Dur chemin vers le nord pour les enfants d'Amérique centrale
Dur chemin vers le nord pour les enfants d'Amérique centrale
Carlos, neuf ans, et Susana, quatre ans, sont assis sur la berge du fleuve Usumacinta, au Guatemala, avec leur père, Geronimo Vasquez*. Leur regard se porte sur le Mexique, au‑delà du fleuve, où ils envisagent de se rendre, sans papiers, dans la soirée.
Travaillant dans son El Salvador natal en tant que policier, Geronimo s’est retrouvé impliqué dans une fusillade au cours de laquelle un membre d’un gang a été tué ; pour se venger, les membres du gang ont mitraillé sa maison, obligeant sa famille à se blottir à l’intérieur.
Le lendemain, Geronimo, sa femme et ses enfants sont partis pour les États‑Unis en quête de sécurité. Mais le voyage s’avère particulièrement difficile pour la jeune famille.
« C’est difficile pour les enfants. Ils ne comprennent pas ce qui se passe. Mais nous ne pouvions pas les laisser à la maison avec toute la violence », dit Geronimo, en soulevant sa fille. « Il vaut mieux qu’ils nous accompagnent, même si le chemin est laborieux. »
« Nous ne pouvions pas les laisser à la maison avec toute la violence. »
L’année dernière, près de 110 000 personnes, fuyant la violence de plus en plus fréquente des gangs, entre autres, dans les pays du « Triangle du Nord » (le Guatemala, El Salvador et le Honduras), ont demandé l’asile à l’étranger, un chiffre multiplié par cinq depuis 2011 selon les statistiques du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
La plupart cherchent à obtenir une protection aux États‑Unis et au Mexique, même si le nombre de personnes s’enfuyant pour sauver leur vie est beaucoup plus élevé, car d’autres fuient sans papiers et ne déposent pas une demande officielle d’asile, par manque d’information ou par peur d’être détenues et expulsées.
De plus en plus d’enfants figurent parmi les personnes exposées aux dangers de la route menant vers le nord. En plus des menaces physiques que constituent les fleuves frontaliers, les jungles et les déserts, le risque de violence sexuelle et d’enlèvement par des criminels associés aux cartels de la drogue pèse sur ces enfants. D’autres sont à la merci des passeurs, qui n’ont pour seul objectif que de s’enrichir.
Rien qu’à La Técnica, un village délabré au nord du Guatemala, entre 300 et 400 personnes traversent le fleuve jusqu’au Mexique chaque jour, selon un représentant de la Croix‑Rouge guatémaltèque. Beaucoup d’entre eux paient 150 quetzales, soit environ 20 dollars américains, pour traverser en barque, ce qui leur permet d’éviter les postes frontaliers.
Environ une personne sur quatre faisant route vers le nord est un enfant.
Comme Carlos et Susana, certains enfants sont accompagnés de leurs parents, tandis que d’autres font le voyage seuls.
« Ça fait peur… Lorsque vous poursuivez cette voie, vous savez que vous mettez votre vie en danger », dit Rodrigo Barrera*, 17 ans, qui a fui la violence des gangs au Honduras et est arrivé à La Técnica sans un sou en poche.
Comme de nombreux mineurs non accompagnés, il n’a pas la moindre idée du chemin qu’il suivra, de l’endroit où il séjournera ou de ce qu’il fera si la police l’arrête.
Le niveau de violence dans le « Triangle du Nord » a atteint un niveau jamais vu auparavant. Les personnes qui s’enfuient pour sauver leur vie prennent souvent leurs jeunes enfants avec elles. Selon les travailleurs humanitaires, les nourrissons souffrent sur la route, car ils manquent de nourriture et de sommeil. Ils se reposent dans les cars, les trains, les motels, les abris ou les buissons.
« Lorsque vous poursuivez cette voie, vous savez que vous mettez votre vie en danger. »
Au poste de la Croix‑Rouge de la région, Miriam Castaneda, une auxiliaire paramédicale, explique comment elle soigne les enfants souffrant de diarrhée et de malnutrition ou présentant d’autres symptômes de maladie, comme la fièvre et la toux. Selon elle, les familles doivent souvent confier leur sort à de prétendus « coyotes », ou passeurs, qui demandent 6 500 dollars américains pour amener les personnes d’Amérique centrale aux États‑Unis sans papiers. Ces « coyotes » obligent les groupes à continuer leur route, mais si un enfant est malade.
« Le coyote dit que l’on ne peut pas s’arrêter à cause d’un petit mal qui disparaîtra vite. Même si des personnes sont complètement déshydratées et ont une diarrhée aiguë », dit‑elle.
Selon Abraham Suyen, qui travaille pour une mission de l’Église catholique auprès des migrants et des réfugiés dans la région, les difficultés psychologiques peuvent être encore pires pour les enfants en déplacement.
« On a des enfants qui doivent quitter leurs foyers et qui prennent la route en larmes, désespérés, tendus et craignant d’être kidnappés, dit Abraham Suyen. Il s’agit d’un traumatisme puissant qui les marquera toute leur vie. »
Abraham Suyen souligne aussi le risque d’exploitation sexuelle pour les enfants.
« Il y a la peur d’être victime du trafic sexuel. C’est probablement la plus grande inquiétude des enfants », dit‑il. « Ils prétendront qu’ils ont 22 ans, alors qu’ils n’ont que 15 ans. Ils veulent cacher leur âge parce qu’ils savent qu’ils sont une cible facile. »
Les autorités guatémaltèques ont signalé plus de 5 000 victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle sur une période de cinq ans, selon un rapport de l’UNICEF publié en 2016. Plus de la moitié des victimes sont des mineurs, les filles âgées de 12 à 17 ans constituant le groupe le plus vulnérable (beaucoup sont originaires du Honduras et d’El Salvador).
De l’autre côté de la frontière, au Mexique, les cartels de la drogue, comme les Zetas, procèdent à des enlèvements de masse de migrants et de réfugiés contre rançon, assassinant souvent ceux pour lesquels ils n’arrivent pas à obtenir une rançon.
Le HCR milite fortement pour la protection des personnes déplacées de force. La protection des droits des enfants qui quittent leurs foyers en quête de sécurité pose son propre lot de difficultés.
« Ils sont vulnérables, parce que ce sont des enfants et parce qu’ils sont en déplacement », dit Paula Worby, chef par intérim du bureau du HCR dans la région de Petén, au Guatemala.
Une grande partie du soutien dont bénéficient les personnes en fuite provient des abris gérés par l’Église, des postes de la Croix‑Rouge et des bénévoles. Parfois, des résidents aident spontanément les mineurs non accompagnés.
En dépit des risques et des difficultés du voyage, beaucoup, comme Jose Barrera, ne voient aucune autre solution. Rentrer à la maison n’est pas une option pour Jose, car il craint pour sa vie, et les routes migratoires normales, qui permettent d’obtenir une protection internationale de façon moins dangereuse, sont extrêmement limitées. Jose dit qu’il est déterminé à continuer son voyage. Il espère se rendre jusqu’à Houston, au Texas.
« Je veux continuer vers le nord, parce que derrière moi, il n’y a que le mal, dit Jose. J’ai peur, mais j’ai aussi l’espoir d’une vie meilleure. »
* Tous les noms des réfugiés ont été changés par souci de protection.