Un réalisateur colombien tourne un road-movie sur les déplacés dans son pays
Un réalisateur colombien tourne un road-movie sur les déplacés dans son pays
Bogotá (Colombie), 12 juillet (HCR) - Dans son film intitulé Portraits in a Sea of Lies, le réalisateur colombien Carlos Gaviria raconte l'histoire du road-movie de Marina et son cousin Jairo, pour retrouver la terre depuis laquelle ils ont été déplacés plusieurs années auparavant. Ils sillonnent les routes à bord d'une vieille Renault cabossée, entre la capitale Bogotá et la côte caribéenne, et ils sont chaque jour de plus en plus tourmentés par leur passé traumatisant. Francesca Fontanini, porte-parole régionale du HCR en Colombie, s'est entretenue avec Carlos Gaviria et l'actrice Indhira Serrano, pour parler du film et des personnes déplacées en Colombie.
Carlos Gaviria :
Comment avez-vous l'idée de tourner ce film ?
J'ai écrit la première version du scénario il y a plus de quinze ans. J'ai passé de nombreuses années à étudier en dehors de Colombie, et je voulais faire un film sur mon pays. Le film comporte de nombreux éléments inspirés par la nostalgie, les paysages, la nourriture, les voyages à travers le pays et le bon côté de ses habitants. Lorsque je suis retourné en Colombie et que j'ai observé la situation, de nouveaux éléments se sont présentés pour étayer l'histoire, notamment les problèmes liés à la guerre, les problèmes d'un pays habitué à vivre au milieu d'un conflit interne, d'un pays qui ne trouve pas anormal que 10 % de la population ait été déplacée.
Quelle a été la plus grande difficulté à laquelle vous avez été confronté lors de la réalisation de ce film ?
La principale difficulté consistait à déterminer comment rendre compte de l'ampleur de la tragédie. En tant que réalisateur, je m'intéressais au phénomène du déplacement du point de vue des victimes, et non des chiffres. Nous souhaitions davantage axer le film plutôt sur les traumatismes induits par le déplacement que sur la mort. Nous espérions montrer les conséquences du déplacement sur un individu, et plus particulièrement d'un enfant. Nous avons entendu de nombreuses histoires véritablement bouleversantes.
Pensez-vous que le film ait permis de sensibiliser les Colombiens sur la vie des personnes déplacées dans leur propre pays ?
Je pense que le film a légèrement contribué à l'humanisation du conflit, notamment en ce qui concerne la situation des victimes. Les victimes de déplacement en Colombie sont trop souvent regardées avec méfiance et elles sont suspectées à tort d'entretenir des complicités avec le groupe armé qui les a forcées à fuir. Cela a conduit certains Colombiens à réagir avec indifférence vis-à-vis des déplacés internes. Lorsque les gens voient le film, la principale réaction est un sentiment d'empathie pour l'histoire du personnage principal. En dehors de la Colombie, le public a été surpris par l'ampleur du problème. La plupart des spectateurs n'étaient pas au courant du conflit en Colombie et des déplacements qu'il a provoqués.
Indhira Serrano :
Pouvez-vous nous décrire votre personnage dans le film ?
Le personnage principal du film est une enfant qui quitte une région rurale pour Bogotá. Totalement traumatisée d'avoir été déplacée, elle repense à sa vie d'avant et à son ancien professeur, mon personnage, qui était très proche de sa famille. Quinze ans plus tard, la jeune fille retourne dans son village et retrouve son professeur, qui s'excuse de ne pas avoir fait davantage pour la rechercher après la tragédie qui a détruit sa famille. Je pense que mon personnage incarne les valeurs de l'amitié, la paix et l'innocence, mais aussi de la peur qui peut parfois conduire à bafouer ces valeurs.
Avez-vous discuté avec des déplacés internes pour vous préparer à jouer ce rôle ?
J'ai commencé par lire de nombreux articles et histoires sur le déplacement et l'impact du conflit, notamment dans les zones rurales. Ces dernières années, j'ai également travaillé avec l'organisation « Kids for a New Planet ». Cette fondation s'occupe d'enfants qui ont subi des abus sexuels ou qui vivent dans les quartiers défavorisés de la capitale, Bogotá, ainsi que d'enfants déplacés qui arrivent de différentes régions du pays. Cette expérience m'a donné un aperçu de la vision de la vie qu'ont ces enfants, qui est complètement différente de celle d'un enfant ayant grandi dans des conditions normales.
Le fait de faire ce film vous a-t-il appris autre chose ?
Ce dont une personne déplacée a le plus besoin, c'est un toit. Bien sûr, elle a également besoin de nourriture et d'éducation, car on ne peut pas vivre sans. Mais je pense que ce qui fait le plus de mal, c'est le manque de racines. Arriver dans un endroit où vous n'avez aucun lien, c'est un sentiment horrible. Je pense que mon pays, la Colombie, a perdu un peu de son sens de la communauté. Les gens s'inquiètent plus de leur sécurité que de ce qui se passe autour d'eux, et ils peuvent avoir du mal à comprendre la vie des personnes déplacées.