Un enfant afghan se mure dans le silence après avoir été séparé de sa famille
Un enfant afghan se mure dans le silence après avoir été séparé de sa famille
MYTILÈNE (Lesbos) – Farzad, un enfant réfugié de huit ans, s’est retiré dans un univers de silence après avoir été brièvement séparé de sa famille, en pleine montagne, dans la neige, à la frontière entre l’Iran et la Turquie. La famille tentait de franchir la frontière pour fuir la guerre.
Il a été séparé de sa famille pendant 20 ou 30 minutes seulement, mais il n’a pas parlé depuis. « Farzad n’a pas dit un mot depuis qu’il a été séparé de sa mère dans la tempête de neige à la frontière », dit son père, Djalil*.
Selon des organisations non gouvernementales, Farzad, huit ans, fait partie du nombre croissant d’enfants réfugiés qui, traumatisés lors de leur fuite, présentent des problèmes de santé.
Les symptômes vont des problèmes de développement à l’automutilation, aux cauchemars et à la dépression. Les jeunes dont la détention contrevient à la recommandation du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, selon laquelle les enfants ne devraient pas être détenus, sont particulièrement vulnérables. On observe aussi des problèmes de santé mentale chez les enfants qui sont obligés de voyager seuls, sans la protection de leurs parents, ou qui n’ont pas accès aux soins, y compris psychiatriques.
Farzad, son père et son frère Awalmir*, âgé de 22 ans, vivent aujourd’hui dans un camp installé par la municipalité de Mytilène à Karatepe, sur l’île grecque de Lesbos. Sa mère, Uzma*, et son autre frère, Rafiq*, âgé de 18 ans, ont réussi à entrer en Turquie et à se rendre en Allemagne.
Djalil, qui était agriculteur, raconte comment sa femme et lui, craignant pour la sécurité de leurs enfants dans leur pays déchiré par la guerre, ont décidé de gagner la Turquie, via l’Iran, en 2015. À l’approche de la frontière turque, entassés dans la voiture d’un passeur avec leurs enfants et trois autres personnes, ils voyaient la neige tomber. « Le passeur n’avait pas de chaînes à neige, alors il avait du mal à garder la voiture sur la route », dit Djalil.
« Soudain, le passeur nous a dit de descendre de la voiture… parce que la police iranienne nous suivait. » Selon Djalil, ils se trouvaient à 2 000 ou 3 000 mètres d’altitude à ce moment‑là.
« Au jardin d’enfant, il joue toujours seul. »
« Le passeur a jeté tous les bagages hors de la voiture », ajoute Djalil. Dans la confusion qui a suivi, Uzma et Rafiq sont partis de leur côté.
Djalil, Farzad et Awalmir ont suivi un chemin escarpé, trop escarpé pour Djalil, qui est dans la cinquantaine et souffre d’une maladie cardiaque. « Je me suis assis dans la neige et j’ai attendu qu’Awalmir vienne me chercher », dit Djalil. « Nous nous sommes alors rendu compte que nous avions perdu Farzad. »
Les deux hommes sont revenus sur leurs pas et se sont livrés à la police iranienne. À leur grand soulagement, ils ont vu que la police avait déjà trouvé Farzad, seul.
« Ce jour‑là, Farzad a complètement cessé de parler », ajoute Djalil. « Au jardin d’enfant, il joue toujours seul et il ne montre aucun signe d’intelligence. » Avant, l’enfant n’avait aucun problème grave. « Il parlait un peu et savait compter jusqu’à dix. Il jouait aussi avec les autres enfants. »
Une fois entre les mains de la police iranienne, Djalil a demandé à passer un appel téléphonique. Des parents lui ont appris qu’Uzma et Rafiq étaient toujours avec les passeurs. Il a souhaité qu’ils poursuivent leur voyage. Il les rejoindrait plus tard avec les deux autres garçons.
Uzma et Rafiq ont pu se rendre jusqu’en Allemagne. Djalil et les deux autres garçons ont tenté à cinq autres reprises de gagner la Grèce, via la frontière entre l’Iran et la Turquie. Ils ont aussi effectué une traversée maritime périlleuse.
Vivant depuis quelques mois dans le camp, Djalil espère que les efforts du partenaire du HCR, Metadrasi, visant à réunir la famille, aboutiront.
« L’état inquiétant de Farzad nous rappelle brutalement à quel point il est difficile pour les membres d’une famille fuyant la guerre d’être séparés les uns des autres. »
« L’état inquiétant de Farzad nous rappelle brutalement à quel point il est difficile pour les membres d’une famille fuyant la guerre d’être séparés les uns des autres », déclare Astrid Castelein, chef du bureau du HCR à Lesbos. « Nous renouvelons notre appel aux gouvernements pour que les réfugiés se trouvant en Grèce soient rapidement réunis à leurs familles. Il en va de leur bien‑être psychologique. »
Elle ajoute que le HCR a payé un pédiatre pour qu’il examine Farzad et que la famille a été transférée dans une nouvelle maison préfabriquée près des sanitaires. « Farzad fait dans son pantalon souvent, et je dois tout laver tout le temps », dit Djalil.
Financé par la Commission européenne, le transfert dans la maison préfabriquée, qui est chauffée, aide Djalil à faire en sorte que son fils puisse arriver aux toilettes à temps.
Astrid Castelein dit que le HCR a réussi à inscrire Farzad à l’École primaire spéciale de Mytilène, qui aide les enfants ayant des difficultés d’apprentissage, il y a deux mois. Lorsqu’on lui demande si son fils aime aller à l’école, Djalil hausse les épaules. « Je ne sais pas, puisqu’il ne parle pas. »
Dans l’aire de jeux à Karatepe, le visage de Farzad s’illumine lorsque l’animateur, Gregoris Pallis, s’approche de l’enfant et lui prend les mains.
Gregoris fait partie de Save the Children, une ONG qui gère un espace pour enfants financé par le HCR à Karatepe. Il étreint Farzad, le fait tourner sur lui‑même et lui arrache un sourire en moins de deux minutes. « Nous sommes proches depuis le premier jour Farzad et moi », dit‑il.
Par l’intermédiaire de ses organisations partenaires, le HCR propose des services d’aide psychologique et sociale aux familles et aux enfants non accompagnés.
Il coordonne aussi les procédures permettant aux organisations de recenser les personnes ayant des problèmes de santé mentale afin qu’elles soient dirigées vers un spécialiste.
*Les noms ont été modifiés pour des raisons de protection.