Yasir Elanime & Laureline de Leeuw – de la sculpture franco-soudanaise
Yasir Elanime & Laureline de Leeuw – de la sculpture franco-soudanaise
Une tasse en faïence dont le fond s’emboîte sur une sous-tasse, dotée d’une bosse en son centre. En s’imbriquant, les formes se dissimulent progressivement. Des frises gravées sur la terre rouge, à l’intérieur des coupelles bleues, se révèlent.
C’est « Mundassi », une collection de poteries franco-soudanaises qui signifie « caché » en soudanais. Elle est le fruit de la rencontre entre Laureline de Leeuw, designer française, et Yasir Elamine, potier et sculpteur soudanais, réfugié en France. Ces poteries portent la notion d’héritage et de passerelle entre la France et le Soudan.
Le tandem s’est rencontré à travers la Fabrique Nomade pour exposer ensemble lors du festival de design les D’ Days qui s'est tenu à Paris du 2 au 14 mai 2017. Après plusieurs mois de collaboration, ils vendent désormais leurs pièces sur internet.
L’amour de l’artisanat a réuni deux personnes dont les destins ne se seraient pas forcément croisés.
« Laureline m’a aidé à comprendre comment les choses se passent en France et au sein de la société française. »
Lui est diplômé de l'Ecole des Beaux-Arts de Khartoum, la capitale soudanaise. En 1994, il inaugure le premier atelier de poterie pour faire des pots, des sculptures murales et des fontaines. Il enseigne également la poterie à des femmes aveugles, tout en travaillant dans d’autres secteurs pour gagner sa vie. Aux Beaux-Arts, il commence par le dessin industriel mais ce département a peu de moyens financiers et d’équipement. Son professeur le redirige alors vers la poterie car il voit que Yasir a du potentiel.
Elle est à son compte depuis octobre 2016. Laureline est diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts d’Angers. Elle a travaillé sur la notion d’héritage afin de revaloriser les objets dont on hérite et que l’on craint d’utiliser par peur de les casser, ou qui ne sont plus adaptés à notre quotidien.
Echanges
A travers cette expérience, Yasir et Laureline ont échangé sur leur technique et leur culture. « Au-delà des expositions que l’on a faites ensemble, l’expérience de la Fabrique Nomade a été précieuse du fait de tout le temps que l’on a passé à l’atelier à réfléchir, à partager et à discuter – car Yasir aime beaucoup discuter, » explique Laureline, en rigolant.
Grâce aux échanges avec la jeune designer, Yasir a découvert le type d’artisanat que les Français apprécient. « Laureline m’a aidé à comprendre comment les choses se passent en France et au sein de la société française, » confie-t-il, en bon français.
« J’espère lui avoir montré que ce qu’il savait faire était très précieux. J’aimerais beaucoup qu’il en tire la conclusion qu’il est important d’avoir confiance en son savoir-faire et qu’il puisse ... considérer l’insertion en France comme une réalité car c’est possible. »
Depuis qu’il est arrivé en France en 2014, l’homme a une soif d’apprendre la culture de son pays d’accueil. Il est allé trois fois à Versailles et trois fois au musée du Louvre. Il ne s’en lasse pas. « Je n’ai même pas encore fini de tout voir au Louvre. Avec ma femme, nous visitons un musée toutes les deux semaines, » dit-il, enthousiaste. La femme de Yasir était médecin au Soudan.
Malgré les différences culturelles, l’artisanat a rapproché Laureline et Yasir. Les notions de partage et d’intégration sont au cœur de leur travail respectif.
« J’ai trouvé que le point commun entre le travail de Yasir et le mien est d’apprendre des processus de production à des personnes en difficulté. Tout comme dans son travail, le design devient vecteur de revalorisation des statuts précaires pour les insérer, » dit Laureline.
Pour la collection « Mundassi », ils se sont inspirés du travail du Soudanais avec les femmes aveugles car celles-ci ont besoin de gestes sûrs, et donc d’une tasse qui s’emboite naturellement dans une sous-tasse. « J’avais beaucoup à cœur de parler de son histoire personnelle, de son rapport à la céramique, » souligne Laureline.
« J’aime le fait de ne pas avoir un produit prêt et de devoir travailler la terre, » dit Yasir, passionné. « La poterie requiert de la patience, » avoue-t-il.
C’est une culture mais aussi une technique que Laureline découvre avec son homologue. « J’aime beaucoup la façon dont il travaille, ce qu’il fait d’un bloc de terre. C’est beau de travailler en suivant son instinct, puis, de réfléchir au dessin à faire, » dit-elle.
L’arrivée en France
« Je ne connaissais rien de la France, » confie Yasir. Il obtient son statut de réfugié 18 mois après son arrivée. Il travaille d’abord comme jardinier dans une maison pendant quatre mois et comme peintre en bâtiment. Il prend ensuite des cours de langue française et suit une formation en menuiserie jusqu’en juin 2016.
Yasir passe par un CADA (Centre d'accueil de demandeurs d'asile en France) « Avant d’arriver en France, je pensais que les Français n’aimaient pas les étrangers. Aujourd’hui, je n’ai aucun doute, » raconte-t-il, après avoir vécu trois mois dans un village avec une famille française. « Les gens sont vraiment gentils dans les petites villes. Nous sommes, jusqu’à présent, en contact avec les habitants. »
« J’espère lui avoir montré que ce qu’il savait faire était très précieux. J’aimerais beaucoup qu’il en tire la conclusion qu’il est important d’avoir confiance en son savoir-faire et qu’il puisse, au-delà d’un rêve, persévérer dans son activité d’artisan et de considérer l’insertion en France comme une réalité car c’est possible, » explique Laureline. Le duo est toujours en contact. Ils souhaiteraient continuer à travailler ensemble car ils ont d'autres idées de poterie.