sur le pont et dans la cale dans une chaleur étouffante, les réfugiés se sont livré une rixe mortelle sur l’eau.


La rixe a ensuite fait rage sur le pont et depuis chacune de ses extrêmités, et Yasin*, ses parents, son frère et ses deux sœurs, âgés de trois à neuf ans, se sont retrouvés au milieu de passagers s’affrontant à coups de pieds‑de‑biche et de haches.

« Nous nous sommes tous jetés à la mer pour échapper à la mort », dit Yasin. Un autre homme, qui avait sauté, a aidé Yasin à monter sur deux planches en bois arrachées à la coque, mais il n’y avait plus rien pour aider les parents de Yasin à flotter.

Leurs corps sont remontés à la surface non loin de Begum, la sœur de Yasin âgée de cinq ans, qui s’est aussi noyée. Ilias, le jeune frère de Yasin, et Gultaz, sa jeune sœur, avaient disparu. Yasin était seul et balloté par les flots à 100 kilomètres au large de la côte indonésienne.

« Nous nous sommes tous jetés à la mer pour échapper à la mort. »

Pendant 10 jours en mai l’année dernière, les pêcheurs indonésiens ont recueilli 1 800 réfugiés et migrants qui se trouvaient sur trois bateaux abandonnés. Plus de 500 étaient des enfants réfugiés, et la plupart étaient seuls, non accompagnés par un membre de leur famille. Yasin était l’un d’eux.

Environ 170 000 réfugiés et migrants auraient tenté la traversée entre 2012 et 2015 ; environ 2 000 auraient péri. Cependant, lorsque les autorités se sont soudainement opposées aux passeurs, ces derniers ont réduit leurs pertes. Ils ont abandonné Yasin et des milliers d’autres réfugiés et migrants dans le golfe du Bengale et en mer d’Andaman, car aucun gouvernement dans la région n’autorisait leurs passagers à débarquer.

Le frêle garçon figurait parmi les centaines de réfugiés apatrides rescapés du bateau en perdition sur lequel ils avaient embarqué au Myanmar en espérant trouver en Malaisie des perspectives d’avenir qui leur étaient refusées dans leur pays, où les restrictions sur la liberté de circulation avaient rendu leur vie intenable.

« Nous sommes six à être montés sur le bateau ensemble », se souvient Yasin. La famille a quitté sa ville d’origine, Sittwe, dans l’État de Rakhine, à l’ouest du Myanmar, où la violence intercommunautaire a déplacé plus de 140 000 personnes en 2012.

Environ 120 000 personnes demeurent dans des camps aujourd’hui, des apatrides en grande majorité.

 « Nous devions toujours nous cacher sur le chemin de l’école, se souvient Yasin. Si nous disions que nous étions musulmans, ils nous battaient. » Yasin ne sait pas encore expliquer que les contraintes officielles sur la circulation des familles d’origine rohingya comme la sienne les privent de tout moyen d’existence durable et ne leur laissent guère d’autre choix que de prendre la mer. « Mon père a promis qu’il m’enverrait à l’école dans un nouveau pays », dit Yasin.

La famille est partie au début de l’année 2015. Les passeurs les ont transférés d’un bateau à l’autre avant de le faire monter sur le chalutier gris avec plus de 800 autres personnes, accroupies coude à coude, sur deux niveaux au dessus du pont et sur deux niveaux en dessous, dans la cale. Le capitaine était un homme enveloppé qui parlait thaïlandais et birman. Il avait le crâne rasé et arborait un tatouage de scorpion sur le biceps gauche.

Peu après le transfert de la famille de Yasin sur le chalutier, le capitaine a mis le cap vers la Malaisie et, depuis la cabine au‑dessus de la poupe, il a pointé son arme en direction d’un homme rohingya assis sur le pont, près de la proue. La capitaine a appuyé sur la gâchette, et l’homme s’est écroulé, le sang dégoulinant de la tête. Certains survivants ont dit qu’il s’agissait d’un rituel parmi les passeurs, le sacrifice d’une personne pour assurer l’arrivée à bon port des autres.

Après avoir été tiré de l’eau des semaines plus tard, Yasin a cru que ses parents, son frère et ses sœurs étaient morts, mais ils se trompaient au sujet d’Ilias et de Gultaz. Yasin avait été amené à un centre d’accueil à Medan, en Indonésie, et il ignorait qu’Ilias et Gultaz avaient aussi été sauvés. Seulement, on les avait amenés à un autre centre, à Langsa, 170 kilomètres plus loin. Ilias et Gultaz croyaient la même chose, c’est‑à‑dire que tout le monde avait péri. Une femme qui a voyagé avec Ilias et Gultaz et qui s’est occupée d’eux se souvient des regards que Gultaz lui lançait de ses yeux creux. « C’est comme si elle ne me connaissait pas, qu’elle ne connaissait personne parmi nous, dit la femme. Elle était perdue. »

Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a enregistré Ilias et Gultaz à Langsa le 20 mai 2015, soit presque immédiatement après leur sauvetage. Pour le personnel chargé de la protection des réfugiés, il était difficile d’oublier Ilias et Gultaz, dont les parents, la sœur, Begum, et, croyait‑il, le frère, Yasin, avaient péri noyés. Ainsi, lorsque l’équipe du HCR s’est rendue à Medan pour enregistrer un autre groupe de survivants, y compris Yasin, elle a vite vu des similitudes dans son récit.

Yasin était assis avec les membres du HCR, les yeux fixés sur l’écran de leur ordinateur portable. Les membres du HCR parcouraient une base de données de personnes disparues. La description donnée par Yasin correspondait à celle d’Ilias et de Gultaz et, lorsque le personnel a affiché leurs photos, Yasin a d’abord paru étonné. Puis, il a souri et pleuré, la première ondée après une longue sécheresse.

Le HCR a essayé de réunir les frères et la sœur, mais Medan et Langsa sont situés dans des provinces différentes, et des obstacles administratifs empêchent les enfants de franchir les frontières provinciales. Pour ceux qui rêvaient d’être ensemble, et espéraient la mise en œuvre d’une solution en Indonésie, l’attente durait depuis des mois et semblait vouloir se prolonger indéfiniment.

Un millier de Rohingyas faisaient face à la même situation en Indonésie et, prêts à tout pour voir leurs proches et gagner leur vie, certains ont commencé à organiser leur propre départ pour la Malaisie. Le seul moyen de voyager pour eux a toujours été de faire appel à des passeurs. Ils ont donc de nouveau entrepris la traversée périlleuse, mais plus courte, de la mer. Rien que ce mois‑ci, 54 Indonésiens ont péri dans le naufrage de leur bateau alors qu’ils tentaient de rejoindre la Malaisie.

« Nous devions toujours nous cacher sur le chemin de l’école. »

Ne voyant pas d’autre option à l’horizon, deux femmes rohingyas qui se sont occupées d’Ilias et de Gultaz à Langsa ont rejoint l’un des groupes désireux de gagner la Malaisie et, à l’insu du HCR, ont amené Ilias et Gultaz avec elles pour que les enfants puissent retrouver l’un de leurs oncles vivant déjà en Malaisie. Ils ont atteint la côte sains et saufs, et l’oncle a pris Ilias et Gultaz sous sa garde. Yasin appelle son oncle de temps en temps pour prendre des nouvelles de son frère et de sa sœur.

« Ils me manquent, dit-il. Nous voulions être ensemble, mais nous n’avons pas pu l’être. »

Le mois dernier, de nouveau, la violence a éclaté dans l’État de Rakhine. De nouveau, des villages ont été incendiés. De nouveau, les gens fuient. La souffrance que Yasin a vue pendant sa courte vie suffirait à briser l’adulte le plus résilient. Cependant, lorsque le personnel du HCR a rendu visite à Yasin récemment, il était dynamique et soulagé. Non pas de façon détachée, comme l’on aurait pu le craindre d’un enfant plongé dans des souvenirs déchirants, mais de façon stable et vive. Le personnel du HCR a vu un enfant emballé par la perspective de retourner à l’école, comme son père l’avait promis.

« On m’a dit que j’allais en Amérique, dit Yasin. Je vais étudier là‑bas. » Comme Yasin est un réfugié particulièrement vulnérable ayant peu de chance d’être intégré en Indonésie ou admis en Malaisie, sa réinstallation aux États‑Unis a été approuvée. Il espère qu’Ilias et Gultaz pourront le rejoindre.

« Je veux étudier et être ingénieur, dit Yasin. Rien que de vous en parler me rend heureux. »

* Tous les noms des réfugiés ont été changés par souci d’anonymat.