Le HCR lance un appel pressant aux groupes armés pour qu'ils laissent en paix les populations indigènes de Colombie
Le HCR lance un appel pressant aux groupes armés pour qu'ils laissent en paix les populations indigènes de Colombie
BOGOTA, Colombie, 9 août (UNHCR) - Jusqu'en 1988, le monde extérieur ne connaissait pas l'existence des Nukak, une petite tribu nomade qui vit depuis des siècles de la chasse et de la cueillette dans les vastes forêts tropicales du sud-est de la Colombie.
Moins de deux décennies plus tard, l'arrivée de la guerre civile dans leur secteur de la forêt amazonienne a forcé plus de la moitié de la communauté Nukak, estimée à 500 membres, à fuir leur terre ancestrale. Le dernier exode de taille date d'avril dernier, lorsque 77 Nukak ont cherché refuge dans la ville de San José de Guaviare. Leur situation est désespérée : ils ne peuvent pas retourner vers leurs terres, mais s'ils restent, leur culture disparaîtra.
A l'occasion de la Journée mondiale du réfugié, l'UNHCR a déjà souligné la gravité de leur situation - et de celle de la quasi-totalité des 80 groupes autochtones de Colombie - en demandant aux groupes armés rivaux que compte le pays de laisser les populations menacées comme les Nukak ou les Awá en dehors de leurs conflits. Mercredi, l'agence pour les réfugiés a lancé une mise en garde contre la menace qui pèse sur la culture et l'existence même des populations autochtones de Colombie du fait du conflit actuel.
« Nous avons maintes fois averti la communauté internationale que les groupes indigènes de Colombie font l'objet de violences et risquent même l'extinction à cause du conflit qui perdure. Il s'agit d'une véritable tragédie, non seulement pour eux, mais pour toute l'humanité », a déclaré Roberto Meier, le délégué de l'UNHCR en Colombie.
L'ensemble des groupes autochtones de Colombie représente environ un million de personnes, soit un peu moins de 3 % de la population nationale. Ce conflit fait souffrir des centaines de milliers de Colombiens, mais les groupes autochtones ont été frappés particulièrement sévèrement.
Selon l'Organisation nationale des indigènes de la Colombie (ONIC), quelque 23 000 indigènes ont été contraints de quitter leurs terres l'année dernière, sans compter les nombreuses victimes d'assassinats ciblés, de menaces et de recrutements forcés.
Cette année encore, des milliers d'entre eux ont du abandonner leurs foyers pour échapper à la violence qui continue. Le mois dernier, plus de 1 700 individus de la tribu Awá ont quitté leurs réserves dans le département de Nariño, au sud-est du pays, pour échapper aux combats entre un groupe armé clandestin et l'armée colombienne. Et ils n'ont pas pu rentrer chez eux.
La culture indigène est étroitement liée aux terres ancestrales de la communauté, et des déplacements forcés entraînent la perte des traditions, de la culture et de la langue. Pour échapper à ce destin, plusieurs communautés tentent désespérément de résister aux menaces et aux violences pour rester sur leurs terres.
La population Bari, par exemple, a refusé de quitter son territoire de la frontière avec le Venezuela, malgré une forte présence de groupes armés clandestins et un risque important de violence. Le sort des communautés Embera est également de plus en plus préoccupant, cette tribu étant prise dans les combats qui sévissent dans le département de Chocó, près de la frontière avec le Panama.
La pression et la violence implacables ont forcé beaucoup d'autres communautés à fuir. Quelque 1 500 Wounaan ont quitté leurs terres coutumières en avril dernier après que deux de leurs enseignants aient été assassinés par des membres d'un groupe armé irrégulier.
« La mort d'un d'entre nous est toujours terrible, mais nous ressentons particulièrement la perte de deux enseignants », avait expliqué à l'époque Ulysses, un chef Wounaan. « Partir faire des études, devenir un enseignant, cela n'est pas simple pour nous. Nous parlons une langue unique, moins d'un tiers de nos enfants savent lire et les personnes âgées sont illettrées. La perte de deux de nos enseignants est un coup terrible et nous en souffrons profondément. »
La plupart des Wounaan ont regagné leurs foyers malgré l'insécurité permanente. Ulysses et quelques autres ont fui au Panama après avoir reçu des menaces de mort. Mais ils ne sont pas les seuls indigènes à chercher refuge dans les pays voisins : quelque 300 Quechua ont demandé l'asile en Equateur en novembre dernier après qu'un groupe armé clandestin ait pénétré leur réserve au sud de la Colombie, kidnappant six jeunes filles et menaçant toute la communauté.
« Nous sommes vraiment très préoccupés », a confié à l'UNHCR un des chefs indigènes forcé à l'exil. « Nous voyons notre culture disparaître, nous craignons que nos jeunes ne perdent les traditions de nos ancêtres et nous ne savons pas comment il pourrait y avoir une solution à ce problème. Cette situation n'est pas récente, mais la violence est plus grave aujourd'hui. Qu'allons-nous faire ? Tant que les groupes armés restent sur notre territoire, nous ne pouvons pas y retourner. »
Par Marie-Hélène Verney à Bogota, Colombie