De retour dans son pays, une famille de rapatriés afghans apporte dans ses bagages l'amour des études
De retour dans son pays, une famille de rapatriés afghans apporte dans ses bagages l'amour des études
KHAN BAIHI, Afghanistan, 4 juillet (UNHCR) - Un pêle-mêle de petites sandales en plastique couvre le sol de l'entrée d'une étroite pièce aux murs de terre. Le tumulte d'une classe d'enfants remplit l'espace tandis qu'ils répètent les lettres que leur professeur désigne sur le tableau.
A l'intérieur de cette indescriptible maison située au pied des montagnes de l'Hindu Kush dans le centre de l'Afghanistan, un événement ordinaire a lieu dans des circonstances extraordinaires. Dans une région où la plus proche école est à plusieurs kilomètres et n'est ouverte que pour les garçons, des petites filles et des adolescentes de 6 à 18 ans apprennent à lire et écrire dans la maison d'une famille, qui il y a un an encore, était réfugiée en Iran.
Mohammed Sadiq et sa femme ont fuit leur province natale de Parwan au moment de l'invasion de l'armée soviétique. Pendant 19 ans, ils ont vécu en Iran voisin, élevant leurs quatre filles et leurs deux fils, en attendant le moment de pouvoir enfin rentrer chez eux, en Afghanistan. L'an passé, après avoir contacté l'UNHCR, ils ont décidé d'entreprendre le voyage de retour.
« Nous avons dû fuir à cause de la guerre. Nous sommes rentrés grâce à la paix », confie Parween, 18 ans. Jeune femme réfléchie et éloquente, elle a, comme tous les enfants de Mohammed, passé toute sa vie en Iran avant de revenir dans ce village de montagne isolé de Khan Baihi.
« Je suis un homme instruit », raconte Mohammed. « Et j'avais un profond désir que mes enfants le soient aussi. » Bien qu'il ait dû lutter pour assurer les frais de leur scolarisation, Mohammed a permis à ses filles de suivre l'école de façon assidue. De retour dans sa patrie, il s'est rendu compte que l'éducation pour laquelle il avait tant dû travailler afin de permettre à ses enfants d'y accéder, était interdite aux filles du village. Il a donc décidé de trouver une alternative.
« Quelques mois après notre retour, je suis allé à la Mosquée quand j'ai su que tous les hommes y seraient pour prier. Je leur ai dit : 'Mes filles sont instruites et elles peuvent à leur tour offrir une éducation à vos enfants.' Nous avons créé une salle de classe dans notre maison et c'est ainsi que tout a commencé. »
La pauvreté, qui normalement voudrait que les garçons travaillent pour aider leur famille, et la méfiance traditionnelle vis-à-vis de l'instruction des petites et des jeunes filles font que l'école a démarré très lentement. « J'ai donc fait connaître le programme des cours sous le titre Laissez-les apprendre le Coran », explique Mohammed. Malgré cela, ses trois premiers élèves étaient ses nièces.
Mais l'annonce de la gratuité de l'école s'est répandue rapidement. Et bien que les classes aient été ouvertes aux garçons et aux filles, le fait que Parween et sa soeur de seize ans Nasreen soient professeurs, a encouragé un grand nombre de familles qui, dans d'autres circonstances auraient gardé leurs filles à la maison, de les laisser aller à l'école.
Aujourd'hui, plus de 100 enfants suivent régulièrement les cours et Mohammed a dû prendre en charge lui-même les classes pour les garçons les plus âgés. Mais la popularité de l'école et la volonté de la famille de préserver la gratuité de la scolarité ont commencé à poser des problèmes financiers.
Un don de l'UNHCR, comportant plusieurs centaines de cahiers et de stylos ainsi que du savon et d'autres produits ménagers, aidera la famille à poursuivre son travail.
« Nous considérons l'école comme un acte humanitaire », conclue Mohammed. « Nous avons créé quelque chose qui est très populaire. Comment arrêter, quand les enfants sont si assidus ? »
Parween, bien qu'adhérant aux idéaux pédagogiques de son père, a également une vision pragmatique du futur. « Nous avons eu une réponse tellement positive de la part de nos écolières. Et comme il n'y a rien d'autre pour elles dans la région, nous pourrions transformer notre école en école pour filles seulement. Dans ce cas, mon père pourrait retourner travailler. »
Il est quatre heures : c'est la fin des classes, la pile de sandales s'évanouit comme par miracle. Elles ont retrouvé leurs propriétaires qui regagnent leurs foyers le long des sentiers escarpés. Si Parween et Nasreen ont des difficultés à s'adapter à leur nouvelle vie en Afghanistan, elles ne le montrent pas. Tandis qu'elles regardent leurs jeunes élèves s'éloigner, on devine, à leur discret sourire, leur bonheur d'être de retour dans leur pays avec quelque chose à donner.
Par Tim Irwin à Kaboul