Une deuxième chance pour les enfants victimes de violences sexuelles en Colombie
Une deuxième chance pour les enfants victimes de violences sexuelles en Colombie
Jessica* n‘évoque pas souvent son enfance parce que, lors des rares occasions où elle parvient à aborder le sujet, elle ne peut retenir ses larmes.
Aujourd'hui âgée de 30 ans, Jessica est une femme d'affaires prospère et une Maman fière de ses jumeaux de six ans. Mais quand elle avait 12 ans, elle a subi des abus presque inimaginables : sa mère, dont elle est séparée depuis longtemps, l'a contrainte à l'exploitation sexuelle.
« Quand vous subissez des choses comme ça, la peur vous envahit. C'est comme si vos mains étaient liées », raconte Jessica, née à Barranquilla, sur la côte caribéenne de la Colombie. « Vous ne savez pas quoi faire. »
Elle a trouvé de l'aide après avoir été emmenée par la police et envoyée dans un foyer d'accueil géré par la Fundación Renacer (ou « Fondation Renaissance » en français), une organisation colombienne à but non lucratif qui, depuis plus de 30 ans, s'efforce d'aider les enfants et les adolescents à reconstruire leur vie brisée par les violences et l'exploitation sexuelles.
« Le fait d'avoir rejoint la Fundación Renacer a marqué le commencement d'une nouvelle vie pour moi. »
En plus de son travail de proximité auprès de groupes vulnérables, cette organisation gère actuellement deux des trois foyers d'accueil qui existent à travers toute la Colombie et qui accueillent des victimes de violences sexuelles infligées pendant l'enfance. L'un d’eux est situé dans la ville côtière de Cartagena, et l'autre dans la région frontalière orientale de La Guajira qui a connu une recrudescence dramatique des cas d'exploitation sexuelle parmi les réfugiés et les migrants vénézuéliens ayant fui la crise qui sévit dans leur pays.
La Fundación Renacer travaille en étroite collaboration avec l'agence colombienne chargée de la protection de l'enfance, l'Institution gouvernementale pour le bien-être de la famille (ICBF). L'ICBF place des enfants et des adolescents dans les foyers de l'organisation où ils font l’objet d’un processus de réadaptation rigoureux qui comprend des sessions thérapeutiques individuelles et collectives, des exercices et d'autres activités, ainsi que l'école.
« Quand ils arrivent à la Fundación Renacer, ils sont remplis de culpabilité et de honte et beaucoup n’ont plus envie de vivre », explique Mayerlín Vergara Pérez, l’une des employés les plus expérimentés de l'organisation, qui dirige le foyer de La Guajira depuis son ouverture en 2019. « Ils n'ont pas de rêves, pas de projet de vie, et ils ont de réelles difficultés pour interagir avec les autres, ainsi que pour donner et recevoir de l'affection. »
Les conflits entre les dizaines d'enfants et d’adolescents qui vivent dans les foyers d'accueil en permanence sont courants, et le personnel multidisciplinaire - qui comprend un travailleur social, un juriste et un nutritionniste, ainsi que des psychologues et des éducateurs - est sur place 24 heures sur 24 pour les aider à apprendre à régler leurs différends. De plus, en raison des traumatismes profonds qu’ils ont subis, le personnel doit être constamment en alerte maximale contre les risques d'auto-mutilation.
Cependant, selon Mayerlín, les enfants s'adaptent peu à peu à leur nouvel environnement. Eloignés du danger et entourés d'adultes bienveillants et aidants ainsi que d'autres enfants ayant subi les mêmes expériences traumatisantes, ils parviennent à faire face à leur passé et à faire des projets pour l'avenir.
« Quand ils arrivent à la Fundación Renacer ... beaucoup n‘ont plus envie de vivre. »
« Le fait d'avoir été envoyé à la Fundación Renacer a marqué le commencement d'une nouvelle vie pour moi », raconte Mauricio de Oro, un homme de 29 ans originaire de Bogotá qui avait à peine cinq ans quand il a commencé à subir des violences sexuelles, ce qui l’a conduit à commettre plusieurs tentatives de suicide.
« J'allais devenir une statistique de plus, un autre jeune qui met fin à ses jours », poursuit-il. Mais, au sein du foyer, « mes plaies ont commencé à guérir et j'ai commencé à me sentir en paix... et à retrouver ma volonté de vivre et de rêver. »
Mauricio reconnait aussi que ses trois années à la Fundación Renacer lui ont donné le courage de poursuivre une carrière dans la musique. En tant que musicien de rock chrétien, il a passé une bonne partie de la dernière décennie sur les routes, transmettant au public ce qu'il appelle son « message de changement » dans toute l'Amérique latine.
Mauricio n'est pas le seul. Depuis sa création en 1988 par une psychologue basée à Bogotá, Luz Stella Cárdenas, la Fundación Renacer a pris en charge près de 22 000 enfants et adolescents. Parmi eux, il existe de multiples exemples de réussites - des enfants victimes de violences et d'exploitation sexuelles qui sont devenus des professionnels accomplis - que ce soit des chef cuisiniers, des avocats, des médecins ou des comptables.
Avec l'afflux de réfugiés et de migrants vénézuéliens qui ont fui les pénuries de nourriture et de médicaments, l'inflation galopante et l'insécurité généralisée dans leurs pays, le profil des personnes accueillies par la Fondation a changé ces dernières années. Sur près de 40 enfants qui vivent actuellement dans le nouveau foyer géré par l'organisation dans la région frontalière de La Guajira, environ la moitié sont vénézuéliens - certains ont été contraints à l'exploitation sexuelle en raison de la pauvreté extrême, d'autres ont été victimes de réseaux de traite des êtres humains.
« C'était une situation absolument atroce », explique Mayerlín, la directrice du foyer, et elle espère aider les enfants vénézuéliens à avoir un avenir aussi prometteur que la plupart des nombreux Colombiens victimes de violences sexuelles qui les ont précédés à la Fondation.
Juana*, une jeune Colombienne de 26 ans ayant passé cinq ans à la Fundación Renacer après avoir fui une vie familiale tourmentée à l'âge de 12 ans avant de sombrer dans une vie d'exploitation sexuelle et d'échapper de peu à la traite par un réseau criminel, raconte qu'elle est sortie complètement transformée du foyer.
« Je n'étais plus cette enfant qui avait été exploitée sexuellement », déclare-t-elle. « J'étais devenue une toute autre personne. »
*Les noms ont été modifiés pour des raisons de protection.