Déclaration de M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la remise de la Médaille Nansen de 1961 à Sa Majesté le Roi Olaf V de Norvège
Déclaration de M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la remise de la Médaille Nansen de 1961 à Sa Majesté le Roi Olaf V de Norvège
Majesté, Altesse Royales, Excellences, Mesdames, Messieurs, c'est un grand honneur et un privilège pour moi que de participer à cette commémoration du centenaire de la naissance de Fridtjof Nansen et, au nom du Comité chargé de décerner la Médaille Nansen, de remettre la médaille pour 1961 à Votre Majesté, en reconnaissance des signalés services rendus à la cause des réfugiés.
Le Comité a accueilli avec joie la proposition de célébrer à Oslo la cérémonie de la remise de la médaille, dans cette ville où Nansen lui-même a reçu le prix Nobel de la paix, en reconnaissance de l'aide humanitaire qu'il a apportée aux déracinés, dans cette Université même à laquelle il a été si longuement et si étroitement associé.
Au moment où, dans le monde entier, le centenaire de Nansen est commémoré par bien des coeurs, j'aimerais rappeler, ici à Oslo, devant cette éminente assemblée, en présence des membres de la famille, des amis et compatriotes de Nansen et des représentants de la communauté internationale, les paroles qui ont été prononcées à la onzième session de l'Assemblée de la Société des Nations, à la mort de Nansen : « Honorons sa mémoire en poursuivant son oeuvre ». En effet, il n'est pas de meilleur moyen d'honorer sa mémoire que de poursuivre son action et de s'efforcer ainsi de perpétuer son attitude humanitaire tant à l'égard des problèmes humains que des affaires internationales.
Mais par quels moyens ?... Aujourd'hui, trente ans après, je ne puis que me demander : qu'aurait fait Fridtjof Nansen devant les nombreux et graves problèmes de réfugiés qui semblent surgir, l'un après l'autre, en une succession ininterrompue, alors que ceux qui détiennent le célèbre passeport Nansen nous rappellent encore le sort tragique des réfugiés au cours des premières années qui ont suivi la Grande Guerre.
Son esprit et son caractère ont marqué toute l'histoire des travaux consacrés aux réfugiés et, si je considère les principes de son action, j'ose affirmer qu'aujourd'hui encore il aurait élevé la voix pour s'adresser à la communauté internationale, représentée maintenant par plus de cent Etats, et aurait demandé à chaque nation de prendre sa part du devoir d'assistance aux réfugiés. Et rien n'aurait pu lui être plus utile que cette attitude humanitaire, car il savait que les travaux de secours devraient toujours être fondés sur des bases strictement humanitaires et sociales.
La réussite d'entreprises telles que les secours aux victimes de la famine en Russie et l'oeuvre d'assistance aux réfugiés ont confirmé la justesse et la pénétration des vues de Nansen dans l'application de ce principe.
Nansen était non seulement un idéaliste et un philanthrope, mais encore un homme d'action, un organisateur né, capable, le cas échéant, d'entrer dans les moindres détails des travaux à accomplir. Il savait comment donner et, dans l'exercice de ses fonctions de Haut Commissaire pour les réfugiés, il a toujours soutenu qu'il convenait d'aider les réfugiés à s'aider eux-mêmes, ce qui est le meilleur moyen de leur redonner confiance et de respecter leur dignité d'homme. Toute sa vie, il a aimé la liberté et l'indépendance et savait ce qu'elles signifiaient pour autrui ; il s'est toujours efforcé d'offrir aux réfugiés un choix vraiment libre entre les diverses solutions qui leur étaient proposées.
A partir du jour où Nansen décida de répondre à l'appel de la Société des Nations l'invitant à organiser l'aide aux réfugiés, il s'est concentré sur cette tâche et en a poursuivi l'exécution jusqu'au moment où il a atteint son but. Cette concentration d'esprit ne l'a toutefois pas empêché de mener simultanément deux ou trois grands programmes de secours. En effet, son attitude universaliste était à l'égal de son dévouement pour l'humanité et il s'attachait toujours à répondre d'abord aux besoins les plus urgents, où qu'ils surgissent.
Le sens de l'universel que possédait Nansen se traduisait non seulement dans le choix de ses activités, mais encore dans sa manière d'accomplir ses missions. D'abord au service de la science, puis à celui de son propre pays et enfin au service de la communauté des nations, il croyait fermement à la valeur du travail d'équipe et de la coopération. Plus il se consacrait aux problèmes internationaux, plus il était convaincu que la solidarité de toutes les nations du monde serait le meilleur moyen de mettre fin à la misère humaine et de préserver la paix. Grâce à sa persévérance et à son désir d'aller de l'avant, si bien symbolisé par le nom de son bateau, « Fram », Nansen a effectivement réussi à mobiliser les efforts et la bonne volonté de la collectivité internationale et d'un grand nombre d'individus pour résoudre les problèmes posés par des millions d'êtres humains en détresse.
Sa façon d'aborder les problèmes des réfugiés répondait à une nécessité réelle de son époque ; elle répond encore à la situation tragique où vivent les déracinés d'aujourd'hui.
Son oeuvre en faveur des réfugiés est immense. Il a aidé des millions de personnes sans foyer à recommencer une existence nouvelle. Par la suite, nombre de nouveaux problèmes de réfugiés ont évolué vers une solution. Mais plusieurs demeurent. Ils touchent un nombre relativement peu important de personnes, dont beaucoup sont trop âgées ou trop malades pour pouvoir suffire à leurs besoins.
Il faudra beaucoup d'efforts et d'ingéniosité pour donner à chacune d'elles sa place dans la collectivité. Mais ce sera un hommage rendu à la mémoire de Nansen que de parvenir, en un vaste et énergique effort, à résoudre définitivement leur cas.
Malheureusement, il existe aussi des situations nouvelles. Elles sont nombreuses et complexes et, bien que par leur nature elles soient souvent différentes de celles que je viens de mentionner, les unes et les autres ont en commun d'être la source de souffrances humaines et de faire appel à l'intérêt et à la générosité de toutes les nations du monde. Je ne crois pas qu'il y ait de meilleur moyen d'y faire face que d'essayer, là encore, de suivre la voie que Nansen dans un esprit humanitaire a tracée par sa vie et son oeuvre.
Car il a montré ce qui doit être considéré comme un objectif idéal par quiconque s'intéresse au sort des réfugiés et à la paix du monde. Et l'Assemblée de la Société des Nations ne pouvait mieux dire lorsqu'en remerciant Nansen elle l'a appelé « bienfaiteur de l'humanité ».
On a dit que Nansen voulait que les réfugiés fussent considérés comme des citoyens du monde. En raison de ses admirables réalisations en faveur de la communauté internationale, Nansen lui-même est maintenant considéré comme un citoyen du monde et, en même temps, comme un héros national dans son propre pays. Et, en effet, il n'est pas de preuve plus remarquable de la résolution de poursuivre son action que le dévouement que montrent à la cause des réfugiés la Norvège, son peuple et son roi.
Depuis l'institution d'une aide internationale aux réfugiés, la Norvège a toujours fourni plus que sa part, qu'il s'agisse de sacrifices financiers, de l'accueil généreux offert aux réfugiés âgés et malades, ou de la participation d'éminents hommes d'Etats, fonctionnaires ou particuliers à tous les domaines de l'action en faveur des réfugiés.
Mais s'il y a longtemps que la Norvège est étroitement associée à cette oeuvre, elle a fait preuve non seulement de charité, mais encore d'une compréhension véritable de la coopération internationale, indispensable si l'on veut aboutir à une solution rapide des problèmes que posent les réfugiés et éviter de prolonger leur misère. Chaque fois qu'il y a crise dans ce domaine, la Norvège est parmi les premiers pays à répondre aux demandes d'assistance.
Plus récemment, les résultats remarquables de l'Année mondiale du Réfugié en Norvège, pour laquelle Votre Majesté a manifesté un si grand et vif intérêt, ont fourni une nouvelle et durable preuve de la pérennité de la tradition inspirée par Nansen. Le Gouvernement, le Conseil norvégien pour les réfugiés, la presse et tous les habitants de ce pays ont accompli un effort qui fera date dans l'histoire de l'oeuvre en faveur des réfugiés.
Des milliers de réfugiés de toutes catégories ont bénéficié de l'aide de la Norvège dans le monde entier. En Autriche, on a construit des maisons pour ceux qui vivaient encore dans des camps. En Grèce, en Italie et en France, une formation professionnelle a été assurée à de nombreux réfugiés, pour leur permettre de redevenir des membres utiles de la collectivité. en Extrême-Orient, pour citer un autre exemple, des services d'enseignement et d'autres services ont été fournis aux réfugiés chinois. Les frais de voyage d'un certain nombre d'autres réfugiés ont été payés, afin qu'ils puissent se rendre dans le pays d'installation définitive. Mais la contribution la plus remarquable est peut-être celle qui a permis à près d'un millier de réfugiés physiquement handicapés de trouver un nouveau foyer dans ce pays et d'y recevoir les soins dont ils ont besoin pour recommencer une existence nouvelle.
La meilleure façon d'illustrer l'appui que Votre Majesté a donné à l'oeuvre d'assistance aux réfugiés et l'immense contribution qu'elle a offerte pour résoudre leurs problèmes et perpétuer l'oeuvre et l'esprit de Nansen consiste, sans doute, à citer ce passage de la déclaration faite par Votre Majesté à l'occasion de l'ouverture de la campagne pour l'Année mondiale du Réfugié en Norvège :
« Tous nos voeux et toute notre activité sont orientés vers un seul but : la paix dans le monde. Mais une chose est certaine : tant que subsistent des camps de réfugiés où notre prochain vit dans le désespoir, il n'y aura ni paix pour le monde ni paix intérieure pour nous ».
C'est pour honorer ceux qui, en paroles et en actes, ont personnellement contribué à l'aide aux réfugiés, et aussi pour garder vivants l'inspiration et l'idéal de Fridtjof Nansen, que M. Gerrit van Heuven Goedhart, premier Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a créé la Médaille Nansen et le Comité chargé de décerner cette médaille.
L'encouragement qu'a donné Votre Majesté, son intérêt et sa sollicitude pour le sort des réfugiés dans le monde entier constituent un hommage à l'oeuvre et à l'idéal de Fridtjof Nansen. L'auguste exemple que Votre Majesté a donné à la campagne pour l'Année mondiale du Réfugié en Norvège et les efforts personnels de Votre Majesté pour son lancement méritent notre gratitude la plus sincère.
C'est pour marquer et honorer la contribution exceptionnelle apportée à l'Année mondiale du réfugié et l'accueil enthousiaste et généreux réservé par le peuple norvégien aux efforts de Votre Majesté que le Comité chargé de décerner la Médaille Nansen a décidé, à l'unanimité, d'offrir à Votre Majesté la Médaille Nansen pour 1961.
Avant de vous remettre la médaille, permettez-moi de lire le texte du diplôme qui l'accompagne :
« Le Comité chargé de décerner la Médaille Nansen créée par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés pour services exceptionnels rendus à la cause des réfugiés,
Reconnaissant le remarquable exemple personnel et la noble impulsion qu'a donnés Sa majesté le Roi Olaf V de Norvège en parrainant la campagne pour l'Année mondiale du réfugié en Norvège,
Rendant hommage à la contribution exceptionnelle de la Norvège à l'Année mondiale du réfugié et à la vieille tradition humanitaire qui inspire le peuple et le Gouvernement norvégiens à l'égard des réfugiés,
Par la présente, décerne à Sa Majesté le Roi Olaf V de Norvège la Médaille Nansen pour 1961.
Offert à Oslo le 10 octobre 1961, à l'occasion du centenaire de la naissance de Fridtjof Nansen. »