Mauritanie : lauréate d'une bourse, une réfugiée malienne devient étudiante à l'université
Mauritanie : lauréate d'une bourse, une réfugiée malienne devient étudiante à l'université
L’amphitréâtre est plein d'étudiantes voilées et enturbannées de couleurs chatoyantes. Les yeux baissés sur son travail, Fatimetou est concentrée sur son examen d'anglais pendant que sa plume court sur le papier sous l'œil attentif du surveillant.
La jeune réfugiée malienne est la seule fille du groupe de 18 étudiants de l'Université de Nouakchott titulaires de bourses d'études du DAFI, l’Initiative académique allemande Albert Einstein pour les réfugiés, qui œuvre pour favoriser l'accès des réfugiés à l'enseignement supérieur.
Après la fermeture de son école dans le nord du Mali et sa fuite forcée vers la Mauritanie, elle n'aurait jamais imaginé pouvoir retourner à l'école, sans même parler d'étudier l'anglais à l'université.
« J'avais envie d'apprendre l'anglais, » dit-elle. « À l'origine, c'était la communication qui m'attirait, mais le conflit a tout changé. À l'époque, quand j'ai vu les gens de ma communauté traverser d'indicibles souffrances, j'avais perdu tout espoir dans l'avenir. »
Fatimetou n'est pas seule dans ce cas. La plupart des réfugiés mauritaniens ont manqué des années d'école et ont dû lutter pour avoir accès à l'éducation, surtout au niveau supérieur, et beaucoup se heurtent à l'obstacle de la langue ou au manque d'argent pour subvenir à leurs besoins pendant leurs études.
Dans le monde entier, plus de 65 millions de personnes sont actuellement déracinées par les guerres et les persécutions, dont plus de 22,5 millions de réfugiés. Parmi eux, plus de la moitié sont des enfants. Les possibilités d'apprentissage diminuent considérablement lorsque les enfants sont forcés de fuir leurs foyers et à mesure qu'ils vieillissent, selon un rapport du HCR sur l’éducation. Seulement 50% des enfants réfugiés sont inscrits à l'école primaire, 22% au secondaire et 1% dans l'enseignement tertiaire.
Le parcours de Fatimetou a été semé d'embûches. Elle a d’abord été provisoirement conduite avec les membres de sa famille au camp de réfugiés de Mbera qui abrite plus de 50 000 réfugiés maliens. Près de la moitié de ces nomades sont illettrés et moins d'un pour cent d'entre eux — dont quasiment aucune fille — parvient à passer le cap de la dernière année du secondaire.
« Au début, ma mère ne voulait pas que j'étudie, » raconte Fatimetou. « Elle aurait aimé que j'arrête après l'école primaire parce qu'elle pensait que ce serait suffisant pour que j'apprenne au moins à parler français et pouvoir ensuite revenir à la maison avec elle, c'est ça qu'elle aurait souhaité. »
Craignant que Fatimetou ne soit victime de violence si elle quittait la maison, sa mère lui disait : « si tu pars, je ne sais pas ce qui t’arrivera. »
« La fréquentation scolaire des jeunes filles s'effondre quand on examine leur scolarisation au secondaire. »
Bien des jeunes filles issues de parents illettrés, comme le père et la mère de Fatimetou, grandissent en pensant que l'éducation, ce n'est pas pour elles.
Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et d'autres agences humanitaires s'emploient à promouvoir l'accès des filles à l'éducation au camp de Mbera.
« Grâce au long travail de sensibilisation que nous avons mené à Mbera, le pourcentage de filles inscrites dans les six écoles primaires du camp est aujourd'hui égal au pourcentage de garçons, » déclare Nabil Othman, le représentant du HCR en Mauritanie.
« En revanche, la fréquentation scolaire des jeunes filles s'effondre quand on examine leur scolarisation au secondaire où elles ne représentent que 27 pour cent des élèves. Cinq ans après le début de la crise au Mali, nous ne pouvons plus nous permettre de perdre de nouvelles générations. »
Des centaines de milliers de Maliens ont fui leurs foyers depuis les affrontements qui ont éclaté entre les rebelles armés et les forces gouvernementales au début de 2012. La vie de Fatimetou a pris une tournure inattendue lorsqu'elle s'est retrouvée à vivre dans un camp avec sa famille.
« J'ai perdu un cousin et d'autres membres de ma famille dans la crise de 2012, » explique-t-elle. Elle a fui avec sa famille vers Fassala, ville frontière de Mauritanie, avant d'être conduite par convoi jusqu'au camp de Mbera. « Chacun de nous a été témoin d'épouvantables souffrances, » dit-elle.
« À peine arrivée au camp, je me suis dit qu'il fallait que je fasse tout ce qui était en mon pouvoir pour aider les gens. Étant fille de cette communauté, il me semblait tout à fait naturel de faire quelque chose pour soulager leurs souffrances. »
Comme elle parlait français, elle a commencé à aider les Maliens à comprendre les procédures du camp.
« Cette expérience dans le camp m'a permis de prendre confiance en moi. »
D'abord interprète, elle est rapidement devenue la représentante de la communauté, ce qui lui a permis d'aider les équipes du HCR et des ONG partenaires, comme Intersos et Action Contre La Faim à transmettre des informations vitales aux réfugiés. Malgré tout, elle n'a jamais abandonné son rêve de pouvoir poursuivre ses études.
« À 16 ans, je faisais des choses dont d'autres filles étaient incapables, » dit-elle. « J'arrivais à faire comprendre certaines choses aux gens, à leur expliquer comment se faire enregistrer en tant que réfugiés et je leur faisais comprendre leurs droits. »
« Ça m'a fait prendre conscience de la puissance du langage et ça a également convaincu ma mère des avantages de l'éducation, » explique Fatimetou.
« Cette expérience dans le camp m'a permis de prendre confiance en moi. Ça m'a motivé à aller de l'avant et à poursuivre mes études. »
Fatimetou a passé son baccalauréat au camp de Mbera, ce qui l’a conduite à solliciter une bourse d'étude du DAFI.
Elle compte parmi les rares étudiants qui ont relevé le défi d'étudier l'anglais dans un pays qui a l'arabe et le français comme langues officielles.
L'anglais n'est pas enseigné dans les écoles du camp de Mbera qui appliquent le programme d'enseignement malien. De ce fait, les réfugiés maliens ne possèdent même pas les rudiments de la langue, ce qui décourage la plupart des candidats.
J'ai choisi l'anglais parce que c'est la langue la plus parlée au monde, » déclare Fatimetou. « Ça me permettra de communiquer avec beaucoup de monde et j'adore la communication. »
« Ce qu’il y a de plus important pour moi, c’est d’aider ma communauté. Je veux pouvoir dire au monde la réalité de ce que nous vivons et je sais que je pourrai le faire en apprenant l’anglais. Ça m’aidera aussi à comprendre le monde et à découvrir des choses différentes et des façons de vivre nouvelles et intéressantes. »