CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Compte Rendu Analytique de la Quinzième Séance
CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Compte Rendu Analytique de la Quinzième Séance
A/CONF.2/SR.15
Présents :
Président : M. LARSEN
Membres : | |
Australie | M. SHAW |
Autriche | M. FRITZER |
Belgique | M. HERMENT |
Brésil | M. de OLIVEIRA |
Canada | M. CHANCE |
Colombie | M. GIRALDO-JARAMILLO |
Danemark | M. HOEG |
Egypte | MUSTAPHA Bey |
Etats-Unis d'Amérique | M. WARREN |
France | M. ROCHEFORT |
Grèce | M. PAPAYANNIS |
Irak | M. AI PACHACHI |
Israël | M. ROBINSON |
Italie | M. THEODOLI |
Luxembourg | M. STURM |
Monaco | M. SOLAMITO |
Norvège | M. ANKER |
Pays-Bas | M. van BOETZELAER |
République fédérale allemande | M. von TRÜTZSCHLER |
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord | M. HOARE |
Saint-Siège | Monseigneur COMTE |
Suède | M. PETREN |
Suisse (et Liechtenstein) | M. ZUTTER |
Turquie | M. MIRAS |
Venezuela | M. MONTOYA |
Yougoslavie | M. MAKIEDO |
Observateur : | |
Iran | M. KAFAI |
Haut-Commissaire pour les réfugiés : | M. van HEUVEN GOEDHART |
Représentants d'institutions spécialisées et d'autres organisations intergouvernementales | |
Organisation internationale du Travail | M. WOLF |
Organisation internationale pour les réfugiés | M. SCHNITZER |
Représentants d'organisations non-gouvernementales | |
Catégorie B et Registre | |
Caritas Internationalis | M. l'abbé BRAUN |
M. METTERNICH | |
Comité de coordination d'organisations juives | M. METTERNICH |
Commission des Eglises pour les affaires internationales | M. REES |
Conférence permanente des organisations bénévoles | M. REES |
Congrès juif mondial | M. RIEGNER |
Conseil consultatif d'organisations juives | M. MEYROWITZ |
Ligue internationale des droits de l'homme | M. de MADAY |
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté | Mme BAER |
Union catholique internationale de service local | Mlle de ROMER |
Union internationale des Ligues féminines catholiques | Mlle de ROMER |
World Union for Progressive Judaism | M. MESSINGER |
Secrétariat | |
M. Humphrey | Secrétaire exécutif |
Mlle Kitchen | Secrétaire exécutive adjointe |
1. PROGRAMME DE TRAVAIL FUTUR
Le PRESIDENT propose de revenir à l'article 23 et à l'annexe y relative lorsque la Conférence aura terminé l'examen des articles 27 à 29 inclus. D'ici là, le rapport de l'organe chargé d'étudier la question de la non-discrimination sera prêt et la Conférence sera donc en mesure de reprendre l'examen de l'article 3.
Ensuite, elle pourra examiner à nouveau les articles lissés en suspens, à savoir les articles 1, 2, 3b), 4, 5, 7 et 14 ; après quoi elle s'occupera des chapitres VI et VII avant d'aborder le préambule.
Il en est ainsi décidé.
2. EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (reprise des délibérations de la quatorzième séance)
Article 27 Expulsion et refoulement du réfugié résidant régulièrement en pays d'accueil (A/CONF.2/57, A/CONF.2/60, A/CONF.2/63, A/CONF.2/68) (suite)
M. l'Abbé BRAUN (Caritas Internationalis), prenant la parole sur l'invitation du PRESIDENT, indique qu'en raison de l'importance primordiale des articles 27 et 28 (Défense d'expulsion et de refoulement sur les frontières des territoires où la vie ou la liberté du réfugié est menacée) du projet de Convention, il tient à rappeler à l'attention de la Conférence un certain nombre de questions.
Si le présent projet de Convention devait donner une définition précise du droit d'asile, il faudrait peut-être en déterminer aussi les limites et indiquer ainsi clairement comment un réfugié peut perdre la jouissance de ce droit.
Un réfugié ne devrait pouvoir tomber sous le coup d'une mesure d'expulsion que s'il se rend indigne de l'asile qui lui est offert en devenant un danger réel - et l'orateur insiste sur ce mot - soit pour l'Etat qui l'a accueilli, soit pour la communauté dont il fait partie, qu'il s'agisse ou non d'une communauté composée de réfugiés. Il ne faut pas oublier qu'un réfugié ne peut pas retourner dans son pays d'origine, que le pays où il a trouvé asile s'est engagé implicitement à ne pas le livrer aux autorités de son pays d'origine et enfin qu'un réfugié peut parfois être traité plus sévèrement qu'il ne le mériterait, par suite de son ignorance de la langue et des coutumes du pays d'accueil, et aussi de la méfiance dont il peut faire l'objet. Si une mesure d'expulsion est prise à son égard, il sera dans l'impossibilité de trouver un pays disposé à lui accorder le visa d'entrée qui lui est indispensable pour pénétrer dans ce pays. Il sera donc contraint de choisir entre les deux solutions suivantes : rester clandestinement dans le pays d'où il a été expulsé ou retourner dans son pays d'origine où l'attend une mort certaine.
Au cours de la seconde guerre mondiale, des réfugiés juifs embarqués sur un « bateau fantôme » l'ont sabordé après avoir été refoulés de tous les ports. Le document intitulé « Une étude sur l'apatridie » (E/1112) cite, à la page 23, les résultats d'une enquête entreprise par le Professeur Fatou. Il y est question d'un Italien qui avait été expulsé du pays qui lui avait donné asile pour avoir été condamné à une peine de 24 heures de prison, mais qui y était resté clandestinement. Cet Italien a été par la suite condamné 29 fois à plusieurs périodes d'emprisonnement qui se sont élevées, au total, à neuf ans et huit mois. Il aurait pu sans doute retourner en Italie s'il n'avait pas été un réfugié, mais cela n'était pas possible pour un réfugié.
Il y a incontestablement des réfugiés qui se rendent indignes de l'asile qui leur est donné : ce sont ceux qui deviennent dangereux, véritablement dangereux, pour la sécurité de l'Etat ou de ses citoyens. Caritas Internationalis estime qu'il est légitime de priver ces réfugiés-là du droit d'asile.
Néanmoins, les dispositions contenues dans l'article 27 relatives à la « sécurité nationale » et, tout particulièrement, à l'« ordre public » semblent, de l'avis de cette organisation, beaucoup trop vagues et, par conséquent, de nature à porter préjudice aux intérêts des réfugiés. Ces dispositions devraient être rédigées d'une façon très précise. En outre, la Commission des droits de l'homme a constaté à plusieurs reprises que l'expression « ordre public » était vague et générale et - comme l'histoire l'a prouvé - pouvait servir à couvrir des abus scandaleux.1
Quoi qu'il en soit, il semble extrêmement dangereux et contraire au droit d'asile d'expulser un réfugié condamné à une peine de trois mois d'emprisonnement parce qu'il est indigent ou pour tout autre motif insuffisant. Des mesures d'expulsion prises en raison de l'indigence du réfugié seraient également contraires à l'article 18 du présent projet de Convention, ainsi qu'au point XII des « Principes généraux concernant la protection des migrants » établis par la deuxième Conférence des Organisations non gouvernementales intéressées aux problèmes de migration. On pourrait également mentionner l'article 8 et l'article 11 de l'annexe 2 de la Convention concernant les travailleurs migrants (révisée) qui a été adoptée en 1949 par la Conférence internationale du travail et qui doit entrer en vigueur en 1952, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande l'ayant déjà ratifiée. Le même principe est répété au chapitre VI et notamment à l'article 18 de la recommandation concernant les travailleurs migrants (1949) émise par la Conférence internationale du Travail, ainsi que dans l'article 25 de l'Accord-type pour les migrations de travailleurs.
Il semble que, si un réfugié menace réellement la sécurité d'un pays ainsi que celle de ses compagnons, il doive, en principe, être puni soit par une menace d'expulsion, soit par un ordre d'expulsion pur et simple. Mais si l'exécution de cet ordre signifie qu'un réfugié doit être livré aux autorités de son pays d'origine - ce qui serait contraire aux dispositions de l'article 28 du projet de Convention - la condamnation pourrait être commuée en une peine d'emprisonnement, de relégation ou d'internement, soit à vie, soit jusqu'à ce que le réfugié ait la possibilité de quitter le pays d'asile sans que sa vie soit en danger. De telles mesures obligeraient les réfugiés à vivre conformément aux lois du pays qui les a accueillis et seraient conformes aux obligations découlant du droit d'asile. Par contre, une sévérité excessive reviendrait à bafouer un droit qui - on l'oublie quelquefois - a de tout temps été considéré comme sacré. Ce serait là une régression de la civilisation.
Il semble souhaitable que les réfugiés, qu'il est si facile de calomnier, puissent dans les cas dont on parle actuellement, faire appel à l'assistance du Haut-Commissaire, non par méfiance vis-à-vis du gouvernement du pays d'accueil qui a été obligé de prononcer un ordre d'expulsion, mais pour que quelqu'un puisse se porter garant, aux yeux de l'opinion publique, de la justice de la décision définitive. Les gouvernements eux-mêmes ainsi que tous les réfugiés auraient avantage à ce que le Haut-Commissaire puisse intervenir. D'ailleurs, à l'occasion d'une réunion tenue sous le nom de « Journées d'études de Sainte Odile », à laquelle ont participé plusieurs spécialistes des problèmes des réfugiés venant de différents pays, une résolution a été adoptée dans laquelle il est déclaré :
« La réunion estime indispensable que des clauses soient incorporées à la Convention, précisant que le Haut-Commissariat ou une autre instance qui serait appelée à lui succéder, serait habilitée à intervenir en dernier lieu aux moments décisifs de la vie du réfugié, comme par exemple en établissant la réalité des raisons le fondant à se prévaloir du droit d'asile, l'existence ou la non-existence de la menace contre la vie ou la liberté dans un pays vers lequel un réfugié pourrait être refoulé, ainsi que la pertinence des raisons pour lesquelles un réfugié refuse un rapatriement ou le recours à la protection de son pays d'origine ».
Le PRESIDENT fait observer que les amendements à l'article 27 de l'Italie, du Royaume-Uni, de la France et de la Belgique (A/CONF.2/57, A/CONF.2/60, A/CONF.2/63 et A/CONF.2/68 respectivement) traitent tous de la question des garanties accordées aux réfugiés contre des décisions prématurées ou contre des décisions qui ne sont pas conformes aux règlements nationaux. Il a l'impression que le principe énoncé au paragraphe 1 est généralement approuvé par la Conférence.
MUSTAPHA Bey (Egypte) rappelle que la délégation égyptienne avait présenté un amendement (A/CONF.2/44), qu'elle a retiré à la séance précédente à la suite des débats auxquels a déjà donné lieu l'article 27 ; il se demande s'il y a une raison quelconque pour maintenir le paragraphe 2 de cet article, qui stipule que l'expulsion d'un réfugié n'aura lieu qu'en exécution d'une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi. Il s'agit là d'une expulsion en exécution d'une décision judiciaire ou administrative et il n'est pas question de garanties spéciales. Il faudrait soit reconnaître des garanties en faveur des réfugiés, soit supprimer cette clause.
M. CHANCE (Canada) rappelle l'inquiétude qu'il a exprimée antérieurement quant à la position du Canada à l'égard des paragraphes 1 et 2,
Rien de ce qui a été dit au cours des débats ne lui permet de croire que le droit canadien et la pratique du Canada en matière d'expulsion soient en contradiction avec le paragraphe 2 ; l'absence de critiques le rassure sur ce point. Pour ce qui est du paragraphe 1, il a la conviction qu'il sera possible d'interpréter l'expression « ordre public » comme s'appliquant à toute mesure ou toute procédure de déportation que le Gouvernement du Canada pourrait prendre ou engager à l'égard des réfugiés tels que les définit la Convention. Cette expression couvre la plupart des clauses statutaires relatives à la déportation, qu'elles soient discrétionnaires ou impératives. Toutefois, il doit indiquer, en toute franchise, que le droit canadien, et probablement aussi le droit d'autres pays, prévoit, dans ses clauses discrétionnaires, que la personne peut être déportée parce qu'elle est tombée à la charge de la collectivité ou est internée dans un asile d'aliénés ou a été recueillie par une institution publique de charité.
Connaissant le Canada et les Canadiens comme il les connaît, il doute que l'un quelconque de ces pouvoirs discrétionnaires soit exercé à l'encontre d'un réfugié, à moins que les circonstances qu'il a mentionnées ne se trouvent aggravées par d'autres circonstances. Il tient, toutefois, à assurer la Conférence que l'exercice de ces pouvoirs serait tempéré par un sentiment de compassion et ne s'écarterait jamais de l'esprit de la Convention ou des termes de l'article 28, relatif à l'interdiction de refouler les réfugiés vers des territoires où leur vie ou leur liberté sont menacées. On comprendra que d'importants problèmes d'ordre technique et politique se poseraient s'il s'agissait de modifier les lois canadiennes en question ; dans les circonstances mondiales actuelles, on peut pardonner aux ministres d'hésiter à amender les lois sur l'immigration. Si la Conférence ne reconnaissait pas que le droit canadien ne viole pas le principe énoncé au paragraphe 1 de l'article 27, la délégation du Canada pourrait se voir obligée, à un moment ou à un autre, de formuler une réserve appropriée. Pour conclure, M. Chance reconnaît que l'on a raison de rechercher des définitions aussi strictes et aussi précises que possible ; mais il estime que, ce faisant, il est nécessaire, pour mener à bien la tâche entreprise, de ne pas négliger la valeur que présentent la confiance et la bonne volonté réciproques.
M. ROCHEFORT (France) remercie le représentant du Canada de la franchise dont il a fait preuve. La délégation française, pour sa part, se doit d'exprimer une réserve formelle sur toute interprétation de l'expression « ordre public » qui permettrait l'expulsion d'un réfugié uniquement pour des raisons d'indigence.
Tous les Etats représentés à la Conférence disposent de diverses procédures d'expulsion et, en l'occurrence, il s'agit moins de la forme que prennent ces procédures que des raisons qui justifieraient leur application. La délégation française ne saurait admettre qu'une de ces raisons puisse être l'indigence du réfugié et, si la notion d'indigence était interprétée comme un facteur contraire à l'ordre public, la délégation française ne jugerait plus utile de participer aux travaux de la Conférence. En France, en effet, les termes de réfugié et de personne à charge reçoivent une assistance de cet ordre et, si cette situation était plus connue, le Gouvernement français serait sans doute moins critiqué car, s'il lui est impossible d'accorder la naturalisation à tous les réfugiés qui se trouvent sur son territoire, il a, tout au moins, le mérite d'assurer à ceux-ci la possibilité de vivre. Par ailleurs, la délégation française estime qu'il est inutile que les représentants se bornent à décrire les conditions dans les divers pays.
Si l'on n'a pas le désir ou le courage de procéder aux modifications législatives ou autres qu'imposera l'application de la convention, il semble inutile de l'élaborer.
M. CHANCE (Canada) appuie chaleureusement l'opinion du représentant de la France, selon laquelle l'expulsion, pour le seul motif d'indigence, serait en contradiction absolue avec l'idéal et les espoirs de la Conférence. Il s'est borné à souligner combien il serait difficile d'amender la législation canadienne sur ce point ; il ne peut que répéter qu'il ne saurait imaginer des circonstances quelconques dans lesquelles les autorités canadiennes refouleraient un réfugié pour la seule raison qu'il est indigent.
Le PRESIDENT attire l'attention de la Conférence sur la résolution 309(XI)B, adoptée le 13 juillet 1950 par le Conseil économique et social, dans laquelle le Conseil
« recommande aux gouvernements des Etats Membres que, en attendant d'examiner la possibilité d'un projet de convention internationale ou d'un projet-type, ils envisagent de faire bénéficier les étrangers indigents des mêmes mesures d'assistance sociale que celles qui sont prises en faveur de leurs nationaux et s'abstiennent de les éloigner de leur territoire pour la seule raison qu'ils sont indigents, »
Il cite également les deux premiers paragraphes de la résolution adoptée, le 5 avril 1951, par la Commission des questions sociales (E/CN.5/L.151) et recommandant au Conseil économique et social d'adopter le texte suivant ;
« LE CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL appelle l'attention de tous les gouvernements sur le rapport relatif à l'assistance aux étrangers indigents (E/CN.5/253) que le Secrétaire général a préparé à la demande du Conseil.
RECOMMANDE A NOUVEAU aux Gouvernements de n'expulser, déporter ni éloigner d'autre manière de leur territoire aucun étranger, uniquement en raison de son indigence ou parce qu'il risque de devenir une charge pour la collectivité. »
M. HERMENT (Belgique) tient, lui aussi, à remercier le représentant du Canada de sa franchise, mais il ne peut qu'approuver entièrement les considérations exposées par le représentant de la France. La délégation belge ne saurait admettre que l'on puisse interpréter l'article 27 autorisant l'expulsion des réfugiés uniquement pour raison d'indigence. Une telle interprétation serait contraire non seulement au régime que l'on entend appliquer aux réfugiés, mais encore aux dispositions de l'article 18 de la convention qui prévoit que les réfugiés recevront la même assistance sociale que les étrangers.
M. HOARE (Royaume-Uni) signale que certaines lois britanniques votées dans le passé et dans des circonstances différentes, donnent au Ministre de l'Intérieur le droit de déporter des étrangers si, à l'expiration d'une certaine période après leur arrivée dans le pays, ils tombent à la charge de la collectivité. Mais ces lois ne sont plus guère observées aujourd'hui. Le Royaume-Uni n'ignore nullement les résolutions citées par le Président, et il les applique. La délégation du Royaume-Uni partage les points de vue exprimés sur cette question par le représentant de la France et par le représentant de la Belgique. La discussion a été utile pour mettre hors de doute que l'on ne saurait faire entrer dans la notion d'« ordre public » La simple indigence.
M. CHANCE (Canada) déclare que le représentant du Royaume-Uni ayant résumé de façon précise la situation, il sera maintenant en mesure de faire rapport au gouvernement canadien sur l'opinion exacte de la Conférence en ce qui concerne la question de l'expulsion pour le seul motif d'indigence.
M. SHAW (Australie) estime que la plupart des questions soulevées au cours du débat ont été traitées lors de la discussion sur l'ordre public à la séance précédente. Le droit australien prévoit certaines circonstances dans lesquelles un ministre peut ordonner l'expulsion d'un étranger, par exemple lorsque l'étranger a été recueilli par une institution charitable ou est entré dans un asile d'aliénés. Ces motifs ne sont pas considérés comme des motifs d'indigence et les dispositions en question ne sont pas impératives. La délégation australienne a considéré que la position de l'Australie était couverte par l'expression « ordre public » en partant de l'idée que la définition de cette expression donnée par le représentant du Royaume-Uni à la séance précédente avait été acceptée.
Quant à la question de l'expulsion en exécution d'une procédure prévue par la loi, il fait observer que la pratique administrative de l'Australie ressemble de très près à celle du Royaume-Uni. Dans l'hypothèse, où il s'agit d'une procédure telle que celle qui a été décrite par le représentant du Royaume-Uni à la séance précédente, la délégation de l'Australie considère que la position de l'Australie est dûment couverte par l'expression « procédure prévue par la loi ».
M. ROCHEFORT (France) précise que, pour le gouvernement français, l'indigence d'un réfugié ne saurait nullement être l'un des motifs qui, ajouté à des considérations d'un autre ordre, justifierait l'expulsion d'un réfugié : au contraire, le Gouvernement français y voit une raison essentielle de se montrer plus indulgent à l'égard d'un réfugié qui se trouve dans cette situation.
Les observations du représentant de l'Australie sont fort intéressantes car elles permettent de penser que la protection internationale des réfugiés aura son application non seulement dans les pays d'immigration d'outre-mer où elle permettra, le cas échéant, de soustraire les réfugiés à la contrainte d'une législation nationale trop étroite.
Le PRESIDENT fait observer que certains pays sont moins formalistes dans leur procédure législative que d'autres ; selon lui, les pays qui, dès qu'ils ont assumé des obligations d'ordre international, se croient tenus d'adopter une législation interne appropriée, ne doivent pas considérer les autres pays qui signent la Convention de moins bonne foi s'ils appliquent les dispositions de la convention selon chaque cas d'espèce, tout en maintenant, dans le code, des lois qui peuvent, jusqu'à un certain point, être en contradiction avec ces obligations internationales.
M. ROCHEFORT (France) s'excuse de la vigueur qu'il a pu mettre dans ses propos, mais n'en tient pas moins à souligner que la délégation française n'entend pas conclure, dans ce domaine, un marché unilatéral qui consisterait, pour le Gouvernement français à se lier multilatéralement à l'égard de pays dont la législation n'accorderait pas aux réfugiés des droits équivalents à ceux que le Gouvernement français s'engagerait, pour sa part, à leur garantir en signant la convention.
Cette préoccupation ne relève nullement du domaine théorique, car la France doit très souvent recevoir des réfugiés expulsés de divers pays pour la seule raison qu'ils sont indigents ou, quelquefois apatrides.
M. CHANCE (Canada) regrette d'avoir causé tant d'émoi. Il espère, toutefois, que son attitude est maintenant bien comprise et que, en définitive, le Gouvernement canadien n'en sera pas moins en mesure d'adhérer à la convention sans avoir à formuler de réserves sérieuses à l'égard de l'article 27.
Le PRESIDENT croit que la Conférence est maintenant en mesure de se prononcer sur le paragraphe 1.
A l'unanimité, le paragraphe 1 de l'article 27 est adopté.
Le PRESIDENT rappelle que des amendements au paragraphe 2 ont été présentés par les délégations de la Belgique (A/CONF.2/68), de la France (A/CONF.2/63), de l'Italie (A/CONF.2/57) et du Royaume-Uni (A/CONG.2/60).
M. HERMENT (Belgique) comprend les raisons qui ont incité les délégations françaises et italienne à présenter leurs amendements au paragraphe 2 de l'article 27.
Il existe en effet des cas où l'expulsion d'un réfugié ne peut faire l'objet des mesures prévues par ce paragraphe.
M. Herment craint cependant que les termes de l'amendement français et, plus encore, ceux de la proposition italienne visant la suppression du paragraphe 2, ne dépassent quelque peu les intentions de leurs auteurs. Il se demande donc si une réserve concernant les raisons de sécurité nationale ne répondrait pas aux préoccupations des délégations française et italienne. C'est là précisément le but de l'amendement de la Belgique.
M. ROCHEFORT (France) accepte l'amendement au paragraphe 2 présenté par la Belgique et retire celui qu'il avait soumis.
M. THEODOLI (Italie) indique qu'en Italie la loi qui autorise le ministre à prendre une mesure d'expulsion ne prévoit pas d'appel. Aussi, pour donner aux réfugiés la possibilité soit de faire appel, soit de se faire représenter devant les autorités compétentes conformément à la législation des divers pays, la délégation italienne accepterait l'amendement belge, sous réserve que le mot « et » qui figure à l'avant-dernière ligne de ce texte soit remplacé par le mot « ou ».
Si l'on prévoit ainsi le choix entre les deux procédures la délégation italienne retirera son amendement.
M. HERMENT (Belgique) accepte la modification suggérée par le représentant de l'Italie.
M. ROCHEFORT (France) fait observer que la suggestion du représentant de l'Italie restreindrait la portée de l'amendement belge. En effet, si un réfugié fait appel, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il sera entendu et légalement représenté. La notion d'appel et celle de représentation se complètent. En outre, si le réfugié a le droit de se faire représenter, cela suppose qu'il a déjà fait appel.
La délégation française se demande si, dans ces conditions, le représentant de l'Italie accepterait de ne pas insister sur la modification qu'il a proposée.
M. HOARE (Royaume-Uni) juge tout à fait pertinentes les observations du représentant de l'Italie. Le Royaume-Uni se trouve dans le même cas que l'Italie, car il n'existe pas de tribunaux d'appel institués spécialement. Mais la référence à la procédure d'appel - du moins dans la version anglaise de l'amendement belge - n'a pas un caractère tel qu'elle rende le texte inacceptable pour le Gouvernement du Royaume-Uni. Ce qui importe, c'est de donner aux réfugiés toutes possibilités de soumettre leur cas à l'autorité compétente. Il craint qu'en employant dans le texte le mot « ou », on introduise ainsi dans la procédure une sorte de subdivision qui affaiblirait le texte.
M. THEODOLI (Italie) accepte l'explication donnée par le représentant du Royaume-Uni et espère toutefois que l'on pourra trouver une rédaction française qui traduise fidèlement l'interprétation que vient de donner ce représentant.
M. ROCHEFORT (France) estime que pour répondre aux préoccupations du représentant de l'Italie, on pourrait modifier comme suit la fin de l'amendement de la Belgique :
« ... à fournir des preuves tendant à le disculper, à présenter un recours et à se faire représenter devant une autorité compétente ».
M. STURM (Luxembourg) appuie cette proposition de la France, sous réserve que l'on ajoute les mots « à cet effet » après les mots « à se faire représenter ».
M. THEODOLI (Italie) remercie le représentant de la France d'avoir trouvé une rédaction donnant entière satisfaction à la délégation italienne, il n'a aucune objection à formuler contre l'addition proposée par le représentant du Luxembourg.
M. HOARE (Royaume-Uni) déclare que sa délégation est en mesure d'accepter ce nouveau texte, mais il ne voit pas très bien comment on pourrait traduire exactement en anglais l'expression « présenter un recours ». Il lui semble qu'elle trouve son équivalent anglais dans le mot « appeal ».
Le représentant de la France a indiqué les raisons qui l'ont amené à formuler son amendement et le représentant de la Belgique a essayé de concilier les divers textes de façon à donner au paragraphe 2 l'application la plus large possible.
M. Hoare propose que la Conférence aille plus loin encore et modifie le texte présenté par la délégation belge, en disant « ... sauf si des raisons de sécurité nationale s'y opposent ... » Cette formule serait certainement utile aux réfugiés et répondrait sans doute aux préoccupations de la France en ce qui concerne les cas où les raisons de sécurité nationale doivent primer toutes les autres.
Le PRESIDENT, parlant en qualité de représentant du Danemark, n'est pas entièrement satisfait du texte de l'amendement belge ainsi modifié. Comment, par exemple, un recours serait-il possible si la décision a été prise par le Roi en Conseil ? Il suppose que l'idée exprimée dans ce texte est la suivante : dans le cas où une mesure d'expulsion aurait été prise par la plus haute autorité, on donnerait au réfugié la possibilité de faire réexaminer son cas. Dans les pays où la mesure aurait été prise par l'autorité locale, on ferait appel devant une instance supérieure.
Peut-être serait-il opportun de constituer un groupe de travail restreint qui essaierait de concilier les différentes procédures appliquées par les pays où sont en vigueur soit le Code civil, soit le droit coutumier, soit tout autre système juridique. Tous les membres de la Conférence poursuivent le même but et les opinions ne diffèrent pas sur le fond, mais un groupe de travail pourrait peut-être réussir à mettre au point un texte qui tiendrait compte des différents systèmes juridiques.
M. CHANCE (Canada) estime que, pratiquement, les membres de la Conférence semblent avoir abouti à un accord sur le texte, et il ne croit pas nécessaire de constituer un groupe de travail.
M. HOARE (Royaume-Uni) répète que le texte proposé par la délégation française est parfaitement acceptable pour la délégation du Royaume-Uni. En fait, dans le cas présent, le terme français définit mieux le système juridique anglais que le mot anglais « appeal ».
M. ZUTTER (Suisse) pense que les diverses délégations sont très près d'aboutir à un accord. La création d'un groupe de travail ne lui paraît pas s'imposer.
M. van BOETZELAER (Pays-Bas) propose d'introduire dans le texte l'adjectif « impérieuses » pour qualifier les raisons de sécurité nationale. En français, le texte se lirait donc : « Sauf si des raisons impérieuses de sécurité nationale... »
La proposition du représentant des Pays-Bas est adoptée.
Le PRESIDENT déclare qu'il va mettre aux voix, dans sa version française, l'amendement belge ainsi modifié et que l'on chargera le Comité de style de mettre au point le texte anglais correspondant.
L'amendement au paragraphe 2, présenté par la délégation du Royaume-Uni pourrait venir s'ajouter soit à l'amendement belge, si ce dernier est adopte, soit, autrement, au texte primitif de ce paragraphe. Il lui paraîtrait donc plus logique, si la Conférence n'y voit pas d'inconvénient, d'inverser la procédure habituelle et de mettre l'amendement belge aux voix avant l'amendement du Royaume-Uni.
Par 25 voix contre zéro, l'amendement au paragraphe 2 présenté par la délégation belge (A/CONF.2/68), ainsi amendé est adopté.
Répondant à MUSTAPHA Bey (Egypte), M. HOARE (Royaume-Uni) indique que son amendement au paragraphe 2 concerne les procédures ayant le caractère d'un recours.
Dans les cas où il n'existe pas de tribunal spécial, l'appel est adressé au ministre compétent. On ne doit pas obliger un Etat contractant à autoriser un fonctionnaire pour entendre l'affaire. Telle est la raison d'être de l'amendement du Royaume-Uni.
M. Hoare ajoute que, d'une façon générale, la personne ou les personnes désignées par le ministre pour le représenter seront des fonctionnaires, mais il se peut également ou le ministre désigne une personne qualifiée et impartiale qui ne soit pas un fonctionnaire. C'est pour prévoir cette éventualité que les mots « une ou plusieurs personnes spécialement désignées ... » ont été employés.
Par 24 voix contre zéro, l'amendement au paragraphe 2 présenté par le Royaume-Uni (A/CONF.2/60) est adopté.
M. van HEUVEN GOEDHART (Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés) suppose qu'il est bien entendu qu'un réfugié ne sera pas expulsé pendant que son cas est examiné par les autorités compétentes.
M. HOARE (Royaume-Uni), M. HERMENT (Belgique), M. van BOETZELAER (Pays-Bas) et M. SHAW (Australie), déclarent que les choses se parlent ainsi dans leur pays et que c'est de cette façon qu'ils interprètent le paragraphe 2.
Le PRESIDENT demande si la Conférence désire mentionner expressément ce point dans l'article 27 afin que le sens en soit absolument clair pour les pays qui n'ont pas participé aux débats.
M. ROCHEFORT (France) estime que les Etats qui ne participent pas aux travaux de la Conférence continueront sans doute d'agir, dans ce domaine, comme ils le font actuellement. En effet, les travaux de la Conférence ne semblent guère les intéresser et il est douteux qu'ils cherchent à appliquer la Convention. Pour le reste, M. Rochefort estime qu'on peut faire confiance aux Etats représentés à la Conférence.
Par 24 voix contre zéro, le paragraphe 2, ainsi amendé, est adopté.
Le PRESIDENT déclare qu'en l'absence de toute observation, il va mettre aux voix le paragraphe 3.
Par 23 voix contre zéro, avec une abstention, le paragraphe 3 est adopté.
Par 23 voix contre zéro, avec une abstention, l'ensemble de l'article 27, ainsi amendé, est adopté.
La séance est levée à 12 heures 55.
1 voir le document E/CN.4/528.