Cette gynécologue, qui a déjà soigné plus d’un millier de femmes yézidies qui ont fui la captivité, se consacre à les aider à reconstruire leur vie brisée.
La gynécologue Nagham Nawzat Hasan rend visite à une femme yézidie qui a survécu aux violences de l’Etat islamique, dans le gouvernorat de Dohouk, région du Kurdistan, au nord de l’Irak. © HCR/Claire Thomas
Blottie à l’extrémité de son canapé dans la douce lumière d’une lampe, un cahier sur ses genoux, Nagham Nawzat Hasan prend souvent le temps, en fin de journée, d’y consigner les témoignages poignants qu’elle a entendus de femmes yézidies en fuite, après qu’elles avaient été capturées chez elles dans le nord de l’Irak et retenues prisonnières par l’Etat islamique.
Depuis qu’elle a consacré sa vie professionnelle, il y a quatre ans, à aider ces femmes à se remettre de cette épreuve, la gynécologue de 40 ans a aidé plus d’un millier de survivantes, retranscrivant d’innombrables pages d’horreurs dans le cadre d’un rituel personnel devenu un témoignage, une thérapie.
« Je rentrais chez moi et je pleurais en pensant à tout ce que j’avais entendu. Cela m’affectait sur le plan psychologique. »
« J’ai plus de 200 témoignages par écrit. J’ai l’impression que je dois les enregistrer pour l’histoire », explique Nagham Nawsat Hasan. « Je rentrais chez moi et je pleurais en pensant à tout ce que j’avais entendu. Cela m’affectait sur le plan psychologique. Je suis aussi une Yézidie, et une femme. Consigner leurs histoires m’aide à soulager un peu ce traumatisme. »
La communauté yézidie de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, dont l’ancienne religion trouve ses racines dans le soufisme et le zoroastrisme, a été la cible de militants de l’Etat islamique en août 2014. Les combattants armés ont séparé de leur famille les hommes et les garçons de plus de 12 ans et tué ceux qui refusaient d’adopter leur croyance.
Plus de 6 000 femmes et jeunes filles yézidies auraient été enlevées et vendues comme esclaves, et détenues en captivité pendant des mois, voire des années. Beaucoup ont été emprisonnées, torturées et systématiquement violées dans le cadre d’une campagne de persécution que l’ONU considère comme un génocide et un crime contre l’humanité. A ce jour, le sort de plus de 1 400 femmes yézidies demeure inconnu.
Nagham Nawzat Hasan travaillait dans un hôpital de Baashiqa – une ville située à 14 kilomètres au nord-est de Mossoul – lorsque la région est tombée aux mains des militants. Alors qu’elle et sa famille fuyaient vers Dohouk, dans la région du Kurdistan au nord de l’Irak, ils ont commencé à entendre parler de massacres d’hommes yézidis ainsi que d’enlèvements de femmes et d’enfants.
Quelques mois plus tard, Nagham Nawzat Hasan a appris que deux femmes yézidies étaient arrivées à Dohouk après avoir échappé à leurs ravisseurs. En les cherchant, elle a, sans le savoir, changé le cours de sa propre vie.
« Quand des femmes yézidies ont commencé à fuir vers Dohouk, c’est là que mon travail a commencé », confie Nagham. « J’ai tout de suite vu qu’elles étaient détruites physiquement et psychologiquement. Elles avaient perdu confiance, alors j’ai décidé de reconstruire cette confiance pour elles. »
« J’ai contacté ces femmes et je les ai encouragées à demander de l’aide et un traitement. Je leur ai donné mon numéro de téléphone et j’ai lentement gagné leur confiance. Peu de temps après, les femmes qui venaient de s’évader ont commencé à m’appeler d’elles-mêmes. »
Son travail a d’abord été tenu secret, alors que les victimes traversaient une phase d’acceptation. Lorsque l’ampleur des atrocités commises contre les captifs est devenue évidente, les dirigeants religieux et sociaux ont lancé des appels pour que les femmes enlevées soient de nouveau accueillies dans la communauté.
« La communauté yézidie a joué un rôle capital, en étant la première à recevoir ces femmes », explique Nagham. « L’acceptation par les familles et le soutien de la communauté étaient une étape importante, mais il leur fallait davantage. »
Son expérience en tant que gynécologue s’est avérée essentielle, mais il est rapidement devenu évident que les besoins des survivantes allaient bien au-delà de leur traitement au niveau physique. « Médicalement, la plupart d’entre elles souffraient de douleurs. Beaucoup ont contracté des infections sexuellement transmissibles à la suite de nombreux viols. Mais aussi, l’état psychologique des survivantes était extrêmement dégradé. »
« Je n’ai pas de traitement magique mais, mais en tant que femme et yézidie, la plupart des survivantes finissent par m’accorder leur confiance. »
S’appuyant sur les relations qu’elle a pu forger, Nagham a commencé à consacrer la majeure partie de son temps à rendre visite aux survivantes chez elles, l’endroit où elles se sentaient le plus en sécurité. Il y a deux ans, elle a créé sa propre ONG, Hope Makers for Women, qui fournit un soutien médical et psychologique aux survivantes vivant dans des camps de Yézidis déplacés.
Lors d’une matinée d’hiver éblouissante dans un camp de tentes près du lac de Mossoul Dam, Nagham arrive pour l’une de ses visites régulières. Elle est accueillie par un groupe d’une demi-douzaine de femmes yézidies souriantes avec des accolades et des embrassades, comme si elle faisait partie de leurs familles. Plus tard, elle rend visite à l’une de ses patientes régulières, une jeune femme qui a été retenue captive pendant près de trois ans avec ses trois filles.
« La vie était très difficile après notre première évasion du joug de l’Etat islamique et, au début, je ne pouvais même pas sortir de ma tente », explique la jeune mère. « Nagham s’est rendue entièrement disponible pour nous. Elle nous a soignées et s’est occupée de nous. La doctoresse m’a aidée à trouver le courage et des ressources que je ne soupçonnais pas en moi. »
Nagham Hasan souligne que les conditions de vie endurées encore actuellement par de nombreuses survivantes rend encore plus difficile pour ces femmes de se remettre de leur épreuve. « Après avoir échappé à l’Etat islamique et passé deux ou trois ans sous une tente dans un camp, sans travail… comment peuvent-elles vraiment se rétablir dans cette situation ? »
En plus de fournir une assistance humanitaire continue aux yézidis déplacés, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a travaillé avec des organisations partenaires pour établir des normes en matière de suivi psychologique, afin de garantir que les femmes et les filles yézidies reçoivent toutes des soins de qualité.
Nagham Hasan affirme que le soutien international au peuple yézidi doit être maintenu si l’on veut qu’il se remette réellement des crimes commis à son encontre. « Le soutien international aux yézidis a diminué depuis la libération de Mossoul. Certaines organisations, comme le HCR et le FNUAP, continuent d’assurer une assistance, mais l’aide diminue dans l’ensemble. Je crains qu’à l’avenir, ce soutien ne disparaisse complètement. »
« Chacune d’entre nous a combattu l’Etat islamique autant qu’elle le pouvait, mais vous les avez combattus avec l’arme la plus puissante le jour où vous avez décidé de nous soigner. Cela a ramené nos âmes à la vie. »
Elle appelle la communauté internationale à offrir davantage de places de réinstallation aux survivants yézidis qui choisissent de prendre un nouveau départ ailleurs. Ceux qui choisissent de rester en Irak ont, quant à eux, besoin d’une aide financière pour les aider à se réinsérer hors des camps, ainsi que de programmes de formation et de création d’emplois pour améliorer leurs perspectives économiques, a-t-elle ajouté.
Pour Nagham Hasan elle-même, le travail d’aide aux survivants yézidis et à ceux qui ont vécu des expériences similaires se poursuivra. « C’est maintenant ce que je veux faire de ma vie. Je suis devenue médecin pour soigner les gens et aider ceux qui en ont besoin. Je suis toujours médecin, mais je suis passé de l’hôpital à l’aide l’humanitaire. »
A côté de ses carnets remplis d’histoires de souffrance et de douleur se trouve un autre livre qui rappelle à Nagham Hasan la vie qu’elle a choisie. L’une des premières survivantes avec lesquelles elle a travaillé est l’auteure et la lauréate 2018 du prix Nobel de la paix Nadia Murad, qui lui a envoyé il y a six mois, une copie de ses mémoires.
Une dédicace manuscrite se lit à l’intérieur : « A vous, très chère Dr Nagham. Chacune d’entre nous a combattu l’Etat islamique autant qu’elle le pouvait, mais vous les avez combattus avec l’arme la plus puissante le jour où vous avez décidé de nous soigner. Grâce à vous, nos âmes ont renoué avec la vie. »
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