Fuir en exil, une épreuve tristement familière pour les familles sud-soudanaises
Fuir en exil, une épreuve tristement familière pour les familles sud-soudanaises
ADJUMANI, Ouganda - Lucy Lul explique avoir réalisé que c’était la guerre quand elle a entendu parler d’un convoi de véhicules sur la route de Juba, la capitale du Soudan du Sud, vers l’Ouganda.
Elle et son mari ont empaqueté des vêtements pour leurs enfants, elle a attrapé son sac à main et ils ont couru pour rejoindre le convoi de véhicules.
Lucy est enseignante à l’école primaire près de la ville de Pageri, à environ 40 kilomètres de la frontière ougandaise. Récemment, elle avait eu du mal à garder les enfants des communautés locales à l'école à cause des pénuries alimentaires qui se sont aggravées ces dernières semaines.
« Nous n’avons même plus de farine pour cuisiner. A la place, nous mangeons des légumes de la brousse », explique Lucy. Les prix des articles de première nécessité ont augmenté au même rythme que la dégradation de la sécurité.
« Depuis la reprise des combats à Juba il y a deux semaines, les soldats qui sont censés nous protéger nous harcèlent dans le village », déclare Lucy, 30 ans. « Ils ont pillé les marchés. »
Le regain des combats dans la plus jeune nation du monde a contraint des milliers de personnes à fuir leurs foyers. Selon le HCR, près d'un citoyen sud-soudanais sur quatre est déplacé à l'intérieur de Soudan du Sud ou réfugié dans les pays voisins. Le nombre total de réfugiés sud-soudanais pourrait dépasser un million cette année.
Avant son indépendance en 2011, le Soudan du Sud avait déjà connu une longue période de violence et d'instabilité. Pour de nombreux réfugiés, ce n'est pas la première fois qu'ils ont dû fuir.
« Il semble que, tous les 10 ans, nous revenons ici en tant que réfugiés alors notre vie ne fait que stagner. »
« J'ai été élevée en Ouganda en tant que réfugiée », explique Lucy. « Je suis retournée au Soudan du Sud en 2005 au moment de l'accord de paix. J’ai envie de pleurer car nous avons construit une maison et l'école ce qui a été très difficile. Il semble que, tous les 10 ans, nous revenons ici en tant que réfugiés alors notre vie ne fait que stagner – nous ne sortirons jamais de la pauvreté ».
Dans le chaos du voyage, Lucy a été séparée de son mari, Francis, un entrepreneur en bâtiment et pasteur.
Ils se sont appelés l’un l’autre avant que leurs batteries de téléphone ne soient déchargées et ils se sont retrouvés quand Francis est arrivé tard dans la nuit au point de ramassage de réfugiés à Elegu à environ 100 mètres du pont qui sépare l'Ouganda du Soudan du Sud.
Les yeux rougis de fatigue et avec ses vêtements salis, Lucy explique: « Hier soir, nous avons dormi à même le sol. Il faisait très froid et je n'ai rien mangé. Mais le HCR et le Programme alimentaire mondial nous donnent maintenant des biscuits à haute teneur en énergie. »
Il a alors commencé à tomber des cordes. Lucy, Francis et leurs deux enfants se sont tassés les uns contre les autres alors qu’ils se trouvaient dans la file d’attente pour entamer la procédure et devenir à nouveau des réfugiés.
Les nouveaux arrivants passent un contrôle médical, les enfants sont vaccinés et les personnes ayant des besoins particuliers sont identifiées avant d’être enregistrées. Ensuite, ils peuvent entamer l’étape suivante de leur voyage à bord de véhicules du HCR vers un lieu de transit où ils resteront une à deux semaines avant d’être transférés vers un camp de réfugiés au nord de l'Ouganda.
L’installation de réfugiés de Pagirinya dans le district d'Adjumani, le principal lieu d’hébergement de réfugiés sud-soudanais, atteint rapidement sa capacité initiale d’accueil et les autorités font leur possible pour identifier et allouer de nouvelles terres pour faire face à ce tout dernier afflux.
Le gouvernement ougandais est loué pour sa politique généreuse envers les réfugiés, qui reçoivent une parcelle de terrain et qui bénéficient de l'accès aux services publics comme la santé et l'éducation, mais l’afflux important de réfugiés met à rude épreuve les ressources du pays.
Selon Halimo Hussein Obsiye, chef du Bureau auxiliaire du HCR dans la province du Nil occidental, la situation reste gérable, mais « on se rapproche du stade de la crise humanitaire ». Plus de 7220 réfugiés sont arrivés mardi, selon un porte-parole du gouvernement ougandais et Halimo Hussein Obsiye explique que beaucoup d'autres sont attendus, « Ce que les réfugiés disent n’est que la partie émergée de l'iceberg. Davantage de réfugiés arriveront dès demain. »
« J’ai mis la main sur la bouche des enfants pour les faire taire. Les soldats tiraient sur toutes les personnes qui leur parlaient. »
Grace Juru, une serveuse de 25 ans originaire de Juba, est arrivée à Elegu mardi 19 juillet avec ses deux enfants et son neveu, est d’accord. « Beaucoup d’habitants de Juba veulent partir, mais il est toujours dangereux de se déplacer », indique-t-elle.
« Quand les combats ont commencé, j’ai pris les enfants et j’ai couru à l'église catholique près de l'aéroport de Juba. Nous avons dû sauter par-dessus des cadavres dans la rue.
« Nous avons passé trois jours dans l'église et, quand nous avons pensé que c’était la fin des combats, la Croix-Rouge nous a aidés à rentrer chez nous. »
Bien que les combats entre factions politiques rivales dirigées par le Président Salva Kiir et le premier Vice-Président Riek Machar aient cessé, les soldats avaient déjà commencé les pillages.
Elle a déclaré que les troupes fidèles au Président Salva Kiir font du porte-à-porte pour piller tout sur leur passage. « J’ai mis la main sur la bouche des enfants pour les faire taire. Les soldats tiraient sur toutes les personnes qui leur parlaient. »
Grace a été séparée de son mari ingénieur qui, espère-t-elle, se trouve toujours à Juba mais, sans téléphone, elle n'a aucun moyen de communiquer avec lui.
Grace a réussi à obtenir une place dans un camion bondé partant pour l'Ouganda. Sur la route, ils ont rencontré un convoi organisé par l'armée ougandaise pour évacuer ses citoyens et ils s’y sont joints. Mais, dans l'exode précipité, leur camion a eu un accident avec un autre véhicule.
Serrant son bébé, Grace recherche des connaissances ou des personnes parlant sa langue au point de ramassage de réfugiés pour échanger des bribes d'information. Le lieu au sol boueux et les files d’attente de personnes recherchant de l'aide lui sont tristement familiers.
Grace a également grandi en tant que réfugiée en Ouganda et elle est reconnaissante de la sécurité que le pays lui procure. « Je me sens en sécurité ici de retour en Ouganda car je n'entends pas le bruit des armes, mais je préfèrerais être à la maison dans notre patrie. »