Lutter contre le silence : des réfugiés atteints du VIH au nord de l'Equateur
Lutter contre le silence : des réfugiés atteints du VIH au nord de l'Equateur
LAGO AGRIO, Equateur, 27 janvier (HCR) - Il y a dix ans, une adolescente dénommée Lucilda* fuyait son domicile en Colombie parce qu'elle redoutait la fureur de sa mère après être allée à une fête sans sa permission. Elle aurait mieux fait de rester et de braver l'orage.
La jeune femme désormais âgée de 25 ans a fini mariée à un homme violent et infidèle avec qui elle a fui, ainsi que la famille de ce dernier, vers la province de Sucumbios au nord de l'Equateur pour échapper au conflit dans le département de Putumayo au sud de la Colombie. Elle se bat aujourd'hui pour élever ses deux enfants, son mari est décédé et elle est atteinte du VIH.
« Il était très malade, mais il ne voulait pas aller voir de médecin. Je l'ai emmené et ils nous ont dit ce qu'il avait. Ils nous ont aussi dit que j'étais infectée », déclare-t-elle. « Il savait qu'il avait le SIDA, mais il ne me l'a jamais dit », ajoute-t-elle amèrement.
Aussi tragique que soit son histoire, Lucilda est juste une personne parmi un nombre limité, mais croissant, de personnes vivant avec le VIH à Sucumbios et dans sa capitale, Lago Agrio, où les réfugiés colombiens représentent 20% de la population de 60 000 habitants. Au moins 30 personnes étaient atteintes du VIH ou du SIDA à la fin de l'année dernière, soit le double par rapport à 2009.
« Ce chiffre ne représente certainement que la partie émergée de l'iceberg en ce qui concerne le nombre de personnes atteintes du VIH », déclare Paul Speigel, chef de la section santé publique et VIH du HCR à Genève.
Mais il est difficile de s'attaquer à ce problème dans une société conservatrice et dominée par les hommes où les personnes vivant avec le VIH ou atteintes du SIDA, en particulier les femmes, souffrent de stigmatisation. Le HCR et ses partenaires essaient de changer cette mentalité et de sensibiliser à la maladie et à l'importance des rapports sexuels protégés.
Un programme spécial du HCR visant à améliorer la prévention, mis en oeuvre par le personnel soignant de la communauté, a contribué à éduquer les réfugiés et les communautés d'accueil dans des zones isolées de la jungle entourant Lago Agrio. Ils dispensent également des cours en matière de santé reproductive, de planification familiale et de services de santé générale.
Pendant ce temps, au moins les enfants de Lucilda n'ont pas été infectés et elle bénéficie d'un traitement médical gratuit en Equateur. Mais la jeune femme est considérée comme un paria par les proches de son mari, décédé il y a quatre mois. « Ils ont peur de moi », dit-elle. « Ils ne veulent même pas me toucher. Ils disent que je vais propager la maladie par ma sueur ».
Ce sont les seules personnes, en dehors du personnel médical à Lago Agrio, qui connaissent la vérité sur sa santé. « Je crains que si d'autres personnes savent, je ne pourrai plus travailler » affirme Lucilda, qui nettoie les vêtements des travailleurs de l'industrie pétrolière pour gagner suffisamment d'argent pour payer pour son logement spartiate et nourrir ses enfants. « Le propriétaire de la pièce dans laquelle je vis m'a proposé de payer le loyer avec mon corps », déclare-t-elle.
Plusieurs années après avoir fui le courroux de sa mère, Lucilda est seule, malade et craint l'avenir. Elle n'aurait jamais imaginé une telle situation quand elle était une adolescente volontaire. Quand elle a fui de chez elle sans aucun papier, elle a vécu de petits boulots mal payés, y compris comme serveuse.
Mais dans une ville de Putumayo elle a rencontré un habitant du coin et en est tombé amoureuse. Ils se sont rapidement mariés et deux enfants sont nés peu après. Puis elle a découvert qu'il avait des aventures avec d'autres filles.
« Je ne voulais pas qu'il me touche, mais il a pris un couteau et il m'a forcée », évoque-t-elle. « J'ai eu l'impression d'avoir été violée ». Lucilda, n'ayant pas réellement d'autre choix, coincé par son mari, a fui avec lui en Equateur. Elle a découvert par la suite qu'elle était atteinte du VIH.
« Ici aussi la vie est difficile. Vous ne connaissez pas les gens, tout est différent. Quand les médecins m'ont dit que j'étais également atteinte de la maladie, j'ai voulu me jeter sous les roues d'une voiture », a-t-elle déclaré au HCR.
Xavier Creach, chef de la sous-délégation du HCR à Lago Agrio, affirme que ce cas soulève des inquiétudes sur les attitudes de la société. « La stigmatisation associée aux maladies sexuellement transmissibles, comme le VIH, augmente les risques à cause du silence de la société », fait-il remarquer.
Par Sonia Aguilar à Lago Agrio, Equateur