Avec ses 13 enfants, elle a fui en hâte les combats à Tal Afar
Avec ses 13 enfants, elle a fui en hâte les combats à Tal Afar
BADOUSH, Irak - Hafiza Ismail*, 43 ans, est assise, épuisée, au point de rassemblement de Badoush, à environ 10 kilomètres au nord-ouest de Mossoul. Elle vient tout juste de mener sa famille nombreuse vers la sécurité, après avoir enduré une marche infernale de trois jours en fuyant les combats pour le contrôle de la ville irakienne de Tal Afar.
Portant et cajolant ses 13 enfants - l'aîné est âgé de 17 ans et le plus jeune est un bébé se tenant à peine debout - la famille a marché pendant plusieurs jours et a été forcée de dormir en plein air, boire de l'eau non potable et compter sur la générosité d’inconnus pour recevoir des vivres et survivre.
« Nous avons demandé de l’aide en chemin pour savoir où aller. Certains nous ont donné du pain », explique Hafiza, en se rappelant des détails malgré sa fatigue. « Ensuite, nous avons suivi les rives du Tigre. Nous n'avions pas de nourriture. Nous avons bu l’eau du fleuve. J'ai donné l'eau de la rivière à mes enfants car nous n'avions rien d'autre. »
Elle raconte l'horreur de trouver en chemin des corps sans vie abandonnés en plein air, ne sachant pas qui ils étaient ou comment ils étaient morts, et en faisant passer rapidement les enfants non loin des cadavres. « Ils étaient là, c’était des hommes et des femmes », dit-elle calmement, la tête inclinée.
La famille a fui la semaine dernière son village d'Abu Maria, juste à l'est de Tal Afar, lorsque le bruit des avions et des hélicoptères signalait le début des combats pour reprendre la région aux groupes armés qui contrôlent le district depuis 2014.
« Nous n'avions pas de nourriture. Nous avons bu l’eau du fleuve ... nous n'avions rien d'autre. »
« Le bruit était insupportable et nous craignions que la maison ne s'écroule sur nous. Alors nous sommes partis avec seulement les vêtements que nous portions ce jour-là », dit-elle.
Les personnes qui tentent de quitter les zones contrôlées par des groupes armés font souvent l'objet d'une peine sévère voire d'une exécution. Hafiza est convaincue que sa famille n’a pas été ciblée car ils n'avaient rien emporté et il y avait beaucoup d'enfants.
La bataille pour le contrôle de Tal Afar, à environ 65 kilomètres à l'ouest de Mossoul, a débuté le 20 août. Avec une population pré-conflit estimée à environ 200 000 habitants, plus de 40 000 personnes ont fui la région depuis avril 2017. Beaucoup vivent désormais dans des camps abritant d'autres familles déplacées, principalement de Mossoul.
Les personnes ayant fui Tal Afar doivent marcher de longues distances dans une chaleur brûlante en quête de sécurité, souvent sans nourriture ni eau et encourant de grands risques. Les personnes qui arrivent aux points de rassemblement, tels que celui de Badoush, sont physiquement épuisées et déshydratées. Beaucoup ont été blessées par des snippers et l’explosion de mines antipersonnel.
Les agences humanitaires ne peuvent pas accéder à Tal Afar depuis 2014. Des milliers de résidents y seraient pris au piège. Les conditions de vie y seraient effroyables, avec des pénuries de vivres, d'eau potable, d'électricité et de soins de santé.
« Que vais-je faire maintenant? Comment vais-je survivre? Nous n'avons même plus notre maison où rentrer. »
Le mari de Hafiza a été tué par des snippers trois mois avant leur départ, et la famille a lutté pour sa survie avec seulement du pain et 250 litres d'eau pour deux mois. « C'était effroyable. Personne ne cuisinait avec de l'huile car celle-ci était trop chère, et il n'y avait ni fruits ni légumes », explique-t-elle.
« Il y avait des services de santé, mais nous n'avions pas d'argent pour payer les médicaments. Les médicaments et les consultations étaient réservés aux familles des extrémistes », ajoute-t-elle.
Hafiza et ses enfants passeront la nuit au site de transit de Hammam Al-Alil où, la semaine dernière, le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, avait déjà fourni un abri et d'autres articles essentiels à quelque 9000 déplacés irakiens par les récents combats à Tal Afar.
De là, beaucoup seront hébergés dans des camps nouvellement établis - tels que Nimrud, qui a ouvert ses portes samedi, construit par le gouvernement et géré par le HCR - et disposant de vivres et d'articles ménagers de première nécessité.
Toujours en état de choc après cette épreuve, les événements des derniers mois semblent accabler Hafiza alors qu'elle pense à son mari et tient son visage dans ses mains. « Que vais-je faire maintenant? Comment vais-je survivre? Nous n'avons même plus notre maison où rentrer. »
*Nom fictif pour des raisons de protection