Mehmet travaille pour Fedasil (Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile), près de la Gare du Nord à Bruxelles. Il s’agit d’un réfugié kurde de Turquie qui a été forcé de fuir vers l’Europe de l’Ouest.
Parce qu’il était Kurde, il a été la cible de groupes nationalistes radicaux et du service secret de la police jusqu’à ce que sa vie en Turquie devienne trop dangereuse. « À présent, j’arrive à raconter mon histoire», nous confie-t-il tristement, « Avant, j’avais tendance à devenir très émotif. »
« Jusqu’à mes neuf ans, je gardais le troupeau de moutons à la maison. Maintenant, on dit que j’en fais de même avec les gens, comme je suis travailleur social. » plaisante-t-il. À Fedasil, il travaille en tant que personne de contact, facilement accessible, pour les autres réfugiés : en effet, avec son parcours, il est plus à même de comprendre leur situation. « Je suis également impliqué dans SOCIUS et dans de nombreux autres projets. Mes amis turcs disent souvent que je suis trop bien intégré.»
Mehmet a dû fuir son pays parce qu’il n’y était plus en sécurité. Il est arrivé en Belgique où il a été reconnu comme réfugié en 1995.
Durant ses études, Mehmet défendait activement les droits des Kurdes de Turquie, à Erzurum, sa ville universitaire. Au début des années 1990, les Kurdes connaissaient la répression, avec des arrestations arbitraires d’étudiants. En 1991, Mehmet faisait partie d’un parti kurde qu’il avait fondé dans sa ville natale avec des amis de même sensibilité. Il garde un souvenir vivace de sa première arrestation et nous la raconte avec passion : « un fourgon blanc s’est arrêté brusquement sur le trottoir. Deux policiers sont sortis et m’ont forcé à les suivre, mes amis regardaient la scène. J’ai immédiatement compris ce qui m’attendait et j’ai attiré leur attention sur le fait que j’étais en train de me faire enlever, pour qu’ils sachent que ma ‘’disparition’’ n’était pas soudaine. »
La cause directe de sa fuite a été l’incident de 1994, lorsque Mehmet et ses amis se sont fait attaquer à l’université par un groupe de « Loups gris ». Les « Loups gris » sont un mouvement extrémiste panturque, lié aux mouvements nationalistes de Turquie. Durant les trois dernières décennies du XXème siècle, le groupe a été connu pour ses activités criminelles clandestines, dont la violence organisée à l’encontre des Sunnites, des intellectuels de gauche et des universitaires, mais principalement focalisée sur les Kurdes.
Lors de sa première arrestation, Mehmet a été battu et maltraité dans le bureau de police. En Turquie, durant la répression, il était interdit d’écouter de la musique kurde, de porter le Saraj (bandeau kurde porté par les hommes) et même de prononcer le mot « Kurde ». Quiconque était surpris en train de transgresser ces règles pouvait s’attendre à de mauvais traitements, ou pire, à l’emprisonnement. « Ils m’ont demandé qui j’étais, j’ai dit : je vis sous le drapeau turc, je suis Turc mais mes parents sont Kurdes et ne parlent que le kurde. » L’officier l’a frappé à plusieurs reprises à l’arrière de la tête avec son transmetteur radio. « Après ça, ils m’ont emprisonné durant trois jours et ont essayé de me faire craquer mentalement. J’avais 23 ans. »
Mehmet nous a parlé de l’objet le plus précieux à ses yeux et qu’il porte toujours sur lui:
«Il s’agit d’un stylo que j’ai reçu du HEP, un parti kurde que j’ai créé avec des amis en 1991 au ville où j’étudiais. Il est à moitié brûlé parce que la police a incendié notre quartier général. Ce stylo est la seule chose que j’ai pu récupérer. Il me rappelle tous les jours d’où je viens.»
L’une des méthodes l’ayant aidé à surmonter son passé difficile a été l’écriture. En 1995, Mehmet avait écrit 23 pièces, dont l’une a été jouée à la VUB. Il a fondé lui-même la société de théâtre d’interprétation. Entre-temps, Mehmet avait repris ses études pendant qu’il travaillait dur dans un restaurant afin de pouvoir les financer. Au même moment, il a appris le néerlandais, la huitième langue qu’il ait apprise. « C’est l’une des choses dont je suis le plus fier », dit-il. « Après tout, cela m’a aidé à en arriver là où je suis. »
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